Par Huda Skaik
Depuis Gaza, Huda Skaik se demande pourquoi, face à tant de morts et de destructions, le monde semble incapable ou peu désireux de réagir à ces horreurs.
Au fur et à mesure que le temps passe à Gaza, la douleur et la destruction s’intensifient, alors que le monde extérieur continue à fonctionner normalement. Ma famille, mon peuple et moi-même luttons pour survivre.
Jour après jour, notre souffrance ne fait que s’amplifier. Gaza, qui était autrefois une ville animée, ressemble aujourd’hui à une ville fantôme. C’est devenu l’enfer sur terre. Partout où nous regardons, les choses sont en ruine et il ne reste que des débris des bâtiments qui s’y trouvaient auparavant, les rues sont totalement détruites, les murs sont transpercés par des éclats d’obus et les décombres nous submergent. Les bombardements incessants d’Israël ont transformé notre maison en champ de bataille.
Le ciel au-dessus de nous est perpétuellement obscurci par la fumée des frappes aériennes, et le sol sous nos pieds tremble toujours. Il est également imprégné du sang d’innombrables martyrs, dont beaucoup gisent sous les décombres.
Les bulldozers israéliens ont tout emporté – terres, oliviers – tandis que leurs avions n’ont laissé aucune trace. Les balles des quadricoptères pleuvent sur les habitants de Gaza.
C’est notre nouvelle normalité à Gaza.
En pleine guerre, nous nous retirons tôt chaque soir pour chercher refuge dans des chambres ou des tentes bondées où les familles se réunissent, affrontant ensemble un avenir incertain. Le silence qui nous enveloppe porte le poids de la peur qui s’empare de nos cœurs à chaque bruit fort et inquiétant des missiles.
Nous n’avons pas nécessairement peur de la mort, mais de perdre ceux qui nous sont chers, d’être blessés ou déplacés par des attaques aveugles, et de voir nos maisons – symboles de nos vies et de nos rêves – détruites en un instant par ceux qui cherchent à effacer notre existence.
La réalité obsédante
L’occupation israélienne vise non seulement nos structures physiques, mais aussi nos leaders intellectuels et culturels – professeurs, médecins, journalistes. À chaque perte, le savoir et le potentiel de notre communauté meurent un peu plus aussi.
En juillet dernier, le journaliste Ismail Al-Ghoul a été assassiné alors qu’il couvrait les événements dans le nord de Gaza. Il a été tué simplement pour avoir fait son travail, pour avoir mis en lumière les dangers auxquels les journalistes sont confrontés. Sa mort, ainsi que celle du photo-journaliste Rami Al-Rifi, a laissé un vide profond dans nos cœurs. La petite fille d’Ismail, Zina, fait désormais partie des nombreux orphelins laissés dans la foulée, tandis que sa femme doit faire face à une vie toute seule.
Une chose est sûre, nous ne pardonnerons jamais à l’occupation d’avoir versé le sang de notre peuple bien-aimé, sinon nous aurions l’impression de tuer les martyrs une fois de plus.
À chaque instant, le spectre obsédant de la mort nous confronte à l’insoutenable réalité de notre existence. Nous, les survivants, ne vivons pas vraiment ; chaque respiration est une agonie pour nous.
Nous nous demandons quelle raison d’être nous reste au milieu d’une telle dévastation, et comment nous pouvons honorer la mémoire de ceux qui nous ont été enlevés. Il y a un étrange réconfort à savoir que ceux qui ne sont plus parmi nous sont au moins à l’abri de nouvelles souffrances.
Les enfants de Gaza ont également perdu leur innocence depuis longtemps, car ils passent leurs journées à faire de longues queues pour obtenir de l’eau et de la nourriture. Leurs écoles ont été transformées en abris pour les personnes déplacées. Leurs cours de récréation sont marquées par les restes d’obus et d’éclats d’obus, où les rires résonnent faiblement contre les murs des bâtiments ravagés par la guerre.
La peur de l’avenir est omniprésente parmi les habitants de Gaza, car chaque perte leur fait prendre conscience de lendemains incertains.
Ils craignent également d’être oubliés.
C’est l’angoisse silencieuse de voir le monde avancer.
Nous ne voulons pas que nos histoires soient réduites à de simples statistiques, que nos voix soient noyées dans le flot incessant du discours géopolitique.
Épuisés
L’occupation inflige des blessures physiques et psychologiques qui nous laissent épuisés.
Nous sommes tourmentés par les pensées du pire destin possible – mourir seul, écrasé sous les décombres, ou endurer des souffrances inimaginables aux mains de nos oppresseurs.
Les traitements médicaux sont rares et les professionnels de la santé travaillent dans des conditions épouvantables. Un médecin, Hany Besiso, a dû opérer la jambe de sa nièce sur sa table à manger avec un couteau de cuisine, une éponge à vaisselle, de l’eau et du savon. C’est le seul équipement auquel il avait accès.
Un autre médecin, Hosam Abu Safia, a dû enterrer son propre fils près d’un hôpital. « Tout ce que nous avons construit, les Israéliens l’ont brûlé. Ils ont brûlé nos cœurs », a-t-il déclaré dans un clip vidéo qui a circulé, la voix emplie de tristesse. « Ils ont tué mon fils parce que je suis porteur d’un message humanitaire », explique-t-il.
Au milieu de tout cela, nous n’oublions jamais nos détenus. Nous entendons des récits sur les mauvais traitements qu’ils subissent, les coups, les électrocutions, les viols et les conditions déshumanisantes dans lesquelles ils sont maintenus. Certains prisonniers, comme le Dr Adnan Al-Bursh, ont été tués de sang-froid alors qu’ils étaient torturés.
Israël veut une élimination totale
Tout est pourri en Israël, tout. Ils s’amusent à imaginer les pires façons de nous tuer et de nous torturer.
L’occupation israélienne, par ce génocide, cherche à effacer toute trace de l’existence palestinienne. Elle cherche à nous déraciner, mais elle échouera, car notre terre vit dans nos cœurs.
Je me sens impuissante face à une telle souffrance, même si j’essaie de rester forte malgré la douleur. Mais je ne peux m’empêcher de me demander comment un parent peut supporter l’enterrement de son enfant et être censé continuer à vivre. Je me demande si les gens du monde entier peuvent voir des images d’un père tenant des morceaux de son fils et rester indifférents. Quand l’humanité se réveillera-t-elle ?
Combien de Palestiniens devront encore souffrir avant que le monde ne prenne des mesures ?
Quand nous, les déplacés, retournerons-nous dans le nord de Gaza ? Je me languis de la brise de la ville de Gaza, où se trouvait ma maison détruite.
À Gaza, chaque jour continue de se dérouler dans la danse délicate entre la peur et la résilience. Au milieu des ombres de l’incertitude, il reste une lueur d’espoir, un phare qui éclaire le chemin vers un avenir où la peur cède la place à la paix parce que, malgré tout, elle nous pousse à aller de l’avant.
Auteur : Huda Skaik
* Huda Saik est étudiante en littérature anglaise à l'université islamique de Gaza. Elle rêve d'un avenir de professeur, de poète et d'écrivain. Elle croit au pouvoir de la narration et des mots qui résonnent avec l'esprit des Palestiniens. Elle cherche à éclairer l'essence de Gaza, en partageant sa signification profonde avec le monde.
13 novembre 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau