Par Kit Klarenberg, Asa Winstanley
The Electronic Intifada s’est procuré des documents fuités qui révèlent l’étendue de l’infiltration des services de renseignement britanniques au cœur des forces de l’Autorité palestinienne ; un officier militaire britannique va même jusqu’à leur donner des « directives quotidiennes ».
Les documents décrivent en détail la manière dont l’équivoque entreprise de conseil britannique Adam Smith International (ASI) a influencé l’Autorité palestinienne pendant près de 15 ans.
Ils révèlent l’existence de plusieurs conseillers du renseignement militaire, dont les noms sont cités pour la première fois.
Deux des agents britanniques, dont un probable officier du MI6, ont travaillé en étroite collaboration avec des espions israéliens.
Il apparaît dans les dossiers que certains membres du personnel de l’ASI, qui ont conseillé l’Autorité palestinienne, ont également travaillé sur le projet controversé de « police syrienne libre » dirigé par ASI.
Ce programme a utilisé des fonds du gouvernement britannique pour soutenir des groupes liés à Al-Qaïda qui luttent contre le gouvernement syrien – sans le savoir, selon ASI.
ASI forme l’Autorité palestinienne à Ramallah, Jéricho et en Jordanie, sous le commandement d’un général américain et en coordination avec Israël.
Electronic Intifada a utilisé les mêmes documents fuités pour révéler en février que l’entreprise avait mis en place un projet secret du gouvernement britannique pour espionner les camps de réfugiés palestiniens, pour évaluer la « critique de la politique étrangère occidentale et israélienne ».
Sans commentaire
Electronic Intifada vous donne à lire des extraits des fichiers au cours de cet article et certains documents complets à la fin. Les documents sont accessibles au public sur un site de partage de fichiers depuis le mois d’octobre de l’année dernière. Electronic Intifada a choisi de ne publier que les fichiers qu’elle a examinés et jugés d’intérêt public.
L’ASI s’est refusée à tout commentaire, nous renvoyant au Foreign Office pour toute question « concernant un projet particulier ». Le porte-parole du ministère britannique des affaires étrangères a refusé de nous parler.
The Electronic Intifada en déduit que l’ASI a ordonné aux personnes nommées dans les documents divulgués de ne pas répondre aux questions.
« Il est important que vous ne répondiez pas à ces demandes d’information et que vous nous fassiez savoir si vous êtes contactés », a écrit le directeur de l’ASI, Daniel Pimlott, dans un courriel interne dont The Electronic Intifada a eu connaissance.
« L’Electronic Intifada n’est pas un média crédible et a un penchant pro-russe », affirme-t-il.
« N’oubliez pas les clauses de confidentialité que vous avez signées et vos obligations envers le gouvernement britannique », a-t-il ajouté, une menace implicite à quiconque envisagerait de s’exprimer.
L’Autorité palestinienne a toujours été une force de collaboration brutale au service de l’occupation israélienne. Son dirigeant, Mahmoud Abbas, a qualifié de « sacrée » la collaboration avec Israël en matière de sécurité.
En 2021, des semaines de manifestations ont eu lieu après que les hommes de main d’Abbas ont battu à mort Nizar Banat, l’un de ses plus importants critiques, qui dénonçait souvent la collaboration d’Abas dans des vidéos populaires sur Facebook.
L’un des principaux objectifs des États-Unis dans la région est de maintenir l’Autorité palestinienne au pouvoir.
Pour atteindre cet objectif, ils ont créé le poste de coordinateur étasunien de la sécurité pour Israël et l’Autorité palestinienne.
Le poste a été créé en 2005 et la première personne à occuper cette fonction était Keith Dayton, un général de l’armée américaine.
En 2007, Dayton a joué un rôle déterminant dans un coup d’État soutenu par la CIA contre les dirigeants élus de l’Autorité palestinienne. L’aile politique du Hamas avait remporté les élections législatives de 2006, à la fureur d’Israël et des États-Unis.
Le coup d’État a échoué dans la bande de Gaza, mais a réussi en Cisjordanie, entraînant une scission amère et parfois violente entre le Hamas et le Fatah, la faction d’Abbas.
Les formateurs britanniques
Les fichiers divulgués sont des offres de service d’ASI pour des contrats avec le gouvernement britannique, pour la plupart dans d’autres pays que la Palestine.
Dans ces offres, ASI cite souvent sa formation des forces armées de l’Autorité palestinienne comme preuve de son aptitude à décrocher d’autres contrats lucratifs, révélant au passage des noms et des détails inconnus jusqu’alors.
La formation de l’Autorité palestinienne par ASI est placée sous les auspices de la « British Support Team », financée par le ministère de la défense et gérée par ASI sous les auspices du coordinateur américain de la sécurité.
L’un des documents divulgués, qui fait partie d’une offre de 2019 pour un projet en Tunisie, dit que la mission d’ASI a été « d’aider le gouvernement britannique à renforcer les capacités des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne » pendant « plus de 10 ans ».
Un obscur message publié sur LinkedIn par l’un des entrepreneurs militaires d’ASI confirme ces détails.
Il a été rédigé par Anthony Malkin, un ancien colonel de l’armée britannique et officier de renseignement militaire.
Affirmant parler couramment l’arabe, Malkin décrit comment, à partir de 2013, il a créé une académie de formation de l’Autorité palestinienne et préparé des cours pour les officiers.
Bien que le message de Malkin ne nomme pas ASI – faisant seulement allusion à « une société de conseil internationale pour le développement » – son profil LinkedIn mentionne l’entreprise comme l’un de ses employeurs.
Le message publié sur LinkedIn correspond bien aux informations qu’on trouve dans les dossiers d’ASI, bien que ces derniers ne mentionnent pas le nom de Malkin.
Mais un dossier datant de 2015 semble faire référence à lui ; il y est décrit comme « un conseiller technique militaire spécialisé » qui est « un ancien chef de la formation au leadership à l’Académie militaire royale de Sandhurst » et qui était alors « le seul consultant international intégré à ce niveau élevé » au sein des forces armées de l’Autorité palestinienne.
Le conseiller a « développé un programme de leadership actif de neuf mois avec plus de 1700 plans de cours en anglais et en arabe », selon le dossier.
Le post de Malkin sur LinkedIn confirme qu’il a organisé une « formation au leadership des officiers … pendant neuf mois » qui s’est terminé par un « exercice spécial de quatre semaines en Jordanie, basé sur Sandhurst ».
A quelles exigences répond cette formation ?
Selon son post sur LinkedIn, Malkin s’est assuré de former les forces de l’Autorité palestinienne à mener des « raids dans les camps de réfugiés palestiniens » qui, selon lui, sont des « sanctuaires où les criminels et les activistes politiques armés sont à l’abri de la loi ».
Dans un autre document de l’ASI, la Palestine est décrite comme l’un des « pays prioritaires » du « Conflict, Security and Stability Fund », un fonds commun de 1,6 milliard de dollars du gouvernement britannique pour les projets d’ingérence mondiale, qui finance souvent les projets de l’ASI.
Une commission parlementaire l’a décrit comme une « caisse noire » qui ne répond pas aux besoins de la sécurité nationale du Royaume-Uni.
Un document d’ASI rédigé dans le cadre d’une offre de 2019 pour un contrat de « réforme de la police » en Jordanie indique que près de 7 millions de dollars de fonds du gouvernement britannique ont été dépensés pour l’équipe de soutien britannique depuis 2012.
Selon le document, les fonds provenaient du ministère de la Défense.
Cependant, selon le post de Malkin, le projet était – au moins au départ – également financé par l’armée américaine.
Un autre document de l’ASI datant de 2019 montre l’étendue de la pénétration du gouvernement britannique dans l’Autorité palestinienne sous les auspices de l’impérialisme américain.
Il indique que « les conseillers de l’ASI qui ‘assistent’ l’Autorité palestinienne font de fréquents rapports » à des responsables du gouvernement britannique, et « dans le cas des [territoires palestiniens occupés], reçoivent des directives quotidiennes d’un officier supérieur britannique en service. »
Bien que les documents divulgués ne semblent faire référence à Malkin que de manière indirecte, d’autres superviseurs britanniques sont explicitement nommés.
Une offre de 2016 pour le projet « Police syrienne libre » d’ASI nomme l’ancien officier de renseignement de l’armée britannique David Robson en tant que directeur principal du « soutien à la réforme du secteur de la sécurité dans les territoires palestiniens occupés ».
Le document vante de manière alléchante la « brillante carrière militaire » de Robson, au cours de laquelle il a « opéré aux plus hauts niveaux politiques et stratégiques ».
Mais M. Robson est plus loquace sur sa page LinkedIn.
On y apprend qu’il a été colonel de « domination informationnelle » en tant que conseiller en renseignement auprès du chef de l’armée britannique entre 2007 et 2010. Il a ensuite été commandant de la 1ère brigade de transmissions, une unité de l’armée du Royaume-Uni et de l’OTAN.
L’ancien officier du renseignement militaire britannique, David Robson, a formé les forces de l’Autorité palestinienne et a ensuite dirigé un programme d’aide à Al-Qaïda en Syrie.
Il est ensuite devenu officier supérieur britannique pour le coordinateur de la sécurité des États-Unis à Ramallah, travaillant avec les forces de l’Autorité palestinienne entre 2012 et 2015.
Robson a ensuite été embauché par ASI pour diriger son programme en Syrie, « suivre et gérer les risques affectant AJACS » – le programme « Accès à la justice et à la sécurité communautaire » qui dirigeait la police syrienne libre.
Le financement britannique du projet a été interrompu après qu’un documentaire de la BBC de 2017 a montré des preuves qu’ASI aidait Al-Qaïda.
Malgré le scandale, Robson a continué à travailler avec les forces armées de l’Autorité palestinienne, et même en tant qu’expert militaire pour l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens à Jérusalem, comme l’indique sa page LinkedIn.
D’autres personnes sont citées dans les dossiers de l’ASI comme travaillant également avec les services de renseignement israéliens.
Michael Frayne, ancien agent de protection rapprochée de la police métropolitaine de Londres et de la Royal Ulster Constabulary d’Irlande du Nord, est cité comme futur responsable de la sécurité dans une offre de l’ASI de 2016 pour un projet financé par le ministère des Affaires étrangères au Soudan du Sud.
Le document décrit son expérience et le désigne comme collaborateur du Shin Bet, la police secrète israélienne, « contre les organisations terroristes à base islamique ».
Un personnage plus important du nom de John Deverell est nommé dans une offre de l’ASI sur la « réforme » de la sécurité en Tunisie.
Ancien brigadier de l’armée britannique, ce diplômé de Sandhurst, qui parle arabe, a déjà « rendu compte personnellement au ministre des affaires étrangères David Miliband », un homme politique du parti travailliste en poste entre 2007 et 2010.
Le curriculum vitae de John Deverell de l’ASI indique qu’en 2007, il a commencé à superviser l’Autorité palestinienne à Ramallah, en tant qu’autre conseiller du coordinateur de la sécurité des États-Unis.
M. Deverell avait déjà travaillé pour le général américain Dayton en tant qu’adjoint en Irak, peu après l’invasion illégale américano-britannique.
Le curriculum vitae indique également Deverell a été « commandant adjoint » du « renseignement opérationnel » en Irak.
Interrogé à ce sujet, Deverell a déclaré à The Electronic Intifada qu’il n’avait jamais été officier du renseignement militaire et qu’ « à aucun moment, pendant mon séjour en Cisjordanie, je n’ai rendu compte aux services de renseignement militaire britanniques ou préparé des rapports pour eux ».
Dans le curriculum vitae de Deverell à l’ASI, on trouve une recommandation très élogieuse de Dayton : « Le meilleur esprit stratégique de haut niveau que j’ai jamais rencontré ».
Pendant deux ans, selon les dossiers, Deverell « a été le premier fonctionnaire britannique à vivre et à travailler à plein temps dans les territoires palestiniens [sic] depuis la fin du mandat britannique » en 1948.
Dans ses fonctions, la priorité de Deverell était de soutenir Salam Fayyad, alors « premier ministre » non élu et imposé par les États-Unis de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.
Selon les dossiers de l’ASI, Deverell a travaillé sur « l’amélioration des opérations de sécurité aux points de passage entre Israël et Gaza ».
ASI affirme que Deverell « a contribué à améliorer la vie des Palestiniens », mais seulement « dans le cadre des objectifs stratégiques visant à encourager leurs modérés [lire : Fatah contre Hamas] et à donner confiance aux Israéliens ».
Dans sa réponse à The Electronic Intifada, Deverell confirme avoir informé David Miliband « de temps en temps », mais nie avoir participé au coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis : « J’ai commencé à travailler et à vivre en Cisjordanie en 2007, après que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza, et non pendant la période qui a précédé ce moment ».
Il a également nié avoir participé « à quelque aspect que ce soit des opérations de sécurité à la frontière entre Israël et Gaza, et je n’ai jamais donné de conseils à ce sujet ».
Interrogé dans un courriel de suivi sur le fait que son CV indiquait le contraire, il a répondu : « Je m’en tiens à ce que j’ai dit. Il ne m’appartient pas de commenter ce qu’ASI a dit de moi ».
L’ASI a refusé de dire si oui ou non elle avait menti au gouvernement. Le ministère des affaires étrangères a également refusé de faire des commentaires.
Alors que le curriculum vitae de Deverell donne l’impression qu’il était impliqué dans le renseignement militaire, une autre personne citée dans l’offre d’ASI pour la Tunisie ressemble à un officier du MI6 – un espion de l’agence de renseignement britannique à l’étranger.
La nature même d’un tel poste fait qu’il est presque impossible de le prouver avec certitude. Mais si l’on en croit les dossiers d’ASI, David Haines est au minimum un agent du MI6 au sein du service diplomatique britannique.
Haines est décrit dans l’appel d’offres pour la Tunisie comme « un ancien diplomate de haut rang » qui a des décennies d’expérience dans la « lutte contre le terrorisme ». Des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni ont une longue tradition de dissimulation de leurs espions sous une couverture diplomatique.
Selon l’offre de services de l’ASI, M. Haines a dirigé le « programme de renforcement des capacités des services de renseignement omanais » du gouvernement britannique et parle couramment l’arabe. Sur la page LinkedIn de M. Haines, cette fonction est décrite en termes légèrement plus euphémiques comme « la gestion d’une partie des relations du Royaume-Uni avec Oman dans les domaines de la sécurité et des relations internationales ».
Il est fort probable qu’un diplomate chargé d’une mission de renseignement aussi sensible ait au moins des liens très étroits avec les services de renseignement britanniques, s’il n’est pas lui-même membre d’une telle agence.
La ligne la plus révélatrice du CV de Haines à l’ASI précise qu’il bénéficie d’une « habilitation de sécurité de niveau DV ».
Le « Developed Vetting (DV) » est le plus haut des cinq principaux niveaux du contrôle de sécurité nationale du gouvernement britannique. Ceux qui le réussissent – y compris tous les officiers du MI6 – peuvent bénéficier d’un accès « régulier et libre » à des dossiers de sécurité très secrets et à des codes, ainsi qu’à des services de renseignement étrangers.
M. Haines est présenté dans l’offre de service de l’ASI à la Tunisie comme un conseiller en matière de renseignement.
Selon l’offre, il a dirigé des équipes qui gèrent la coopération sur les enquêtes « antiterroristes » « entre les services de sécurité d’Oman, d’Égypte, d’Irak, du Nigeria et d’Israël/OPT et leurs homologues [du gouvernement britannique] ».
En d’autres termes, il gérait la coopération entre les espions britanniques et israéliens.
Son profil LinkedIn indique qu’il était basé au consulat britannique de Jérusalem au milieu des années 1990, où il aidait l’Autorité palestinienne à s’établir « en mettant particulièrement l’accent sur le renforcement des capacités » – un langage similaire à celui qu’il utilisera plus tard pour développer les services de renseignement omanais.
L’argent
Certaines des offres de l’ASI contiennent des budgets détaillés, donnant une indication du type d’honoraires demandés par les consultants de l’organisation.
Les dossiers montrent que David Robson a reçu 285 000 dollars pour diriger le programme « AJACS » d’ASI en Syrie entre 2015 et 2016.
L’offre de service à la Tunisie n’est pas accompagnée d’une ventilation détaillée du budget, ce qui signifie que nous ne savons pas combien John Deverell et David Haines ont été payés. Mais le projet dans son ensemble a reçu près de 500 000 dollars de fonds du gouvernement britannique.
On ne sait pas ce qu’il est advenu de cette mission.
David Haines a reçu près de 43 000 dollars pour 52 jours de travail sur une autre mission de renseignement de l’ASI en Jordanie en 2018, qui a été financé par le Foreign Office.
Michael Frayne a reçu 23 000 dollars pour 40 jours de travail au Soudan du Sud en 2017 et 2018.
Partenaires impérialistes de second rang
Anthony Malkin, Michael Frayne et David Robson n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.
David Haines n’a pas répondu à une demande de commentaire envoyée par le service de presse du ministère des Affaires étrangères.
Les dossiers de l’ASI donnent de nouvelles indications importantes sur le rôle que joue le Royaume-Uni en tant que partenaire junior de l’empire américain.
Les documents montrent clairement le rôle que les forces militaires et de renseignement britanniques jouent en Cisjordanie, sous le contrôle général des États-Unis.
En fin de compte, les trois entités – les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Autorité palestinienne – collaborent avec Israël et son occupation de la Palestine.
* Asa Winstanley est un journaliste indépendant basé à Londres qui séjourne régulièrement dans les TPO. Son premier livre « Corporate Complicity in Israel’s Occupation » est publié chez Pluto Press. Voir son site web * Kit Klarenberg est journaliste d'investigation qui soumet à enquête le rôle des services de renseignement dans le modelage de la politique et des campagnes de propagande associées. Collaborateur -entre autres médias - de la chaîne d’information anglophone iranienne Press TV, il vit en Serbie. Son compte Twitter.Auteur : Asa Winstanley
Auteur : Kit Klarenberg
31 mai 2023 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet