
Mahmoud Khalil (Photo publiée avec l'aimable autorisation de Writers Against the War on Gaza)
Par Ahmad Ibsais
Le combat pour libérer Mahmoud Khalil ne consiste pas seulement à préserver les droits du Premier Amendement, il s’agit de savoir si nous allons tolérer que le gouvernement criminaliser la résistance, en se rendant complicice des violations des droits de l’homme et du génocide.
En tant que Palestinien, j’ai appris très jeune que notre existence même était une forme de protestation. Chaque réunion de famille qui se transformait en discussion politique et chaque célébration se tenait au mépris des forces qui préféreraient nous voir disparaître.
C’est pourquoi la détention de Mahmoud Khalil, diplômé de l’université de Columbia, me touche au plus profond de mon être. Je reconnais dans son enlèvement les mêmes tactiques d’étouffement utilisées pour faire taire les Palestiniens depuis des générations, maintenant déployées sur le sol américain contre ceux qui osent prononcer notre nom.
La détention de Khalil par des agents de l’ICE le 8 mars marque un tournant dans la démocratie américaine. Sous les yeux impuissants de sa femme enceinte, des agents du gouvernement ont emmené un résident permanent légal dont le seul « crime » était d’avoir servi de négociateur lors de manifestations sur le campus appelant l’université à se désinvestir des entreprises qui profitent du génocide d’Israël à Gaza.
Soyons clairs : Mahmoud Khalil est un prisonnier politique, détenu non pas pour un crime identifiable, mais pour avoir critiqué Israël.
Il n’y a pas de loi contre le fait d’appeler à la fin d’un génocide, et il ne devrait pas y en avoir dans une démocratie constitutionnelle.
Pourtant, l’administration Trump a effectivement imaginé un tel crime, en assimilant la critique légitime d’un État colonial à de « l’antisémitisme », en kidnappant et en emprisonnant un détenteur de carte verte uniquement pour cause d’expression politique.
Après la détention de Khalil, le compte officiel Instagram de la Maison Blanche a publié une photo de lui avec les mots « Shalom Mahmoud » écrits en gros caractères, une raillerie effrayante qui révèle le mépris de l’administration pour les procédures régulières et la dignité humaine fondamentale.
Sa disparition temporaire dans le système de détention de l’ICE (ses avocats n’ont pas pu le localiser pendant plus de 24 heures) reflète les tactiques des régimes autoritaires à travers le monde.
Ce qui rend ce moment particulièrement dangereux, c’est qu’il n’a pas commencé avec Trump. C’est précisément la diabolisation des manifestants étudiants par l’administration Biden-Harris en tant qu’antisémites qui a jeté les bases de l’attaque de Trump contre Columbia et d’autres universités.
En janvier 2025, un groupe fascisant pro-israélien a soumis une liste d’étudiants titulaires de visas à l’administration Trump, demandant instamment leur expulsion pour leur soutien à la cause palestinienne.
En quelques jours, l’administration a publié un décret menaçant de révoquer le visa des manifestants. Le secrétaire d’État Marco Rubio a rendu le projet explicite, en écrivant : « Nous révoquerons les visas et/ou les cartes vertes des partisans du Hamas en Amérique afin qu’ils puissent être expulsés ».
Dans les universités américaines, la répression s’est manifestée par des expulsions d’étudiants, la dissolution d’organisations et une surveillance sans précédent : neuf universités ont fermé de force leurs sections de l’association Students for Justice in Palestine ; l’université de Columbia a expulsé trois étudiants ; et l’université de Californie à Los Angeles aurait dépensé 12 millions de dollars pour surveiller et contrer les étudiants manifestants.
Cette violence institutionnelle fait écho aux purges universitaires de l’ère McCarthy, lorsque les professeurs étaient mis sur liste noire pour non-conformité idéologique.
Il existe d’innombrables raisons pour lesquelles la croisade contre le mouvement palestinien est à la fois moralement répréhensible et dangereuse sur le plan démocratique.
Fondamentalement, la Palestine est une cause juste car elle représente la lutte fondamentale d’un peuple pour l’autodétermination, l’égalité et la libération de l’occupation. La répression systématique de ceux qui défendent ces droits bafoue non seulement des principes abstraits, mais aussi les libertés fondamentales de l’humanité.
Mais la détention de Khalil montre une autre raison essentielle : la répression du mouvement palestinien illustre parfaitement l’émergence d’une politique fasciste qui s’immisce dans le tissu social américain.
Depuis un an et demi, les universités, les politiciens de tous bords et à tous les niveaux du gouvernement, des médias clés, les entreprises américaines et toute une série d’autres institutions ont fébrilement remué ciel et terre pour anéantir le mouvement de soutien à la Palestine, pour assimiler ses militants à des terroristes ou à des sympathisants du terrorisme, et pour utiliser généralement toutes les combines autoritaires possibles pour s’assurer qu’une fois détruit, il ne reviendra pas.
Non seulement c’est une erreur évidente, mais comme tous les partenariats avec le fascisme, cela ouvre également la porte à une répression plus large de la société civile et des droits civils.
Cette répression ne s’arrêtera pas aux militants palestiniens. Le gouvernement et les institutions influentes tentent de créer une nouvelle réalité juridique et politique dans laquelle ils peuvent balayer quiconque remet en question leur idéologie ou leur mission.
Lorsque les agences exécutives ont le pouvoir de révoquer le statut juridique, d’expulser et de faire disparaître temporairement des personnes comme Khalil, cela crée un dangereux précédent qui signale que toute personne ayant des opinions politiques contraires pourrait être la prochaine sur la liste.
Des organisations telles que l’ADL, qui a publié une déclaration de soutien à la détention de Khalil, et l’université de Columbia, qui a contribué à créer le prétexte ridicule de sa détention tout en semblant indifférente aux conséquences, devront répondre de la suite des événements.
Ce n’est pas une hyperbole : c’est la normalisation du fascisme sous couvert de préserver « l’ordre public » pour protéger un pays étranger des critiques légitimes.
Les mécanismes déployés contre la solidarité avec la Palestine s’étendront inévitablement à d’autres mouvements qui contestent le pouvoir établi. Nous en voyons déjà des preuves dans le « Projet Esther » de la Heritage Foundation, qui cible des organisations telles que le Council on American-Islamic Relations, American Muslims for Palestine et Jewish Voice for Peace sous prétexte de lutter contre un « réseau de soutien au Hamas ».
En novembre, la Chambre des représentants a approuvé la HR 9495, qui lui donnerait le pouvoir de révoquer le statut d’exonération fiscale de toute organisation à but non lucratif qu’elle accuserait d’« affinités terroristes » – sans procédure régulière ni preuve à fournir.
Khalil rejoint une longue lignée de prisonniers politiques détenus pour avoir défendu des causes justes tout au long de l’histoire américaine.
D’Eugene Debs emprisonné pour s’être opposé à la Première Guerre mondiale, aux Américains d’origine japonaise internés pendant la Seconde Guerre mondiale pour leur seule origine, en passant par les militants des droits civiques comme Martin Luther King Jr. qui a écrit sa célèbre « Lettre de la prison de Birmingham » alors qu’il était détenu pour avoir manifesté pacifiquement.
Les Black Panthers, les défenseurs de l’indépendance portoricaine, les manifestants anti-guerre et les défenseurs des droits des autochtones à Standing Rock ont tous été confrontés à la répression de l’État lorsqu’ils ont défié l’impérialisme américain.
Ces parallèles historiques nous rappellent que la criminalisation du travail de solidarité avec la Palestine perpétue la pratique américaine de réduire au silence ceux qui remettent en question son autorité morale ou contestent son emprise impériale, une tactique systématiquement déployée contre les mouvements en quête de justice et de liberté.
Malgré les pressions, la défense de la Palestine s’est imposée dans les universités des États-Unis
Mais l’histoire nous enseigne aussi quelque chose de très fort : les mouvements ne peuvent être arrêtés et soumis. À chaque détention, à chaque suspension et à chaque tentative de les réduire au silence, les autorités n’ont fait qu’élargir le soutien à la cause palestinienne.
En tant que personnes ayant le privilège de défendre la Palestine, nous ne devons pas nous laisser intimider par ceux qui sont au pouvoir et qui veulent s’octroyer tous les droits par la violence.
Nous devons continuer à exiger un cessez-le-feu, la fin de l’occupation et une Palestine libre où les enfants ne sont pas condamnés à regarder leurs parents mourir sous les bombes payées par nos universités et notre gouvernement.
Le combat pour libérer Khalil et maintenir son statut juridique ne consiste pas seulement à préserver les droits du Premier Amendement, mais aussi à déterminer si nous allons permettre à ce gouvernement de criminaliser la résistance, dans sa complicité avec les violations des droits de l’homme et le génocide.
À moins d’être clairement confrontée, cette nouvelle ère de répression politique menace de normaliser un régime où la contestation du pouvoir impérial devient un motif de détention ou d’expulsion.
Ce qui commence avec la Palestine ne s’arrêtera pas là – et le moment est venu de résister avant que le manuel de la répression ne devienne la nouvelle norme pour tous ceux qui osent remettre en question le rôle de l’Amérique dans l’injustice au niveau mondial.
Auteur : Ahmad Ibsais
* Ahmad Ibsais est un Palestinien américain de la première génération et un étudiant en droit qui écrit le bulletin d'information State of Siege.
11 mars 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine
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