Par Nadia Hijab
Au moment même où la révolte des Palestiniens contre l’occupation israélienne de près de 50 ans s’étendait de Jérusalem à tout le reste du Territoire palestinien occupé (OPT), Mahmoud Abbas levait le drapeau de la Palestine aux Nations Unies devant une foule de dignitaires.
La férocité de la réaction israélienne, – incendies, attaques par des milices et exécutions extrajudiciaires perpétrés par l’armée israélienne et les colons illégaux contre des Palestiniens non armés, notamment – remet en question le projet d’État palestinien.
Le projet d’un État palestinien était déjà menacé en raison des sérieuses limites imposées aux dirigeants palestiniens dans sa promotion. La société civile palestinienne est aussi limitée dans sa capacité à faire de l’État de Palestine un État souverain véritablement indépendant et à permettre à tous les Palestiniens, y compris aux réfugiés et aux citoyens d’Israël, de jouir de leurs droits fondamentaux. La directrice générale d’Al-Shabaka, Nadia Hijab, a parlé de ces limites dans le discours qu’elle a prononcé lors d’un récent séminaire à l’École de gouvernement Kennedy de l’Université Harvard et sur lequel cet article est basé.
La levée du drapeau : un moment de jubilation ou de désespoir ?
Lorsque le Président de la Palestine, Mahmoud Abbas, s’est adressé à l’Assemblée Générale le 30 septembre 2015, il a commencé par lancer un appel pathétique à la communauté internationale pour qu’elle sauve le peuple palestinien. Pendant environ les deux tiers de son discours, on a eu l’impression que le prétendu leader du peuple palestinien croyait que ni lui ni son peuple n’avaient personne à qui s’adresser pour contester l’occupation militaire prolongée d’Israël, l’inégalité subie par les citoyens palestiniens d’Israël, ou le refus de reconnaître le droit de retour des réfugiés.
Dans le dernier tiers de son discours, il a parlé tout à coup de la « bombe » qu’il promettait aux médias depuis plusieurs semaines. Il a officiellement appelé l’ONU à la protection internationale du peuple palestinien. Il a dit que les Palestiniens ne respecteraient plus les accords avec Israël tant qu’Israël ne les respecterait pas et qu’Israël devait assumer ses responsabilités en tant que puissance occupante. Il a également déclaré que la Palestine continuerait à adhérer aux conventions et outils internationaux et à les utiliser.
Bien qu’Abbas ait donné une impression de fermeté, il n’a pas dit une seule chose sur laquelle il ne pourrait pas revenir si les négociations reprenaient. Il n’a pas non plus annoncé la fin de l’odieuse collaboration répressive entre Israël et les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (AP) formées aux États-Unis et en Europe.
Le discours et la cérémonie de levée de drapeaux aux Nations Unies a-t-il été un moment de jubilation ou de désespoir pour le peuple palestinien? Il faut se poser la question parce que la perspective de la reconnaissance des droits universels des Palestiniens semble s’éloigner de plus en plus étant donné que rien ni personne n’a encore été capable d’arrêter le projet de colonisation implacable d’Israël des deux côtés de la Ligne verte.
La capacité de l’OLP/Palestine de faire avancer le projet d’un État est limitée
Pour l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la principale stratégie a récemment consisté à obtenir la reconnaissance étatique et les prérogatives d’un l’État. Elle a fait son premier pas dans cette direction en 2011 et à la fin de cette année-là, la Palestine est devenue membre à part entière de l’UNESCO, provoquant l’interruption du financement américain de cette dernière par décision du Congrès. Ensuite l’OLP a obtenu le statut d’observateur non membre pour la Palestine à l’Assemblée générale des Nations Unies, en 2012, en allant devant l’Assemblée générale après que les États-Unis aient bloqué ses efforts pour obtenir un vote majoritaire au Conseil de sécurité.
Après que les négociations avec Israël sous l’égide de Kerry aient définitivement échoué en avril 2014, l’OLP/Palestine a cherché à devenir membre de la Cour pénale internationale. À la fin de l’année, les États-Unis ont bloqué une résolution sur la création d’un État palestinien sans avoir à utiliser leur droit de veto, et en janvier 2015, la Palestine a ratifié le Statut de Rome et 15 autres traités. Le 1er avril, elle est officiellement devenue membre de la Cour pénale internationale. En fait, la Palestine a ratifié ou accédé à un total de 44 traités et conventions.
Cependant, tous ces acquis n’ont pas été pleinement mis à profit et ils restent plus symboliques que réellement efficaces. Par exemple, selon une analyse de Nidal Sliman et Valentina Azarova d’Al-Shabaka, la Palestine n’a pas pleinement exploité les avantages de son appartenance à l’UNESCO après avoir ratifié la constitution de l’UNESCO et adhéré à huit autres conventions et protocoles connexes de l’UNESCO.
L’OLP/Palestine a bien pris certaines mesures pour empêcher Israël d’inscrire les sites du patrimoine palestinien sur sa liste nationale et d’inscrire des sites du patrimoine mondial palestinien. Mais la Palestine aurait pu utiliser, et peut encore utiliser, son statut de membre de l’UNESCO pour réaffirmer sa souveraineté sur ses terres et ses zones maritimes – et elle peut obliger des États tiers à demander des comptes à Israël. En outre, l’un des protocoles de l’UNESCO que la Palestine a signés prévoit également la responsabilité pénale individuelle et des sanctions en vertu du principe de la compétence universelle.
L’adhésion de l’OLP/Palestine à l’UNESCO n’a pas permis d’échapper à l’habitude de privilégier l’action symbolique plutôt que l’action concrète. Si l’OLP se consacrait vraiment à explorer toutes les voies légales pour garantir les droits des Palestiniens, elle aurait pu tirer profit de l’Avis consultatif de la Cour Internationale de Justice sur le mur de séparation d’Israël, après sa construction en 2004.
L’Avis consultatif non seulement jugeait le Mur illégal, mais ajoutait qu’Israël devait réparer tous les dommages causés. Il affirmait que les colonies violaient le droit international et que la Cisjordanie et Gaza, Jérusalem-Est compris, étaient occupées. Peut-être la conclusion la plus importante de la Cour était-elle que tous les États étaient tenus de ne pas considérer la situation comme légale et de cesser toute assistance financière ou autre à Israël contribuant à la maintenir.
Comme Diana Buttu, la conseillère politique d’Al-Shabaka, et moi-même l’avons souligné, même si les opinions consultatives ne sont pas juridiquement contraignantes, la Cour énonce la loi. Les pays qui croient au droit – comme les États membres de l’Union Européenne – accordent de l’attention à ses décisions.
Ce dernier point est essentiel car l’OLP aurait pu faire valoir avec force et constance aux États européens et aux autres États que leurs relations avec Israël présentaient des risques juridiques et économiques pour leur autorité. Et pourtant, ils ne l’ont pas fait. Comme l’a dit un des responsables palestiniens qui ont joué un rôle majeur dans le succès de la présentation palestinienne à la CIJ, plusieurs mois après la publication de l’avis : « Notre victoire à la CIJ était un trésor, un trésor national, et ils n’en ont rien fait. »
Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l’Union Européenne (UE), compte tenu de ses efforts pour créer un corpus juridique. Comme l’a déclaré un représentant de l’UE lors d’une réunion privée l’année dernière : Il est important de faire comprendre à Israël que les colonies sont une mauvaise chose non seulement parce qu’elles violent les droits palestiniens, mais aussi parce que leur illégalité compromet les efforts des Européens pour construire un système international de droits à respecter.
Peut-on imaginer ce que serait le statut de la Palestine, aujourd’hui, si l’OLP avait effectivement utilisé l’Avis consultatif il y a 11 ans ? Les colonies illégales et les colons auraient-ils proliféré à un tel rythme ? Est-ce que la population palestinienne de la zone C, 60% de la Cisjordanie qui est sous le seul contrôle d’Israël en vertu des désastreux Accords d’Oslo, aurait autant diminué, et cela en dépit des projets attaqués par les pro-israéliens de l’Union européenne ? Est-ce que Jérusalem vivrait le cauchemar qu’elle vit maintenant, avec, en plus, sa population qui s’étiole sans cesse ?
C’est pourquoi tant de Palestiniens n’ont plus grand espoir en l’OLP/Palestine aujourd’hui. Les moyens existent depuis longtemps: ils devaient juste les utiliser au mieux – et ils ne l’ont pas fait.
Quant à l’adhésion de la Palestine à la Cour pénale internationale (CPI), elle n’est pas négligeable, mais il y a des obstacles. D’une part, la CPI prend très lentement ses décisions. Comme Valentina Azarova l’a expliqué dans un mémoire d’orientation, cela peut prendre les années à la CPI pour ouvrir une enquête et plusieurs autres pour publier des actes d’accusation; en Afghanistan et en Colombie, les examens préliminaires de la CPI ont pris près de 10 ans. Parmi les questions qui peuvent ralentir les choses, citons le caractère fortement politisé du conflit israélo-palestinien, les ressources limitées du Procureur et le manque de coopération de l’État israélien. Il est difficile d’imaginer qu’Israël puisse collaborer activement avec la CPI pour enquêter sur ses crimes de guerre et sur la construction des colonies, bien qu’il prétende respecter la Cour.
Il y a de réelles limites à la capacité de l’OLP/Palestine de concrétiser le projet d’État palestinien. Elle ne veut pas, ou ne peut pas, tirer pleinement parti des moyens juridiques ou autres dont elle dispose, et elle ne veut pas non plus réduire la coordination répressive avec Israël. Elle est coincée dans le statu quo et elle sait qu’une décision énergique entraînerait de terribles représailles des États-Unis et d’Israël, notamment une réduction de l’aide et une restriction de la liberté de mouvements déjà limitée des Palestiniens.
Les efforts de la société civile palestinienne pour obliger Israël à rendre des comptes
Ces dernières années, l’étape la plus importante dans ce sens, a été, évidemment, l’Appel de la société civile palestinienne, en 2005, au boycott, désinvestissement et sanctions qui est largement connu sous le nom de BDS et qui a mobilisé la société civile internationale en faveur des droits des Palestiniens. Il convient de noter que l’Appel a été lancé un an, jour pour jour, après la décision de la Cour Internationale de Justice sur le Mur, en partie parce que l’OLP ne profitait pas des possibilités offertes pour contester l’occupation israélienne.
Il est certain que les efforts de la société civile palestinienne et internationale pour qu’Israël rende des comptes sont antérieurs à l’appel BDS. Dans les Territoires occupés, plusieurs organisations de défense des droits de l’homme comme Al-Haq et des organisations locales telles que Stop the Wall Campaign étaient déjà en activité, ainsi que des syndicats et des associations de femmes, entre autres.
Aux États-Unis, par exemple, une coalition de groupes de la société civile, y compris des églises et des organisations locales, appelée la Campagne américaine pour mettre fin à l’occupation israélienne s’est créée en 2001 et 2002. Cette coalition comprend maintenant quelque 400 organisations à travers le pays. De plus, à l’heure actuelle, de nombreux militants pour les droits de l’homme palestiniens et l’égalité pour tous aux États-Unis et en Europe sont juifs. Jewish Voice for Peace, qui est aujourd’hui une organisation nationale avec quelque 200 000 membres et plus de 60 chapitres a officiellement signé l’Appel BDS cette année.
L’Appel BDS est capital parce qu’il a fourni une direction palestinienne aux efforts disparates des militants et a effectivement engendré un mouvement plus grand que la somme de ses parties. Par exemple, il a permis de mettre en place des actions mondiales. En première place de la liste des actions citoyennes, au-delà du boycott des produits de colonisation israéliens, on trouve le Désinvestissement des entreprises impliquées dans les colonies illégales et les mécanismes de contrôle israéliens de la population, comme Veolia, Elbit, HP et G4S.
Prenons Veolia, par exemple. Après près de sept ans d’actions ciblées des militants de la Solidarité palestinienne visant à empêcher le renouvellement de ses contrats de gestion de déchets et d’autres services dans des endroits aussi éloignés que Birmingham et Bordeaux, parmi beaucoup d’autres actions dans le monde entier, Veolia a renoncé à ses activités en Israël. Elles comprenaient des lignes de bus sur les routes d’Apartheid dans les Territoires occupés, des services aux colonies illégales israéliennes, et le tramway de Jérusalem, qui relie les colonies à Israël. On estime que Veolia a perdu plus de 20 milliards de dollars de contrats dans le monde. De telles actions envoient naturellement un signal à toutes les entreprises qui font des affaires avec Israël.
La prise de conscience croissante, en Europe et ailleurs, des risques liés aux relations avec les entités israéliennes, conjuguée à un militantisme citoyen, a contribué au désinvestissement tant dans les Églises américaines que dans les fonds européens de retraite des entreprises qui profitent de l’occupation israélienne. Dès 2009, la caisse de retraite nationale suédoise AP7 a suivi la banque néerlandaise ASN en excluant de son portefeuille le géant français des transports Alstom.
En 2015, la plus grande caisse de retraite de Norvège, KLP, a exclu deux sociétés de son portefeuille en raison de « leur exploitation des ressources naturelles sur le territoire occupé de Cisjordanie ». Leur décision était basée sur « un examen du droit international applicable », dans lequel ils ont noté que « l’ouverture d’une carrière en territoire occupé est, selon toute probabilité, incompatible » avec le droit international.
L’appel de la société civile au BDS est important pour deux autres raisons qui sont aussi significatives sinon plus que l’utilisation stratégique du boycott et du désinvestissement.
Premièrement, il a conduit à la mise en place d’une direction palestinienne représentative – même si celle-ci s’est articulée autour d’une stratégie spécifique – qui n’existe nulle part ailleurs à l’heure actuelle. L’appel initial a été co-signé par plus de 170 organisations de la société civile, syndicats, associations de femmes et associations professionnelles, entre autres. En 2007, le Comité national du BDS (CNB) a été créé – à la suite de la première Conférence palestinienne BDS tenue à Ramallah en 2007 – pour conseiller et coordonner la campagne BDS dans le monde.
Outre les représentants des organisations de la société civile, le CNB comprend des représentants du Conseil des forces nationales et islamiques, un organe qui regroupe tous les partis politiques palestiniens des Territoires palestiniens occupés, et où les décisions sont prises par consensus.
L’autre raison pour laquelle l’Appel BDS est si important, c’est qu’il rappelle aux Palestiniens les objectifs pour lesquels ils luttent : l’autodétermination et les trois autres objectifs : la fin de l’occupation, l’égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël, et le droit au retour des réfugiés. Du fait que l’OLP acceptait compromis sur compromis sans rien obtenir en retour, beaucoup de Palestiniens ont perdu de vue leurs objectifs – un désastre pour un mouvement national, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le CBN et l’Appel BDS ne soutiennent pas officiellement le mouvement national palestinien. Mais, grâce à l’appel de 2005, l’éducation et le militantisme pour les droits des Palestiniens poursuivent de plus en plus ces trois objectifs. De plus, chaque objectif est en lien avec les droits d’une partie du peuple palestinien : la Liberté fait référence à la fin de l’occupation israélienne du territoire palestinien conquis en 1967; la Justice aux droits des réfugiés palestiniens; et l’Égalité aux droits des citoyens palestiniens d’Israël.
On croit souvent à tort que le mouvement BDS est contre l’existence d’Israël comme État. Ce n’est pas vrai. L’appel lui-même se fonde sur le droit plutôt que sur la politique, et le CNB ne prend pas partie sur l’issue finale d’un ou deux États. En outre, l’Appel concerne aussi directement les droits des citoyens palestiniens d’Israël et appelle les Israéliens qui ont une conscience à soutenir la campagne du BDS. Les partisans du BDS soulignent qu’ils sont contre l’état colonial et d’apartheid d’Israël qui privilégie les Juifs israéliens, tout comme le monde entier était contre l’état d’apartheid en Afrique du Sud. L’Afrique du Sud existe encore: l’apartheid, non (du moins pas en Afrique du Sud).
En outre, selon des sources fiables, la plupart des membres individuels du CNB soutiennent la solution à deux États. De plus, la plupart des églises et des fonds de pension américains et européens, qui se désinvestissent de l’occupation israélienne, ciblent les activités israéliennes au-delà de la Ligne Verte et non pas en Israël même (bien qu’il soit difficile de faire la différence car les institutions éducatives, financières et gouvernementales israéliennes sont inextricablement imbriquées dans le projet de colonisation illégale d’Israël.)
Le mouvement du BDS est maintenant perçu comme si puissant, y compris par Israël et ses alliés aux États-Unis, que des millions sont dépensés pour l’arrêter dans son élan aux États-Unis. En juin, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a appelé à un « large front » pour combattre le boycott, et le milliardaire américain de droite Sheldon Adelson a convoqué un sommet à Las Vegas pour lutter contre le BDS spécialement dans les campus. Il y a aussi des efforts importants pour faire passer des règlements universitaires qui assimilent la critique de la politique d’Israël à de l’antisémitisme et pour pousser les États à adopter des résolutions interdisant de faire des affaires avec les entreprises qui boycottent les institutions qui profitent de l’occupation israélienne.
C’est amusant, si l’on peut dire, de voir jusqu’où vont Israël et de ses partisans pour faire avancer leur projet de colonisation, s’approprier toute la Cisjordanie et mettre en place une « solution » d’apartheid à un État. Au contraire, la plupart des partisans du mouvement du BDS, y compris de nombreux membres de la direction du CNB, continuent de soutenir la solution à deux États.
D’autres initiatives de la société civile palestinienne sont en cours. En Europe, des organisations de défense des droits de l’homme et des groupes tels que Mattin cherchent à tirer parti de l’obligation de l’UE et de différents pays de respecter leurs propres lois dans le domaine de la protection des consommateurs, des droits de l’homme et du droit international, notamment. Ajoutés les uns aux autres, ces efforts, ainsi que le militantisme de la société civile autour du BDS et des droits des Palestiniens, ont commencé à porter leurs fruits. Des pays ont commencé à étiqueter les produits des colonies et les lignes directrices de l’UE en 2013 ont interdit expressément les subventions et les prêts de l’UE aux activités israéliennes dans les Territoires palestiniens occupés (dont Jérusalem-Est). Pourtant, même si les directives d’étiquetage sont pleinement mises en œuvre, elles ne sont qu’une sanction très légère ; l’UE devrait interdire complètement les produits des colonies sur ses marchés et prendre d’autres sanctions pour arrêter l’occupation israélienne.
Il est également important de signaler que certains pays européens – dont le Royaume-Uni, la France et l’Espagne – ont décidé que les entreprises pourraient être soumises à des poursuites judiciaires pour tout ce qui concerne les « ressources foncières, hydriques, minérales et autres ressources naturelles » et les « risques à leur réputation », s’ils faisaient des affaires avec les colonies. Bien que ce soient des avertissements non contraignants, les entreprises n’aiment pas aller là où il y a des risques. Par exemple, le Conseil européen des relations extérieures a publié un rapport révolutionnaire proposant une série de mesures que les Européens pourraient adopter pour distinguer leurs relations avec Israël de leur relation avec les colonies et soutenir la solution à deux États tout en respectant leurs propres lois. Ils ont ciblé le secteur bancaire israélien, provoquant une baisse du capital de quatre banques israéliennes.
Aux États-Unis, après avoir réussi à convaincre des Églises d’arrêter d’investir dans des entreprises qui travaillent dans les colonies, certaines organisations locales – comme le Comité Américain de services aux Amis, la Voix Juive pour la Paix et la Campagne américaine pour mettre fin à la Coalition Israélienne de l’Occupation -, se sont mises à faire du lobbying à Capitol Hill (Congrès) qui commence à engranger des succès. Par exemple, Betty McCollum, qui est au Congrès, a rédigé une lettre « Cher Collègue », sur la pratique israélienne de détenir des enfants palestiniens, qui a été signée par 19 membres du Congrès, grâce à ce lobbying.
Tout comme les limites de l’OLP/Palestine sont claires, les limites de la société civile palestinienne et le mouvement de solidarité internationale sont également claires tout en étant différentes, évidemment. En réalité, il n’existe pas de leadership national qui puisse tirer parti des succès de la société civile pour avancer, et il y a peu de collaboration entre la société civile et l’OLP/Palestine dans leurs entreprises respectives. Tout cela réduit énormément la capacité des deux camps à obtenir des résultats politiques significatifs sur le terrain.
Alors que la société civile et le mouvement de solidarité internationale progressent, l’OLP/Palestine avance prudemment, craignant les réactions et les mesures de rétorsion, se contentant de progrès très modestes comme l’étiquetage des produits des colonies, au lieu de réclamer des sanctions internationales contre la colonisation israélienne de la Cisjordanie et le siège de la Bande de Gaza.
Pire encore, la violence de la répression exercée par les forces de sécurité palestiniennes et leur intolérance à la critique ne fait que croître. A la fin du mois de septembre, par exemple, elles ont réprimé les manifestations à Bethléem organisées en protestation de l’attaque d’un jeune Palestinien par les forces de sécurité, lors d’un rassemblement en soutien de la mosquée Al-Aqsa. Les manifestants ont appelé à la démission du gouverneur de la ville et à l’éviction d’Abbas. Il est ironique que la plus grande liberté dont jouisse la société civile palestinienne soit celle de travailler à l’étranger.
De plus, la fragmentation du corps politique palestinien se poursuit. Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, M. Abbas a parlé de sa détermination à préserver l’unité de la terre et du peuple, mais – clairement en réaction à l’annonce que le Hamas négociait une longue trêve avec Israël – il a déclaré qu’il ne voulait pas accepter de solutions temporaires ni un État fragmenté. Il y a des craintes qu’après le départ d’Abbas, l’OLP et son principal parti politique Fatah ne se fragmentent davantage. Et il y a des craintes qu’un état policier – ou plutôt qu’une série de petits états policiers ne s’instaurent.
Les perspectives sont sombres à court terme. Cependant, à moyen et à long terme, il y a un mouvement de militantisme dans la société civile dans le monde entier, et les États européens prennent de plus en plus de mesures qui font des brèches dans la colonisation israélienne du territoire palestinien occupé. Bientôt, une forme quelconque de leadership palestinien émergera qui représentera mieux les aspirations et les droits du peuple palestinien. Ce n’est pas aussi improbable qu’il y paraît : un tel leadership a émergé pendant la première Intifada. Un leadership qui avait une stratégie claire et efficace a émergé avec l’appel BDS. Et un leadership est apparu aussi de manière inattendue cette année parmi les citoyens palestiniens d’Israël. Quand un leadership national palestinien émergera, il trouvera le terrain tout prêt pour conduire le peuple palestinien vers la liberté, la justice et l’égalité.
Auteur : Nadia Hijab
26 octobre 2015 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet