Tamer, le papa de Mira, a quitté Gaza en avril dernier. Il était pharmacien et espérait bâtir une nouvelle vie pour sa famille en Europe.
Après un voyage par route vers la Turquie, Tamer prit place dans un bateau surchargé faisant cap vers la Grèce. Arrivé là, il emprunta un chemin plein de détours destinés à éviter la police des frontières.
A partir de la Grèce, Tamer trouva le moyen d’arriver en Albanie ensuite en Serbie, en se déplaçant surtout à pied. Son plan était d’abord d’atteindre la Belgique à travers l’ancienne Yougoslavie ensuite de là, l’Italie et la France.
Le 11 août, Tamer appela au téléphone sa femme, Marwa. « Il me dit qu’il projetait de traverser les forêts de Bosnie-Herzégovine et qu’il mettrait six jours pour atteindre la Croatie ». « Ce fut la dernière fois que j’entendis sa voix ».
Alors qu’il traversait les forêts de Bosnie, Tamer se blessa au bras et comme sa blessure ne fut pas soignée à temps, il devint très malade.
Quelques jours plus tard, la famille de Tamer fut informée par un hôpital bosnien qu’il était mort d’empoisonnement du sang. Il avait 38 ans.
Tamer possédait une pharmacie à Gaza. « Mais il fut obligé de la vendre parce que la situation économique s’était détériorée » nous déclara Marwa. « Il décida alors d’émigrer afin de trouver du travail à l’extérieur de Gaza ».
Engagé dans l’action en faveur des démunis, Tamer avait pris part à des campagnes visant à obtenir l’effacement des dettes de ceux qui étaient incapables de les payer. En mars de cette année, il fut arrêté par la police de Gaza pour avoir participé aux protestations contre les coupures d’électricité.
Tamer était le père de deux garçons et d’une fille. Sa femme, Marwa, était enceinte d’un autre garçon.
« Je vais prénommer le garçon « Tamer », comme son père qui ne le saura jamais. »
Avant de partir, Tamer planta une vigne. Il demanda que ses enfants la protègent jusqu’à son retour.
« Je ferai de mon mieux pour en prendre soin comme me l’a demandé Papa et je suis sûr qu’il sera très heureux de l’apprendre » a déclaré Wissam, son fils âgé de neuf ans.
Départs en masse
Peu de temps après la mort de Tamer, des informations émanant des milieux officiels israéliens indiquèrent qu’Israël mettait en œuvre une politique poussant les Palestiniens à quitter Gaza en masse. En 2018, 35 000 résidents de Gaza ont émigré.
Ces départs massifs ont été facilités par le blocus qu’Israël impose à Gaza depuis 12 ans.
Les possibilités d’emploi dans le territoire son extrêmement limitées. Environ 52% de de la force de travail de Gaza était au chômage en 2018.
Le taux de chômage dans la tranche d’âge 18-29 ans est particulièrement élevé. D’après le Bureau Central Palestinien des Statistiques, ce taux a grimpé de 53% à 69% entre 2008 et l’année dernière.
J’ai mené un sondage sur 20 jeunes gens, la plupart diplômés de l’université. 18 ont répondu qu’ils projetaient de quitter Gaza dans un avenir proche.
Les répondants se mirent en colère quand ils apprirent qu’Israël menait une politique délibérée poussant les résidents de Gaza à émigrer.
Il fallait qu’ils s’en aillent, tel était leur sentiment, mais dans le même temps, ils ne voulaient absolument pas que leur départ soit considéré comme répondant au désir d’Israël. Afin de marquer cela symboliquement, beaucoup d’entre eux jurèrent de ne pas prendre l’avion à partir de Tel Aviv.
Ahmad al Hindi, un musicien au chômage qui a obtenu son diplôme à l’Université al Azhar de Gaza en 2016, fait partie de ceux qui se préparent à partir. Voici ce qu’il dit : « je préférerais mourir que d’émigrer à partir d’un aéroport israélien ».
Une grande prison
Mon beau-frère , Muhammad Abu al-Tarabeesh, émigra de Gaza en septembre 2018.
Il avait étudié la comptabilité à l’Université de Palestine à Gaza mais avait dû interrompre son cursus parce que sa famille était incapable de payer les frais de scolarité.
Âge maintenant de 26 ans, Muhammad est parti en Europe en quête de meilleures opportunités. Il a voyagé à travers la Turquie pendant un mois pour ensuite prendre un bateau vers la Grèce. Une traversée qu’il décrit comme terrifiante.
Pendant la plus grande partie de l’année dernière, Muhammad est resté confiné dans une caravane dans l’île grecque de Leros.
Il vit dans un camp géré par L’UNHCR, l’agence de l’ONU pour les réfugiés.
Le camp a été élogieusement décrit comme un “modèle” par l’agence elle-même.
Mais Muhammad a un point de vue différent. « C’est comme une grande prison avec deux ouvertures, l’une pour entrer l’autre pour sortir. » Et il ajoute : « On est toujours en régime de haute sécurité. On mange et on va au lit à des heures précises et on est traité comme de simples matricules ».
Chaque caravane fait 6 mètres sur 3 et abrite en moyenne 12 personnes, d’après Muhammad.
Il doit se contenter d’attendre pendant que sa demande d’asile est étudiée. On ne lui a pas encore dit si le traitement de son dossier avait connu un quelconque progrès.
Notre famille est inquiète à propos de Muhammad mais elle sait qu’il est vivant et en sécurité – au moins pour le moment – ce qui la réconforte.
Noyés
On ne peut malheureusement pas dire la même chose à propos de de beaucoup d’autres émigrants.
Saleh Hamad, âgé de 22 ans, quitta Gaza avec sa famille au début du mois de juin de cette année. Ils allèrent vers la Turquie et de là, prirent à la fin du mois le bateau pour la Grèce.
En Août, Hamad entreprit un périple avec son ami Moataz Abu Obeid. Leur plan était d’arriver en Belgique.
Les deux amis tentèrent plusieurs fois d’entrer en Albanie à pied.
Six fois, ils furent pris par la police albanaise qui les renvoya à la frontière de ce pays avec la Grèce. La septième fois, ils réussirent à entrer en Albanie sans être détectés et se dirigèrent à pied vers la Serbie.
Arrivés en Serbie, ils furent arrêtés par la police qui les détint pendant sept heures. Ils purent traverser ce pays à pied et après quelques jours décidèrent de tenter la traversée de la rivière Drina pour atteindre la Bosnie.
Il faisait sombre quand ils atteignirent la rivière, ils se mirent donc d’accord pour attendre le lever du jour. Ce soir là, ils furent attaqués par des animaux sauvages mais réussirent à se sauver.
Le lendemain matin, alors que les deux hommes étaient au bord de la rivière, Hamad perdit l’équilibre, tomba dans la rivière et fut happé par le courant.
Abu Obeid pendant ce temps perdit connaissance quand sa tête heurta un arbre. Quand il reprit ses esprits, il se retrouva entouré par la police serbe.
Celle-ci ne fut pas d’un grand secours et refusa d’engager des recherches pour retrouver Hamad, arguant du fait que beaucoup d’autres s’étaient noyés en tentant de traverser la rivière.
« La police se contenta de prendre des informations sur Salah, dont les vêtements qu’il portait » nous raconta Obeid.
Le corps de Hamad fut retrouvé en septembre, quelques semaines après sa disparition.
Il ne fut pas la première personne de Gaza à trouver la mort en cherchant une vie meilleure à l’étranger. Et il ne sera probablement pas le dernier.
Sarah Algherbawi est une écrivaine et traductrice indépendante de Gaza.
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24 septembre 2019 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui