Par Greg Shupak
Beaucoup de commentaires très inquiets sont faits ces jours-ci sur la possibilité d’une guerre lancée par les États-Unis contre l’Iran.
La vérité, bien sûr, est qu’il y a déjà une guerre contre l’Iran. Et c’est un projet qui sert vraiment les intérêts israéliens.
Le gouvernement américain poursuit une guerre économique contre l’Iran tout en renforçant ses menaces d’intervention d’armée contre le pays, renforçant ses positions terrestres, maritimes et aériennes sur la base d’affirmations totalement improuvées selon lesquelles l’Iran pourrait un jour développer des armes nucléaires, serait le moteur de la violence au Moyen-Orient, et serait susceptible de lancer des attaques contre les “intérêts” américains ou ceux de ses mandataires.
Ces manœuvres doivent être comprises dans le contexte de la façon dont l’Iran est un obstacle aux objectifs de la classe dirigeante américaine au Moyen-Orient, un point de vue partagé par la classe dirigeante israélienne du point de vue de ses propres intérêts.
Les planificateurs américains et israéliens haïssent l’Iran principalement parce qu’il s’agit d’un pouvoir régional indépendant. Son armée et sa politique étrangère sont fortes et incluent un soutien matériel à la résistance armée palestinienne contre Israël et à la défense du Liban par le Hezbollah face aux agressions américano-israéliennes, comme dans les cas de l’invasion conjointe de 1982 et l’assaut israélien de 2006.
L’appui de l’Iran a été crucial pour aider le Hezbollah à résister à l’occupation du pays par Israël.
Bien qu’au cours des dernières années, Israël ait failli attaquer militairement l’Iran et ait poussé en février les États-Unis à s’en charger, il semble qu’Israël préférerait pour l’instant que les États-Unis ne bombardent ni n’envahissent l’Iran, car le Hezbollah serait alors en mesure en représailles d’infliger des dommages tout à fait considérables à Israël.
Au lieu de cela, Israël espère que l’Iran sera soumis à une asphyxie sociale et économique suffisante pour renverser son gouvernement ou se plier à un contrôle extérieur encore plus pesant que celui imposé dans le cadre de l’accord sur le nucléaire – un accord auquel l’Iran a souscrit et dont les États-Unis sont d’eux-mêmes sortis dehors l’année dernière.
L’Iran dit à présent que si les sanctions l’empêchent de tirer profit de ses ressources naturelles, il se retirera également de l’accord.
Affaiblir l’Iran
Affaiblir l’Iran, dans la perspective d’un changement de régime, a longtemps été une préoccupation majeure d’Israël, allant jusqu’à assassiner des scientifiques nucléaires iraniens.
Depuis 16 ans, l’Iran n’est pas près d’avoir une bombe nucléaire et il y a des preuves qui suggèrent qu’il n’a jamais rien eu de semblable.
Les attaques d’Israël contre la Syrie concernent en partie l’Iran. Le gouvernement syrien s’est associé à l’Iran pour armer les Palestiniens et le Hezbollah. Le parti Baath syrien a sa propre histoire – même avec des hauts et des bas – de confrontation militaire avec Israël.
Bien sûr, Israël reste aussi une puissance occupoante sur les hauteurs du Golan en Syrie – quoi que Donald Trump puisse dire – et Israël a entranché sa colonisation dans ce pays en armant des groupes antigouvernementaux et en exécutant des attentats à la bombe contre des cibles iraniennes et du Hezbollah dans le pays.
De plus, les menaces contre l’Iran doivent être prises en compte dans le contexte de l’alliance anti-iranienne forgée entre les États-Unis, Israël et plusieurs dictatures pro-américaines du Moyen-Orient, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Comme le souligne Adam Entous du New Yorker, le gouvernement de Benjamin Netanyahu a pour ambition centrale “d’écarter la cause palestinienne du centre de l’attention mondiale et de former une coalition avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis pour lutter contre l’Iran, qui a soutenu depuis longtemps le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza”.
Les dirigeants des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite ont déclaré qu’ils considéraient l’Iran comme un problème. Et les Émirats et les Saoudiens “travaillent ensemble dans les coulisses avec le Mossad”, l’agence d’espionnage israélienne, contre l’Iran.
Les mesures prises contre l’Iran étant liées à la question palestinienne, ces machinations doivent également être envisagées dans le contexte du “Contrat du siècle”, la proposition de liquidation de la question palestinienne présentée par Trump et son conseiller Jared Kushner, son gendre. Ce “package pour la paix” vise à la fois à éteindre définitivement les aspirations nationales palestiniennes et à neutraliser l’Iran.
Faire disparaître la Palestine
Les rapports suggèrent que la proposition implique “l’instauration du contrôle par Israël du territoire contesté”, de nier les revendications palestiniennes de souveraineté, le droit des réfugiés palestiniens de revenir dans leurs foyers. L’objectif est également de laisser aux Palestiniens uniquement des territoires non contigus.
Le plan consiste à convaincre des secteurs de la société palestinienne d’accepter ce projet en l’échange de fonds qui, espèrent-ils, proviendront en grande partie des gouvernements alliés des États-Unis dans la région. Et les Émirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite ont fait pression sur l’Autorité palestinienne pour que celle-ci accepte cet accord ridiculement injuste, afin que la question palestinienne disparaisse et que l’axe anti-Iran – réunissant les États-Unis, Israël et les États du Golfe – puisse être pleinement exploité.
Une autre manifestation de cette alliance anti-iranienne est le soutien d’Israël à l’attaque contre le Yémen par une coalition réunissant les États-Unis, l’Arabie saoudite, le Royaume-Uni, les Émirats arabes unis [EAU] et le Canada – une guerre qui vise apparemment les alliés des Houthis, et qui a laissé le pays souffrant de la pire crise humanitaire au monde.
Israël a partagé des renseignements avec des membres de la coalition. Les EAU auraient acheté du matériel militaire à Israël. Et des munitions fabriquées par Israël ont été utilisées dans les attaques contre le Yémen.
Ces ventes, parallèlement aux montants financiers obscènes transférés entre les États-Unis et ses clients saoudiens et israéliens dans le cadre d’achats d’armes, soulignent que l’agression américano-israélienne du Golfe contre l’Iran ne concerne pas seulement la politique mais aussi un système économique dans lequel les classes dirigeantes de chaque pays s’enrichissent aux dépens des Palestiniens et d’autres peuples exploités et privés de leurs droits.
La perspective de nouveaux liens lucratifs avec Israël contribue sans aucun doute à expliquer pourquoi les gouvernements autocratiques du Golfe tentent, comme le dit Tamara Nassar dans The Electronic Intifada, de sacrifier les Palestiniens pour un mariage avec Israël – une cérémonie à laquelle les États-Unis jouent le rôle d’officiants.
L’agression politique et économique contre l’Iran – ainsi que toute attaque militaire contre ce pays le cas échéant – ne constitue pas seulement une menace pour l’avenir de l’Iran, mais aussi pour celui de toute la région.
Auteur : Greg Shupak
* Greg Shupak est écrivain et militant. Il enseigne au département d'Études des médias à l'Université de Guelph. Il vit à Toronto, au Canada.Il a écrit : The Wrong Story - Palestine, Israël and the Media.Son compte Twitter.
11 juin 2019 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine