Par Malak Hijazi
Nos espoirs d’un cessez-le-feu sont instrumentalisés contre nous. À chaque fois, les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales, les gros titres promettent une percée, puis tout s’écroule. Et à chaque fois, mes espoirs se brisent.
Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis accroché à l’espoir d’un cessez-le-feu, pour le voir ensuite réduit en poussière. La guerre à Gaza se poursuit alors que l’été 2024 touche à sa fin, et la promesse de mettre fin à toutes nos souffrances apparaît de plus en plus comme une cruelle illusion.
Chaque fois que les médias mentionnent de nouvelles négociations, je ressens une lueur d’espoir – une petite flamme fragile s’allume en moi : peut-être, juste peut-être, cette fois-ci sera différente. Mais mon cœur, au fond de moi, connaît trop bien le schéma.
Depuis que le temps s’est arrêté en octobre et que l’incertitude règne, ma vie s’est trouvée comme suspendue. J’ai fait la liste de ce que j’allais faire dès que la guerre prendrait fin : rétablir le contact avec mes proches qui sont dans le sud de Gaza et que je ne peux pas voir maintenant, prendre une grande bouffée de liberté, imaginer ce qui nous attend et faire le deuil de ceux qui ont perdu la vie.
À Gaza, pour le moment, nous n’avons pas le loisir de faire correctement notre deuil. Nos journées sont rythmées par une routine impitoyable : courir d’un endroit à l’autre pour échapper aux bombes, écouter les nouvelles, chercher de l’eau et de la nourriture, et ramasser du bois pour faire du feu.
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Encore et encore, le schéma familier se reproduit : les négociations échouent, les différents camps s’accusent mutuellement, et l’espoir glisse entre mes doigts comme du sable.
Chaque mois, on assiste au même scénario : les politiciens font des déclarations, les médiateurs font la navette entre les capitales et les gros titres annoncent une percée. Il y a quelques progrès, puis un pas en avant significatif, mais Israël refuse de faire la moindre concession, et tout s’écroule.
Un peu d’espoir, puis des massacres
Les habitants de Gaza sont victimes d’incessants massacres. Mais ils sont aussi les victimes du fait que leur espoir même est utilisé comme une arme contre eux. A l’ombre des négociations, Israël déclenche ses massacres les plus brutaux.
Au cours de ces dix mois de génocide, il y a eu d’innombrables moments où ma famille et moi-même nous sommes accrochés à l’espoir, avant qu’il ne soit brisé par un nouveau massacre. Encore et encore, nos espoirs ont été trahis, les miens et ceux de tous ceux que je connais.
Après le premier cessez-le-feu de novembre, il a été question de le prolonger et de mettre fin à la guerre. J’ai ressenti un bref réconfort, mais il a vite été anéanti.
Une semaine seulement après la rupture du cessez-le-feu, j’ai vécu le pire jour de ma vie. L’armée israélienne a envahi ma maison, nous obligeant, ma famille et moi, à partir en pleine nuit, sans téléphone ni lumière. J’étais terrifié, surtout lorsqu’un soldat israélien a menacé de nous tuer. J’étais terrorisé, les larmes coulaient sur mon visage pendant que nous avancions.
Nous avons finalement trouvé refuge dans un hôpital, où j’ai dormi sur un sol dégoûtant, avant de nous rendre chez un parent. Un mois plus tard, nous sommes revenus dans un quartier méconnaissable. Notre maison avait été partiellement détruite, et de nombreuses familles avaient entièrement perdu la leur.
En mars, ma tante nous a appelés, convaincue que la guerre prendrait fin avant le ramadan, d’après les nouvelles qu’elle avait eues. Elle était heureuse et pleine d’espoir, et nous parlait de ses projets pour après la guerre et des plats qu’elle allait cuisiner.
Mais peu de temps après, l’armée israélienne a envahi pour la deuxième fois l’hôpital al-Shifa et le quartier environnant, où vivait ma tante. Elle est restée enfermée chez elle pendant trois jours, en plein Ramadan, sans eau ni nourriture, terrifiée par le bruit des chars qui bombardaient aveuglément tout ce qui se trouvait autour d’eux.
Lorsque nous l’avons appelée, elle pleurait, sentant que la mort était proche. L’armée israélienne a fini par envahir sa maison, la forçant, elle, ses enfants et les voisins, à se déplacer à pied vers le sud, l’estomac vide, en marchant sur les corps des morts.
Avec l’appui US, les Israéliens font capoter la nième possibilité d’un cessez-le-feu
En mai 2024, le Hamas a fait savoir qu’il était prêt à accepter un cessez-le-feu proposé par le président américain Joe Biden. Pendant un bref instant, les gens ont cru que les horreurs de la guerre allaient enfin prendre fin.
Je me souviens parfaitement de ce jour. Les familles déplacées, réfugiées dans une école voisine, criaient de joie et faisaient la fête, toute heureuses à l’idée que la fin de leurs épouvantables souffrances approchait. Les voisins pleuraient de joie et mes petites nièces sautaient de joie.
Mais cette joie a été de courte durée. Dès le lendemain, Israël a lancé une invasion de Rafah, réduisant à néant le bref espoir qu’avait suscité la perspective de la fin des hostilités.
Chaque cycle de négociations est accompagné de ce que l’on appelle une « pression militaire » accrue sur le Hamas, ce qui se traduit souvent par l’assassinat de nouveaux Palestiniens. Israël emploie une stratégie qui consiste à commettre des crimes de guerre et des massacres pour faire échouer les négociations, comme brûler les tentes des personnes déplacées, tuer plus de 200 Palestiniens pour libérer quatre captifs israéliens, ou tuer 100 Palestiniens pendant les prières de l’aube.
Israël prétend que ces crimes sont nécessaires pour imposer ses conditions à un cessez-le-feu. Mais quelles sont ces conditions ? Israël ne souhaite pas vraiment la fin de la guerre.
Il ne cherche qu’une brève pause pour se réorganiser avant de revenir tuer d’autres Palestiniens.
Israël veut contrôler les corridors de Philadelphie et de Netzarim pour dominer indéfiniment la vie des Palestiniens, en bloquant l’accès à la nourriture et aux médicaments, en augmentant les restrictions de voyage et en rendant une fois de plus la vie à Gaza invivable. Et le régime d’occupation empêche toujours les Palestiniens de retourner dans leurs maisons au nord de Gaza.
Quand notre espoir est instrumentalisé contre nous
Après chaque échec des négociations pour un cessez-le-feu, je m’interroge sur l’objectif de la guerre en cours : Que veut vraiment Israël ? Une guerre régionale ? L’éradication complète des Palestiniens de Gaza ? Le déplacement forcé des Palestiniens vers l’Égypte ? Quels sont les plans qu’il élabore en secret ? Je me surprends à suranalyser chaque déclaration des dirigeants israéliens et des candidats à la présidence américaine.
Nos vies semblent contrôlées par des psychopathes criminels.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a affirmé qu’il n’y aurait pas de retrait des forces militaires israéliennes de Gaza. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie-t-il qu’ils peuvent envahir notre ville quand ils veulent, en tuant tout le monde sur leur passage et en détruisant toutes les maisons restantes ? Et pour combien de temps ? Deux, trois ou même dix ans ?
Serons-nous constamment menacés, devrons-nous vivre dans la crainte d’être tués ou blessés tout le reste de notre vie, si nous avons la chance de survivre ?
Cessez-le-feu : les manipulations sordides entre Israël et les États-Unis sautent aux yeux
La décision des Démocrates d’allouer 3,5 milliards de dollars supplémentaires à Israël après que Kamala Harris a appelé à la fin de la guerre est d’une remarquable hypocrisie. Ce double-jeu met en lumière toute la fourberie étasunienne. Combien d’enfants vont encore mourir ? Combien de maisons vont encore être détruites ? Combien de rêves vont encore être anéantis ?
Lorsque Donald Trump soutient l’élargissement des territoires d’Israël, qu’est-ce que cela implique ? Quelles sont les terres qui seront saisies ? Allons-nous être relocalisés de force dans le désert du Sinaï ?
Les États-Unis et Israël veulent tous deux une victoire militaire et un gain politique, le tout à nos dépens. Mais personne ne semble s’inquiéter de reconstruire Gaza.
Nos enfants doivent pourtant retourner à l’école et nous avons besoin d’universités et d’hôpitaux. Pendant que nous luttons pour reprendre en main nos vies et restaurer nos infrastructures, l’accent reste mis sur les objectifs politiques et militaires, sans tenir compte de nos besoins essentiels et nos perspectives d’avenir.
À l’approche du premier anniversaire de cette guerre, je me suis rendu compte que ces négociations de cessez-le-feu ne sont qu’une arme de plus dans cette guerre.
Elles nous font miroiter la promesse de mettre fin à cet holocauste, pour ensuite la réduire à néant lorsque nous tendons la main. J’entends le monde parler de la nécessité d’un cessez-le-feu, j’entends les discours et je vois les gros titres, mais ici, sur le terrain, rien ne change.
Les massacres se succèdent de plus en plus horribles, et les innocents qui rêvaient de la fin de la guerre meurent.
Je me demande quel était l’espoir de ceux qui ont été tués. Comme moi, ils faisaient des projets pour la fin de la guerre. Mais que faire d’autre ? Même celui qui se noie s’accroche à l’espoir d’une bouée de sauvetage.
Ce qui me permet de supporter le poids de la vie, c’est l’espoir, et ce qui me brise à chaque fois, c’est aussi l’espoir.
Auteur : Malak Hijazi
* Malak Hijazi est écrivaine et vit à Gaza. « Je suis une fille qui a des passions et des rêves, une fille qui fonde ses opinions sur des convictions fortes et qui enfreint les règles lorsque c'est nécessaire. Toutes les règles ne sont pas bonnes ou ne doivent pas être respectées. Je suis une fille qui aime écrire depuis l'âge de six ans, qui fait des livres ses meilleurs amis et qui croit qu'elle sera la personne qu'elle veut être si elle écoute son cœur. Enfin, je dis : « J'aime Dieu, mais je fais des erreurs dans ma vie. J'aime la pluie mais je porte un parapluie. J'aime le soleil mais je cherche l'ombre d'un arbre quand j'ai chaud ». Je suis un être humain normal qui croit en l'amour.
25 août 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet