Par Robert Inlakesh
Les Occidentaux ont parfois du mal à comprendre les choix que le peuple palestinien se trouve obligé de faire, pourtant il suffit d’un bref regard sur l’histoire de ce peuple pour comprendre la logique qui sous-tend ses actions et sa lutte.
Il serait peut-être moins difficile pour les Occidentaux de comprendre et d’accepter les tactiques utilisées contre “Israël” si elles étaient replacées dans leur contexte.
La récente relance de la lutte armée en Cisjordanie occupée, ainsi que la relance des violentes attaques de guérilla à “Tel Aviv” ont pris le monde par surprise, au milieu du chaos qui se développe du fait de la guerre en Ukraine.
Cependant, beaucoup d’Occidentaux ne peuvent pas comprendre pourquoi la violence vient de redevenir le principal moyen de lutte contre le projet colonial en Palestine et, par conséquent, beaucoup d’Occidentaux ne se sentent pas capables de soutenir la lutte palestinienne dans de telles circonstances.
Comprendre le présent nécessite de se pencher sur l’histoire pour replacer la Résistance dans son contexte et la mettre en parallèle avec les luttes de libération nationale d’autres peuples à travers l’histoire.
En 1974, Yasser Arafat, alors président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a prononcé son célèbre discours du “rameau d’olivier” devant l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU).
Au cours de ce discours, après avoir déclaré qu’il était arrivé sur la scène mondiale en tenant dans une main l’arme d’un combattant de la liberté et dans l’autre un rameau d’olivier, il a lancé cet avertissement : “Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main”, et il l’a répété deux fois, dans les mêmes termes exactement, pour lui donner plus de poids.
C’est cette année-là, en 1974, que Yasser Arafat a décidé qu’en tant que chef de l’OLP, il suivrait la voie du dialogue pour établir un État palestinien. Bien que les pourparlers officiels entre l’OLP et “Israël” n’aient pas eu lieu avant la conférence de Madrid en 1991, l’OLP s’est progressivement engagée sur la voie du dialogue avec les États-Unis, ses alliés européens, puis avec les Israéliens.
Lors de la première intervention de l’OLP aux Nations-Unies, il n’y avait pas de délégation israélienne, car Israël considérait l’OLP comme une organisation terroriste.
La position israélienne était, à l’époque, de ne pas négocier avec “les terroristes” et de ne pas entretenir l’idée d’un État palestinien, et elle est toujours la même car les États-Unis – le principal allié de “Tel Aviv” – l’ont permis.
Bien que l’ancien président égyptien Anouar el-Sadate ait d’abord tenté, lors des accords de Camp David en 1978, d’intégrer la question palestinienne dans les pourparlers, il a finalement laissé tomber le peuple palestinien et a signé un accord de normalisation avec “Israël”, sans tenir compte du sort des autres pays arabes.
L’OLP a perdu le soutien réel de l’Égypte en 1979, mais elle était toujours puissante dans le monde arabe et bénéficiait d’un grand soutien diplomatique, financier et public.
L’OLP qui, tout en étant toujours considérée comme une organisation terroriste, avait la mission de remettre l’État de Palestine sur la carte, a continué à mener une guérilla contre le régime sioniste, par le biais des branches armées de ses différentes composantes.
Les groupes de résistance palestiniens ont lancé des attaques meurtrières contre “Israël”, y compris d’innombrables opérations commando.
Pendant cette période, “Israël” a autorisé des élections municipales dans les territoires palestiniens occupés depuis la guerre de juin 1967, mais l’État hébreu n’a jamais envisagé d’organiser des élections nationales palestiniennes ni de s’asseoir à la même table que les représentants palestiniens pour rechercher une solution sur la base de deux États.
Les Palestiniens ont donc continué à mener leur lutte armée de libération nationale, principalement depuis le Liban dans les années 1970.
Même après la guerre israélienne contre le Liban en 1982, qui a officiellement contraint l’OLP à se retirer du pays et a entraîné la mort de 15 000 à 20 000 Libanais et Palestiniens, la lutte armée s’est poursuivie.
Avec la signature des accords d’Oslo (1993-5), entre l’OLP et “Israël”, une nouvelle réalité s’est imposée sur le terrain pour le peuple palestinien vivant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Une Autorité palestinienne (AP), issue de l’OLP, a été créée et placée au pouvoir dans de petites parties de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées.
Le système des zones A, B et C a été mis en place en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, “Israël” conservant le contrôle total de la zone C, qui constitue aujourd’hui environ 60% de la Cisjordanie.
Avant les accords d’Oslo, le peuple palestinien de Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la partie orientale de Jérusalem occupée s’était soulevé massivement. Des manifestations de masse, des mouvements de boycott et, depuis 1987, des grèves générales ont mis l’armée d’occupation israélienne à rude épreuve.
Mais la révolte, l’Intifada, a été étouffée par le processus d’Oslo, qui promettait de créer un État palestinien avec la partie orientale de Jérusalem occupée comme capitale sur environ 22% de la Palestine historique.
Pendant des années, la violence a considérablement diminué du fait des promesses des accords d’Oslo, mais lorsqu’il est devenu clair qu’ “Israël” poursuivait l’expansion de ses colonies et ne respectait pas ses engagements au titre des accords d’Oslo, les gens ont commencé à se poser des questions.
Dans l’intervalle, l’Autorité palestinienne avait été placée au pouvoir dans les zones les plus peuplées des territoires occupés et se chargeait désormais du maintien de l’ordre dans des villes comme Ramallah, Jéricho et Naplouse, à la place des soldats israéliens, déchargeant ainsi l’armée israélienne d’un énorme fardeau.
À la fin des années 1990, le peuple palestinien était déçu et en colère et la violence a remonté d’un cran. Puis, en 2000, quand le chef de l’opposition israélienne de l’époque, Ariel Sharon, a pris d’assaut le complexe de la mosquée d’Al-Aqsa, la deuxième Intifada a éclaté.
L’Intifada d’Al-Aqsa, comme on l’appelle communément, a été beaucoup plus violente que la première Intifada et les Occidentaux s’en souviennent principalement à cause de l’augmentation massive des attentats suicides.
Yasser Arafat a alors été contraint de revenir à la lutte armée pour ne pas être distancé par les autres factions palestiniennes qui avaient gagné en popularité pendant la deuxième Intifada.
Mais sous la pression américaine, il a été contraint de créer un nouveau poste au sein de son AP, celui de Premier ministre palestinien. Après des années de lutte, Arafat est mort, victime d’un empoisonnement selon de nombreuses sources, bien qu’il n’existe aucune preuve concluante sur l’identité de l’empoisonneur ou la manière dont cela a pu se produire.
L’Intifada a pris fin avec la relance de l’Initiative de paix arabe, orchestrée par l’Arabie saoudite, qui promettait qu’en échange d’une solution à deux États, les pays arabes accepteraient de tisser non seulement des liens, mais aussi des relations commerciales et autres avec “Tel Aviv”.
Les pourparlers qui ont suivi la fin de la deuxième Intifada en 2005 n’ont mené nulle part. En novembre de la même année, “Israël” a été contraint de retirer ses forces et d’évacuer ses colons de la bande de Gaza.
En 2006, l’année suivante, le Hamas remporte les élections législatives palestiniennes, battant le parti Fatah au pouvoir.
Cependant, Mahmoud Abbas, le président de l’AP, rejette les résultats et participe au blocus occidental-israélien de la bande de Gaza. Malgré l’ “accord de La Mecque”, qui visait à établir un gouvernement d’unité entre le Hamas et le Fatah en février 2007, les États-Unis ont planifié un coup d’État contre le Hamas à Gaza, qui devait être mené par Mohammed Dahlan, alors chef des services de la sécurité préventive de l’AP.
Le coup d’État a été déjoué et le Hamas a déclaré la guerre au Fatah et l’a chassé de la bande de Gaza. Après ce combat, les Israéliens, avec la complicité de l’Égypte, ont décidé d’imposer un siège militaire encore plus strict à l’enclave côtière.
Depuis lors, “Israël” a mené au moins 9 campagnes militaires de grande envergure contre la bande de Gaza et a rendu le territoire invivable selon les experts des Nations-Unies.
La population de Cisjordanie, quant à elle, a assisté à l’expansion des colonies, à la militarisation et au vol des terres, sans aucune solution prévisible.
Dans la partie orientale de Jérusalem occupée, les forces d’occupation israéliennes ont expulsé des milliers de personnes de chez elles, ont détruit leurs maisons ou les ont données à des colons illégaux. Il n’y a eu aucune discussion sérieuse entre l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, et le régime israélien depuis plus de dix ans et l’AP refuse d’organiser des élections nationales.
Le Hamas, quant à lui, ainsi que la quasi-totalité des autres partis politiques palestiniens, à l’exception du Fatah, sont désignés comme des organisations terroristes par l’Occident et “Israël”.
L’Autorité palestinienne devient de plus en plus autoritaire en Cisjordanie et la clique en place amasse de grandes richesses pour elle-même, tout en collaborant à la “coordination de la sécurité” avec “Israël”.
Pendant longtemps, la lutte armée palestinienne s’est principalement limitée à la bande de Gaza, dont la population civile a payé très cher les tirs de roquettes et les opérations militaires des groupes armés contre “Israël”.
Cependant, ce tableau est en train de changer, Jénine et d’autres régions de Cisjordanie redeviennent des points chauds pour des groupes armés unis contre les forces d’occupation israéliennes, même les citoyens palestiniens d'”Israël” commettent des attentats.
Avant la fin des années 1960, la lutte armée palestinienne était menée par des Fedayin qui attaquaient “Israël” de toutes les directions et de tous les territoires. Ils infligeaient autant de pertes que possible à l’ennemi et se refusaient à envisager le moindre dialogue avec “Israël”.
Lorsque Yasser Arafat a dit à la communauté internationale de ne pas laisser tomber le rameau d’olivier de sa main, il lui recommandait, en fait, de faire pression sur “Israël” pour qu’il accepte le dialogue, faute de quoi, la résistance armée serait inévitable. Le rameau d’olivier est maintenant tombé par terre.
L’Autorité palestinienne a désormais absorbé l’OLP et agit comme une armée du Sud-Liban en Cisjordanie. “Israël” est revenu à sa rhétorique des années 1970, il n’envisage même pas de dialogue sur la question d’un État palestinien et considère le Hamas, le parti politique palestinien le plus populaire, comme une organisation terroriste.
Tel Aviv autorise les élections municipales en Cisjordanie, mais pas les élections nationales – législatives et présidentielles – et Washington entérine cette position par son silence, tout comme Bruxelles et Londres.
Nous sommes en quelque sorte revenus à la case départ, mais cette fois-ci le mouvement de libération palestinien a l’avantage. L’Autorité palestinienne n’a plus le monde arabe derrière elle, la plupart des régimes arabes ont normalisé leurs liens avec le régime sioniste et l’AP n’a aucun moyen de forcer “Israël” à la table des négociations.
L’AP a peu de légitimité auprès des personnes qu’elle prétend représenter en Cisjordanie, dont la plupart demandent la démission du président Mahmoud Abbas, elle a également peu de pouvoir au sein de la communauté internationale.
Nous voyons donc maintenant les Palestiniens prendre leur sort en main et faire revivre leur mouvement de libération nationale, lui donner une légitimité, forcer l’Occident et le reste du monde à les écouter et à respecter leurs droits à un État.
La lutte armée ne sera pas menée depuis l’extérieur de la Palestine, elle viendra de l’intérieur et ne fera que se renforcer à partir d’ici, la bande de Gaza étant le bastion de la lutte armée, au lieu du Liban ou de la Jordanie, comme autrefois. Les Palestiniens qui subissent ce qu’Amnesty International, Human Rights Watch et l’organisation “Israélienne” B’Tselem appellent un apartheid, continueront à se battre par tous les moyens nécessaires pour se débarrasser de ce système raciste.
Pour les Occidentaux, certaines des tactiques qui peuvent être utilisées contre “Israël” ne seront pas faciles à accepter, mais il est important de replacer tout cela dans son contexte.
Nous comprenons aujourd’hui que la lutte de l’ANC et d’autres organisations d’Afrique du Sud était justifiée, malgré la violence de certaines de leurs méthodes. Nous saluons la mémoire de Nelson Mandela, qui a été emprisonné parce qu’il refusait de condamner la lutte armée.
Lorsque nous pensons à la révolution haïtienne ou la révolution algérienne, nous replaçons toujours la violence des opprimés dans son contexte historique, nous devons faire la même chose avec la violence des Palestiniens contre “Israël”.
Il ne peut y avoir deux poids deux mesures lorsque nous analysons les luttes contre les oppresseurs. Si l’on choisit d’ignorer les raisons pour lesquelles la lutte armée connaît un renouveau en Palestine, alors la seule autre explication qui reste est que les Palestiniens sont violents par nature ou fous, ce qui est intrinsèquement raciste et s’inscrit dans un fil de pensée orientaliste.
Un Palestinien né en l’an 2000, et qui a donc 22 ans, n’a vu que la guerre. Il n’a jamais connu de période de dialogue entre ses dirigeants et le régime israélien. Il n’a connu que des guerres brutales, des bombardements incessants, des bourdonnements de drones, des points de contrôle militaires, des fusillades, des pénuries d’eau et de nourriture, des arrestations arbitraires, des démolitions de maisons et j’en passe.
Toutes ces souffrances ont abouti à quoi ? Davantage de colonies et moins d’espoirs de paix. Est-il donc surprenant que les jeunes générations disent aujourd’hui que trop c’est trop ?
La résistance que nous voyons aujourd’hui ne sera pas étouffée par de fausses promesses et ne se contentera plus de 22% de la Palestine, elle veut libérer toute la Palestine historique. Les méthodes agressives d'”Israël”, son refus de faire des compromis et le soutien occidental de ses exactions ont conduit à ce que nous voyons aujourd’hui.
Auteur : Robert Inlakesh
* Robert Inlakesh est un analyste politique, journaliste et réalisateur de documentaires actuellement basé à Londres, au Royaume-Uni. Il a rapporté et vécu dans les territoires palestiniens occupés et travaille actuellement avec Quds News et Press TV. Il est le réalisateur de Steal of the Century: Trump's Palestine-Israel Catastrophe. Suivez-le sur Twitter.
14 avril 2022 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet