Par Abdel Bari Atwan
Une seule conclusion peut être tirée de l’annonce faite mardi à Washington que Jared Kushner, gendre du président Donald Trump et architecte de son “Contrat du siècle” au Moyen-Orient, se rendra cette semaine au Maroc, en Jordanie et dans les territoires palestiniens occupés. Quelques jours seulement avant les sommets successifs du Golfe, des États arabes et des États islamiques qui doivent se tenir à La Mecque, cela signifie que le fameux “contrat” est confronté à un mur de rejet arabe et islamique et que la conférence du mois prochain à Manama, la capitale bahreïnie, pour la promulgation de ses dispositions économiques, est déjà dans le pétrin. Cette visite est une tentative ultime de jeter tout le poids des États-Unis derrière une offre visant à sauver ce qui peut l’être, et cela s’avérera probablement inutile.
M. Kushner dirigera une délégation comprenant le conseiller du président et émissaire du Moyen-Orient, Jason Greenblatt, et son représentant spécial pour l’Iran, Brian Hook. Il est susceptible de transmettre des messages destinés à menacer et à faire pression sur la Jordanie et le Maroc pour les contraindre à assister au rassemblement de Manama visant à échanger et à liquider la cause palestinienne – un objectif qu’il pense pouvoir atteindre avec de l’argent et des investissements.
Nous ne savons pas qui a chargé Kushner de mener à bien cette entreprise criminelle, ni comment il a imaginé que cela pourrait réussir. La Palestine n’est pas une transaction immobilière et ceux qui la défendent ne se plieront jamais aux offres douteuses de courtiers manifestement malhonnêtes ni aux milliards de leurs affidés.
Kushner et sa clique se trompent s’ils pensent que les Palestiniens peuvent être contraints à la soumission en utilisant des barrages militaires et des coupures dans les aides pour les affamer, pas plus que par les avions de guerre israéliens, les missiles et les massacres, ou la mise en faillite de l’agence de réfugiés des Nations Unies, l’UNRWA. Cela étale uniquement leur ignorance. Ils ne savent rien des Palestiniens ni de leur adhésion obstinée à leurs droits, de leur croyance inébranlable en la justice de leur cause et de leur volonté de se sacrifier pour elle.
Kushner, son beau-père Trump, son entourage extrémiste sioniste et son mentor Benjamin Netanyahu imaginent que les Palestiniens attendent avec impatience leurs pots-de-vin et leurs projets de développement promis, qu’ils se prosterneront gentiment à leurs pieds et se plieront à toutes leurs exigences, comme le font certains de leurs alliés du Golfe. Ils sont sur le point de découvrir à quel point ils se sont trompés. Ils sont incapables de comprendre que les Palestiniens, ainsi que la grande majorité des Arabes et des musulmans, ont de la dignité et de l’estime de soi, et que la poignée de régimes arabes qui se prosternent devant les États-Unis et normalisent leurs relations avec Israël ne sont en rien leurs représentants et que ceux-ci devront un jour supporter des “retours de manivelle”.
Les Palestiniens ne veulent pas de la “prospérité” promise par Kushner et son “contrat”, et ne l’ont d’abord jamais demandée. Quelle prospérité peut-il y avoir sous l’occupation ou à la suite de l’abandon de leurs droits fondamentaux et de l’abandon de leur pays – dans son intégralité – pour une poignée de dollars nauséabonds ?
Le “président” palestinien Mahmoud Abbas a porté le coup de grâce au “Contrat du siècle” lorsqu’il a appelé lundi à un boycott de la conférence organisée par Kushner à Bahreïn. Il a déclaré lors d’un rassemblement que l’OLP n’accepterait jamais les conclusions de la réunion car ses organisateurs vendaient des illusions, et il a clairement recommandé aux organisateurs et à leur conférence “d’aller au diable”.
La conférence et la tournée de Kushner sont vouées à l’échec. Il suffit de voir la féroce réaction sur les médias sociaux jordaniens lorsqu’un seul député, Fawwaz Zoubi, a trouvé le moyen de tweeter que l’accord du siècle pourrait être bon pour la Jordanie… L’opinion publique jordanienne est bien consciente que cet accord empoisonné est le prélude à la création du Grand Israël, au détriment de la Jordanie et du monde arabe dans son ensemble. Le sentiment est partagé dans toute la région.
Les observateurs occidentaux ne doivent pas se laisser induire en erreur par la soumission et la connivence de quelques gouvernements arabes.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
28 mai 2019 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah