Par Ali Hammoud
Pour Malcolm X, le sionisme faisait inextricablement parti du colonialisme européen. Dans un passage peu connu écrit juste avant son assassinat, il a clairement indiqué qu’il considérait le sionisme comme une menace non seulement pour la Palestine, mais aussi pour l’ensemble du tiers-monde.
Le génocide en cours à Gaza, associé à la récente commémoration du martyre de Malcolm X, a ranimé l’intérêt porté aux écrits et déclarations du célèbre activiste sur la Palestine.
Mais ce n’est pas en lisant une des Autobiographies de Malcolm X qu’on apprendra grand-chose ; en effet, elles ne comportent aucune mention du voyage de Malcolm à Gaza en 1964, ni de son article cinglant intitulé « Zionist Logic » (la logique sioniste). Même les biographies célèbres de Malcolm X, telles que « The Dead Are Arising » de Les Payne et « A Life of Reinvention » de Manning Marable, passent sous silence cette visite à Gaza et les écrits de Malcolm sur la Palestine.
Marable va jusqu’à affirmer que le point de vue de Malcolm sur la Palestine n’était que de l’opportunisme politique, un coup d’éclat destiné à obtenir le soutien du président égyptien Jamal Abdul Nasser. Ce refus de prendre en compte cette partie cruciale de la vie de Malcolm fait perdre de vue qu’il avait développé une vision internationaliste et qu’il considérait le sionisme comme une menace non seulement pour la Palestine, mais aussi pour l’ensemble du tiers-monde.
Le 5 septembre 1964, Malcolm X se rend à Gaza – alors sous le contrôle de l’Égypte – où il passe deux jours. Il visite le camp de réfugiés de Khan Younis et un hôpital local et se mêle aux habitants et aux personnalités.
La rencontre qui l’a peut-être le plus marqué, est celle, imprévue, du célèbre poète palestinien Harun Hashim Rashid. Malcolm a été visiblement ému par l’horrible expérience de ce dernier et par son récit de la crise de Suez, survenue près de dix ans plus tôt, au cours de laquelle des centaines de Palestiniens avaient été assassinés par l’armée d’occupation.
En outre, les notes du journal de Malcolm montrent qu’il admirait la poésie de Rashid, puisqu’il a retranscrit à la hâte son poème intitulé « We Must Return » (Nous devons revenir).
Nous devons revenir
Aucune frontière ne devrait exister
Aucun obstacle ne peut nous arrêter
Réfugiés, criez : « Nous reviendrons »
Dites aux monts : « Nous reviendrons »
Dites aux ruelles : « Nous reviendrons »
Nous revivrons notre jeunesse
La Palestine nous appelle à nous armer
Nous sommes armés et nous allons nous battre
Nous devons revenir
Après sa rencontre avec Rashid, Malcolm s’est entretenu avec des chefs religieux et a participé à la prière du soir de la congrégation. Il a noté dans son journal que « l’esprit d’Allah était fort » à Gaza.
La visite à Gaza a inspiré à Malcolm son article le plus célèbre sur le sionisme. Publié dans The Egyptian Gazette le 17 septembre 1964, « Zionist Logic » est une critique cinglante du sionisme et prouve que Malcolm considérait le sionisme comme une menace non seulement pour la Palestine, mais aussi pour le tiers monde dans son ensemble. Dans son essai, il écrit :
« Les sionistes israéliens sont convaincus d’avoir réussi à camoufler leur nouveau type de colonialisme. Leur colonialisme semble plus ‘bienveillant’, plus ‘philanthropique’, un système qui leur permet d’assurer leur domination en amenant tout bonnement leurs victimes potentielles à accepter les offres amicales d’ ‘aide’ économique et autres cadeaux alléchants qu’ils font miroiter aux nations africaines nouvellement indépendantes, dont les économies connaissent de grandes difficultés… C’est ainsi que le pouvoir et l’influence de l’Israël sioniste sur de nombreuses nations africaines nouvellement ‘indépendantes’ sont rapidement devenus aussi pesants et oppressifs que ceux des colons européens du 18è siècle … et ce nouveau type de colonialisme sioniste ne diffère que par la forme et la méthode, mais sa motivation et son objectif sont exactement les mêmes. »
Malcolm établit ici des parallèles avec le colonialisme européen et les destructions qu’il a provoquées dans le tiers-monde au cours des siècles précédents.
Pour Malcolm, le sionisme est inextricablement lié au colonialisme européen au sens large, c’est sa version la plus récente et elle a été élaborée pour soumettre le tiers-monde. Pour faire face à cette entreprise coloniale de grande ampleur, Malcolm implore les dirigeants et les peuples du tiers-monde de s’unir et de rejeter les propositions trompeuses des puissances coloniales.
Ce que j’ai écrit ci-dessus a fait l’objet d’une certaine couverture publique, mais un document crucial, qui se trouve en annexe de « The Dead Are Arising », n’a pas encore reçu l’attention qu’il mérite. Le directeur général du Centre islamique de Genève avait posé à Malcolm X neuf questions sur sa vie, sa foi et son espoir en l’avenir, auxquelles Malcolm a répondu de manière franche et incisive.
Il a tapé la réponse à la dernière question le matin du 21 février 1965. Il s’agit, à ma connaissance, du dernier document qu’il a écrit. Il témoigne de la vision internationaliste qu’il développait et il montre que Malcom X voyait dans le sionisme, une menace non seulement pour la Palestine, mais aussi pour l’ensemble du tiers-monde. La voilà :
Question : L’Afrique semble avoir capté la majeure partie de votre attention et de vos préoccupations. Pourquoi ? Et maintenant que vous l’avez visitée presque entièrement, où pensez-vous que se situe l’Islam ? Et que pourrait-on faire, à votre avis, pour le sauver à la fois de la stupidité de beaucoup ou même de la plupart de ceux qui sont considérés comme les champions de sa cause et de l’influence malveillante et perfide du sionisme, de l’athéisme et du fanatisme religieux anti-islam ?
Réponse : Je considère l’Afrique comme ma patrie. Je souhaite avant tout qu’elle se libère complètement de l’influence politique et économique extérieure qui l’a dominée et exploitée. L’Afrique, de par sa position stratégique, est confrontée à une véritable crise.
Les vautours coloniaux n’ont pas l’intention d’y renoncer sans combattre. Leur arme principale reste « diviser pour régner ». En Afrique de l’Est, un fort sentiment anti-asiatique est entretenu [sic] parmi les Africains. En Afrique de l’Ouest, il y a un fort sentiment anti-arabe. Là où il y a des Arabes ou des Asiatiques, il y a un fort sentiment anti-musulman.
Ces hostilités ne sont pas initiées par les acteurs que j’ai mentionnés. Ils n’ont rien à gagner à se battre entre eux à ce stade. Ceux qui en profitent le plus sont les anciens maîtres coloniaux qui ont maintenant remplacé le colonialisme et l’impérialisme haïs par le sionisme.
Les sionistes ont devancé tous les autres groupes d’intérêt dans la course actuelle pour dominer le Continent qui nous a donné la vie. Ils utilisent une approche tellement bienveillante et philanthropique qu’il est difficile pour leurs victimes de voir clair dans leurs plans. Le sionisme est encore plus dangereux que le communisme parce qu’il a pris une apparence plus acceptable, ce qui le rend plus efficace dans la destruction.
L’image des Arabes étant presque inséparable de l’image de l’Islam, le monde arabe a une responsabilité multiple qu’il doit assumer. L’Islam étant une religion de Fraternité et d’Unité, ceux qui prennent la tête de cette religion ont le devoir de donner l’exemple de la Fraternité et de l’Unité. Il est impératif que Le Caire et La Mecque (le Conseil suprême des affaires islamiques et la Ligue mondiale musulmane) organisent une conférence religieuse « au sommet » et fassent preuve d’un plus grand degré de préoccupation et de responsabilité à l’égard de la situation actuelle du monde musulman, faute de quoi d’autres forces se lèveront au sein de la génération actuelle de jeunes musulmans qui se projettent vers l’avenir, et s’empareront du pouvoir. ALLAH PEUT FACILEMENT FAIRE CELA.
Quelques heures après avoir tapé cette réponse, Malcolm X a été assassiné à l’Audobon Ballroom à New York. Il avait 39 ans.
Auteur : Ali Hammoud
* Ali Hammoud est candidat au doctorat à la Western Sydney University, enseignant/tuteur à temps partiel. Il s'intéresse de manière générale à l'histoire du Shīʿīsm et des intellectuels islamiques. Ses écrits ont été publiés dans les journaux suivants : Sydney Review of Books, The Guardian, The Conversation, Mondoweiss.
23 mars 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet