Par Gideon Levy
Qu’ils aillent au diable. Maudit soit Rafael Gana, le directeur adjoint de l’administration pénitentiaire israélienne, qui a écrit au ministre de l’Intérieur : “Votre demande ne remplit pas les conditions préalables à sa prise en compte.”
Au diable Katy Perry, la directrice de l’administration pénitentiaire israélienne, qui a approuvé la décision. Maudit soit le ministre de la sécurité publique Omer Bar Lev, le lâche sans cœur, qui n’a pas levé le petit doigt pour changer cette décision diabolique. Et par-dessus tout, que le Shin Bet soit maudit, car il est probablement derrière cette décision, comme il l’est derrière bien plus que nous ne le savons.
Maudits soient tous ceux qui sont complices de cette décision sadique de ne pas libérer Khalida Jarrar de prison pour qu’elle puisse assister aux funérailles de sa fille.
Maudit soit ce nouveau gouvernement, qui prétendait annoncer un changement, et dont aucun des ministres n’a agi pour s’opposer aux institutions maléfiques qui ont décidé de laisser Jarrar en prison. Pas même les ministres Merav Michaeli et Tamar Zandberg, qui ont vraisemblablement beaucoup plus en commun avec la féministe laïque combattante de la liberté Jarrar qu’avec leur collègue Ayelet Shaked.
Et maudits soient les médias israéliens, qui, à l’exception de ce journal, ne se sont pas intéressés à cette histoire, qui a été rapportée dans le monde entier mais pas en Israël.
Jarrar est une prisonnière politique. Après une série d’arrestations sans procès, elle a été condamnée à deux ans de prison pour “appartenance à une organisation illégale”, dans un pays où il n’existe aucune organisation autorisée aux Palestiniens.
La libération de Jarrar est prévue pour le 25 septembre, soit dans deux mois environ. Tous les dangers existentiels qui guettent le pays à sa libération seront prêts à resurgir dans deux mois…
Dimanche, sa fille Suha a été retrouvée morte, apparemment d’un arrêt cardiaque. Le corps de Suha a été retrouvé environ cinq heures après sa mort, après que sa sœur au Canada n’ait pas réussi à la joindre par téléphone et ait demandé à des amis de forcer l’entrée de la maison. Ghassan, le père de Suha, se trouvait à Jénine à ce moment-là et s’est précipité chez elle.
Les Jarrar ont deux filles : Suha, qui a obtenu une maîtrise en changement climatique au Canada et travaillait pour le groupe de défense des droits de l’homme Al Haq à Ramallah, et Yafa, qui a obtenu un doctorat en droit au Canada et y réside.
Je n’oublierai jamais ce moment dans le tribunal militaire d’Ofer, à l’été 2015 : Yafa, Suha et Ghassan dans le public, Khalida sur le banc des accusés, et l’officier de l’administration pénitentiaire israélienne, Bassam Kashkush, qui a soudainement permis aux deux jeunes femmes de s’approcher de leur mère et de l’embrasser.
Même le directeur de la prison a eu les larmes aux yeux. C’était interdit, contraire au règlement, mais ce que l’agent Kashkush a osé permettre, dans un rare moment d’humanité et de compassion, l’État d’Israël, le chef de l’administration pénitentiaire et le ministre de l’intérieur ne l’ont pas fait.
Tout ce qu’il fallait, c’était un minuscule degré d’humanité. Tout ce qui manquait, c’était une quantité minime d’humanité.
“Il avait une mère, après tout”, a écrit le poète Nathan Alterman. Ils sont aussi des parents, après tout, Katy et Omer et les agents du Shin Bet. Sont-ils capables d’imaginer ce que cela signifie de perdre une fille encore jeune et de ne pas pouvoir aller à ses funérailles ? De ne pas être avec son père et sa sœur pendant leur tragédie ? De faire son deuil dans une cellule de la prison de Damon ? Entendre parler de la mort de leur fille sur Radio Palestine ?
Quoi d’autre ? Que dire d’autre sur l’insensibilité israélienne, si ce n’est une chose : Jarrar est un être humain, mais pour la plupart des Israéliens, elle ne l’est pas. Elle est une terroriste, bien qu’elle n’ait jamais été condamnée pour terrorisme, et elle est Palestinienne et fière de l’être, et c’est encore pire, apparemment.
Le lendemain de la mort de Suha, alors qu’il y avait encore un espoir que Jarrar soit libérée, la grande salle de réception du centre de Ramallah était remplie de monde. Toute la gauche laïque de la ville est venue se joindre à Ghassan, qui restait si seul dans son deuil. Il a pleuré et pleuré, et tout le monde a pleuré avec lui.
Fadwa Barghouti, la femme de Marwan, qui était assise à côté de moi, a dit que leur fils Aarab rendait en ce moment visite à son père en prison pour la première fois depuis l’apparition du coronavirus. Il est le seul membre de la famille à être autorisé à rendre visite à Marwan. Fadwa n’est pas autorisée à rendre visite à son mari, et Khalida n’est pas autorisée à assister aux funérailles de sa fille.
La cruauté israélienne, quelle horreur !
Auteur : Gideon Levy
* Gidéon Lévy, né en 1955, à Tel-Aviv, est journaliste israélien et membre de la direction du quotidien Ha’aretz. Il vit dans les territoires palestiniens sous occupation. Gideon Levy a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996.Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009. Son compte Twitter.
15 juillet 2021 – Haaretz – Traduction : Chronique de Palestine