Par Ramzy Baroud
Le 16 octobre, Avi Dichter, député israélien du parti d’extrême-droite Likoud, a annoncé que le permis spécial d’Assaf pour entrer en Cisjordanie palestinienne sous occupation serait révoqué.
Assaf, originaire de Gaza, vit maintenant avec sa famille aux Émirats arabes unis. Il a atteint la célébrité en 2013, lorsqu’il a remporté le concours de chant “Arab Idol”. Sa chanson gagnante, “Raise your Keffiyeh”, a représenté un rare moment d’unité entre toutes les communautés palestiniennes du monde entier. Alors que le public, les juges et des millions d’Arabes ont dansé avec lui lorsque Mohammed est monté sur scène à Beyrouth, la culture palestinienne a, une fois de plus, prouvé son importance en tant qu’outil politique incontournable.
Depuis lors, Mohammed a chanté sur tout ce qui est palestinien : de la Nakba – la perte catastrophique de la patrie palestinienne – à l’Intifada, en passant par la douleur de Gaza et tous les symboles culturels palestiniens qui existent.
Assaf est né et a grandi dans la bande de Gaza. Il y a vécu l’occupation militaire israélienne, plusieurs guerres meurtrières et, bien sûr, le siège en cours.
Ses deux parents sont des réfugiés, sa mère de Beit Daras et son père de Beir Saba’. La capacité du jeune homme à surmonter le douloureux héritage de sa famille, tout en restant attaché aux valeurs culturelles de sa société, mérite beaucoup de réflexion et d’éloges.
L’annonce par Dichter qu’Assaf ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine n’est pas aussi surprenante qu’il n’y paraît. La guerre d’Israël contre la culture palestinienne est aussi ancienne qu’Israël lui-même.
Au cours des sept dernières décennies, Israël a prouvé sa capacité à vaincre les Palestiniens et des armées arabes entières. De plus, Israël, avec l’aide de ses bienfaiteurs occidentaux, a réussi à diviser les Palestiniens en groupes rivaux, tout en brisant tout semblant d’unité arabe sur la Palestine.
Même géographiquement, les Palestiniens étaient divisés et isolés en de nombreux recoins dans l’espoir que chaque collectif finirait par développer un ensemble différent d’aspirations basées sur des priorités politiques entièrement différentes. En conséquence, les Palestiniens se sont repliés dans la bande de Gaza assiégée, dans des zones de ségrégation en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, dans des communautés économiquement marginalisées en Israël et dans la “shataat” – diaspora.
Même les Palestiniens de la diaspora, dont certains se sont réfugiés à plusieurs reprises, ont subsisté dans des environnements politiques sur lesquels ils n’exercent que très peu de contrôle. Les Palestiniens d’Irak, par exemple, se sont retrouvés en fuite au début de l’invasion américaine de ce pays en 2003. La même chose s’est produite au Liban auparavant , en Syrie plus tard, etc.
Les tentatives incessantes d’Israël pour détruire la Palestine, dans toutes ses représentations, sont passées de la sphère matérielle à la sphère virtuelle, poussant à censurer les voix palestiniennes sur les médias sociaux, supprimant la référence à la Palestine sur Google Maps et même dans les menus des compagnies aériennes.
Rien de tout cela n’était dû au hasard, bien sûr, car les dirigeants israéliens ont compris que la destruction de la Palestine réelle et tangible devait s’accompagner de la destruction de l’idée même de la Palestine – l’ensemble des valeurs culturelles et politiques qui donnent à la Palestine sa cohésion et sa continuité dans l’esprit de tous les Palestiniens, où qu’ils soient.
La culture étant fondée sur une myriade de formes d’expression, Israël a consacré beaucoup d’énergie et de ressources à l’élimination des expressions culturelles palestiniennes qui permettent à la Palestine d’exister malgré la division politique, la désunion arabe et la fragmentation géographique.
Il existe de nombreux exemples qui démontrent amplement l’obsession officielle d’Israël de vaincre la culture palestinienne. Comme si l’effacement physique de la culture palestinienne en 1948 ne suffisait pas, les responsables israéliens imaginent constamment de nouvelles façons d’effacer les symboles de la culture palestinienne et arabe qui restent en place.
En 2009, par exemple, le gouvernement israélien de droite a commencé à changer le nom de milliers de panneaux de signalisation routière de l’arabe à l’hébreu. En 2018, la loi sur l’État-nation, ouvertement raciste, a totalement dégradé le statut de la langue arabe.
Mais ces exemples ne sont guère que le début de la guerre israélienne visant à dégrader la culture palestinienne. Les fondateurs d’Israël étaient conscients du danger que représentait la culture palestinienne en termes de capacité à unifier le peuple palestinien, peu après le nettoyage ethnique de près de deux tiers de la population palestinienne de sa patrie historique.
Dans une lettre officielle envoyée au premier ministre de l’intérieur israélien, Yitzhak Gruenbaum, ce dernier a été chargé d’échanger les noms des villages et régions palestiniens nouvellement dépeuplés avec des noms hébraïques.
“Les noms conventionnels devraient être remplacés par de nouveaux … car, dans l’attente de voir se succéder nos jours comme par le passé et de vivre la vie d’un peuple sain et enraciné dans le sol de notre pays, nous devons commencer par l’hébraïsation fondamentale de la carte de notre pays”, dit en partie la lettre.
Peu après, une commission gouvernementale a été constituée et chargée de rebaptiser tout ce qui est arabe palestinien.
Une autre lettre écrite en août 1957 par un fonctionnaire du ministère israélien des affaires étrangères exhortait le département israélien des antiquités à accélérer la destruction des maisons palestiniennes conquises pendant la Nakba. “Les ruines des villages et des quartiers arabes, ou les blocs d’immeubles vides depuis 1948, suscitent des associations pénibles qui causent des dommages politiques considérables”, écrit-il. “Ils devraient être nettoyés”.
Pour Israël, effacer la Palestine et rayer le peuple palestinien de l’histoire de sa propre patrie a toujours été une entreprise stratégique.
Aujourd’hui encore, la machine israélienne officielle reste dédiée à la même mission coloniale que par le passé. L’accord signé en 2016 entre le gouvernement israélien et la plateforme de médias sociaux Facebook, pour mettre fin à l'”incitation” palestinienne en ligne, s’inscrit dans cette même mission : faire taire la voix du peuple palestinien à tout prix.
La culture palestinienne a magnifiquement bien servi la lutte du peuple palestinien. Malgré l’occupation israélienne et l’apartheid, elle a donné aux Palestiniens un sentiment de continuité et de cohésion, les rattachant tous à un même sentiment d’identité collective, toujours centré sur la Palestine.
L’annonce faite par Israël d’interdire le retour d’un chanteur palestinien, afin de se produire devant d’autres Palestiniens sous occupation, n’est, d’un point de vue israélien, pas du tout scandaleuse. C’est une autre tentative de perturber le flux naturel de la culture palestinienne qui, malgré la perte de la Palestine elle-même, est aussi forte et aussi réelle qu’elle l’a toujours été.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
28 octobre 2020 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah