Quel avenir la résistance peut-elle envisager pour Gaza ?

2 décembre 2024 - Des familles palestiniennes tentent de préparer de préparer un repas et d'allumer un feu dans les décombres de leur maison détruite par les raids israéliens sur Khan Yunis. Les attaques génocidaires des forces coloniales israéliennes ont détruit ou endommagé au moins 87 % des logements de Gaza. La grande majorité des 1,9 million d'habitants de Gaza sont toujours déplacés et confrontés à une crise humanitaire catastrophique, l'aide étant systématiquement entravée par Israël - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills

Par Jamil Mazen Shaqura, Saif Alislam Eid

Alors que la possibilité d’un cessez-le-feu semble se confirmer, les plans pour le « jour d’après » à Gaza font l’objet d’un débat. Dans des entretiens accordés à Mondoweiss, des représentants du Hamas exposent leur vision de la reconstruction et de la gouvernance d’après-guerre, ainsi que les obstacles qui se dressent sur leur chemin.

Le 7 octobre 2023, le Hamas a mené l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » visant les positions militaires israéliennes entourant Gaza et les villes israéliennes adjacentes à la bande de Gaza.

Selon Mohammed Deif, commandant de l’aile militaire du Hamas, les Brigades al-Qassam, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » visait à éliminer la division de Gaza de l’armée israélienne.

Selon Deif, cette opération devait également marquer le début de la bataille pour « la grande libération », c’est-à-dire la restitution de tous les territoires palestiniens occupés qui ont été colonisés en 1948.

Depuis lors, Israël a affirmé avoir tué Deif et un certain nombre de dirigeants du Hamas. Il a repris le contrôle des zones entourant la bande de Gaza et a mené une guerre féroce contre Gaza dans le cadre d’une opération militaire appelée « Épées de fer », massacrant des dizaines de milliers de Palestiniens.

Dans le même temps, Israël a imposé un blocus encore plus strict à la bande de Gaza, privant ce petit territoire palestinien de l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’énergie.

Depuis le début de l’agression israélienne contre la bande de Gaza, Israël et ses alliés ont cherché à la fois à « éliminer le Hamas » et à changer radicalement la réalité politique de Gaza.

« Opération Déluge al-Aqsa : Notre récit »

Les visions israéliennes du « jour d’après » la guerre ont été amplement présentées par les médias internationaux, au mépris total du point de vue palestinien, ou du moins du point de vue du Hamas en tant que pouvoir en place à Gaza depuis 17 ans.

Récemment, l’Égypte a accueilli des négociations pour un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, ainsi que des pourparlers de réconciliation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne (AP) dirigée par le Fatah et basée en Cisjordanie occupée.

Une source au sein du Hamas, qui s’est exprimée sous le couvert de l’anonymat, a déclaré à Mondoweiss que le Hamas était en contact avec des « pays influents » qui pourraient contribuer à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu, mais que certaines propositions, comme celle présentée par la Russie, portaient davantage sur l’échange de captifs que sur l’avenir à long terme de la bande de Gaza.

Bien que de nombreux cycles de négociations sur le cessez-le-feu aient échoué au cours de l’année écoulée, les derniers pourparlers en Égypte sembleraient devoir aboutir. La perspective d’un accord se profilant à l’horizon, la question de savoir « ce qui se passe après un cessez-le-feu » revient sur le devant de la scène.

Les Brigades al-Qassam du Hamas ont diffusé le 15 octobre la vidéo d’une opération au cours de laquelle leurs combattants ont fait exploser des engins précédemment placés contre des éléments d’une force d’ingénierie de l’armée d’occupation à l’ouverture d’un tunnel dans la région de Rayan, à l’est de Rafah. La vidéo indique que ce tunnel a subi le même sort le 10 octobre, ce qui indique que les combattants attendaient le retour de l’armée israélienne.

Sur la base d’entretiens menés avec des responsables du Hamas – dont certains ont requis l’anonymat en raison de la sensibilité de leur fonction – cet article présente les visions possibles de ce que pourrait être le « jour d’après » la guerre, en évaluant la probabilité et la faisabilité de chaque proposition alors que l’incertitude domine.

Les scénarios israéliens d’après-guerre pour Gaza

Officiellement, Israël n’a pas de plan pour la bande de Gaza après la guerre. Cependant, trois visions émanant de fonctionnaires israéliens et d’acteurs non gouvernementaux, qui représentent des tendances au sein de la société israélienne, ont gagné du terrain dans le discours public.

La première est celle du courant fasciste israélien, qui cherche à se réinstaller dans la bande de Gaza, non seulement en retournant dans les colonies qui existaient à Gaza avant 2005, mais aussi en se réinstallant dans de nouvelles zones du territoire. Si les ministres Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ont lancé l’appel à la réoccupation totale de Gaza, ce point de vue ne bénéficie pas du soutien total d’autres membres du gouvernement et ne parait pas avoir les faveurs de l’administration du président américain Joe Biden.

Yoav Gallant, ministre israélien de la défense jusqu’en novembre 2024, avait entre-temps appelé à la formation d’une force internationale chargée de superviser la sécurité dans la bande de Gaza et dirigée par les États-Unis et un État arabe « modéré » tel que la Jordanie, le Maroc ou les Émirats arabes unis.

Toutefois, la majorité de ces pays qualifiés de « modérés » ont refusé de participer à un tel plan, à l’exception de l’Arabie saoudite, dont le ministre des affaires étrangères Faisal Bin Farhan a déclaré en juillet que Riyad soutiendrait le déploiement de forces internationales à Gaza, mais uniquement dans le cadre d’un mandat de l’ONU.

Le Hamas a rejeté de façon très ferme l’entrée de toute force à Gaza, qu’elle soit arabe ou internationale, et a déclaré qu’il la considérerait comme une force « d’occupation ».

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a quant à lui demandé la création d’une « zone tampon » dans la bande de Gaza à proximité des colonies israéliennes, le maintien de la présence militaire israélienne dans le corridor de Philadelphie – la zone située le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte -, la fermeture permanente du poste-frontière de Rafah avec l’Égypte, le maintien de la liberté de mouvement des forces israéliennes partout dans la bande de Gaza sans qu’aucune fin précise ne soit prévue, ainsi que la fermeture permanente de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).

Malgré ces exigences extrêmes, Netanyahu n’a pas encore proposé de vision sur qui ou quoi gouvernerait la bande de Gaza en imaginant qu’il atteigne son objectif déclaré d’éradiquer le mouvement Hamas.

La proposition égyptienne : une remise en selle à Gaza de l’Autorité de Ramallah

Entre-temps, l’Égypte a proposé de créer un comité chargé de gérer la bande de Gaza sous la supervision financière et administrative de l’Autorité palestinienne (AP) basée en Cisjordanie, soit sous la direction du Premier ministre de l’AP, Mohammed Mustafa, soit sous celle d’un nouveau gouvernement national palestinien qui serait créé dans ce but.

Khalil Al-Hayyah, responsable par intérim du bureau politique du Hamas, a déclaré publiquement que le Hamas travaillerait à la réalisation de cet objectif.

Basem Naim, membre du bureau politique du Hamas au Qatar, a cependant critiqué la proposition égyptienne, déclarant à Mondoweiss qu’elle manquait de clarté en ce qui concerne sa structure administrative, son cadre juridique et les accords, le cas échéant, qu’elle pourrait impliquer en matière de coordination de la sécurité avec Israël ou les mouvements de résistance palestiniens.

Une source au sein du Hamas impliquée dans les pourparlers sur le cessez-le-feu entre Israël et la résistance et dans les pourparlers intra-palestiniens menés par l’Egypte a déclaré à Mondoweiss que les délégations du Hamas et de l’Autorité palestinienne en Egypte étaient sur la même longueur d’onde et favorables à cette proposition de comité, mais que le Hamas avait demandé l’assurance de l’approbation du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lui-même, compte tenu des relations historiquement tendues entre les deux parties et de l’échec des précédents pourparlers sur la question.

« Nous avons tiré la leçon des réunions avec l’Autorité palestinienne à Moscou et à Pékin : la décision finale pour tout ce qui concerne l’Autorité palestinienne est entre les mains d’Abbas et non de la délégation envoyée par l’Autorité palestinienne », a déclaré la même source. « Nous pouvons savoir si Abbas est sérieux au sujet d’un accord selon le personnel qu’il envoie à la tête de la délégation. »

Le 8 décembre, Abdullah Abdullah, figure de proue du Fatah, a officiellement fait part à l’Égypte des réserves de son parti face à ce qu’il considère comme des « garanties insuffisantes » d’unité nationale, suggérant que le comité soit placé sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) plutôt que sous celle de l’Autorité palestinienne.

Malgré le soutien déclaré des organisations palestiniennes participants aux négociations, aucune des réunions tenues l’année dernière n’a jusqu’à présent abouti à une annonce conjointe du Hamas et de l’AP concernant la création d’un tel comité ou à une décision qui mènerait effectivement à la réunification politique palestinienne ou ouvrirait la voie à la prise en compte des besoins de la population de Gaza.

L’une des sources mentionnées a néanmoins déclaré à Mondoweiss que le Hamas préférait opter pour la solution du comité proposée par l’Égypte, car il n’a plus la capacité d’administrer seul la bande de Gaza.

La vision du mouvement Hamas

Au milieu de tous les débats sur l’avenir de Gaza, « le Hamas considère le ‘jour d’après’ comme une question palestinienne purement interne à la nation, sans intervention ni tutelle de qui que ce soit, et le résultat doit être rassurant pour la région et satisfaisant au niveau international », a déclaré M. Naim à Mondoweiss, soulignant l’importance de maintenir l’unité géographique entre Gaza et la Cisjordanie, qui fonctionnent effectivement comme deux entités politiques distinctes – l’une sous l’administration du Hamas, l’autre sous celle de l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah – depuis 2007.

S’entretenant avec des responsables du Hamas à Doha, le mouvement dévoile trois scénarios possibles pour le lendemain de la guerre à Gaza :

  • Option 1 : un gouvernement d’unité
    La première option, qui est celle privilégiée par le Hamas, est la création d’un gouvernement d’unité composé de technocrates réunissant toutes les factions palestiniennes, y compris le Fatah, le Jihad islamique palestinien et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
    « Le Hamas essaiera d’atteindre cette option, car c’est la meilleure pour lui et pour le peuple palestinien », a déclaré M. Naim.
    Cependant, même au sein du mouvement, ce scénario est considéré comme peu probable. Hossam Badran, porte-parole du Hamas au Qatar, a déclaré à Mondoweiss, en faisant allusion à Abbas et à son entourage : « Cela n’arrivera probablement pas, en raison de l’intransigeance de l’Autorité nationale palestinienne (AP), dont la décision est devenue dépendante de certaines personnalités politiques ».
    Le scepticisme de Badran quant à la probabilité qu’Abbas et l’AP acceptent un gouvernement d’unité technocratique à Gaza ne semble pas infondé. Le 19 décembre, le Washington Post a cité Mahmoud Habbash, un conseiller principal d’Abbas, qui a déclaré : « Je ne fais pas confiance aux intentions de Netanyahu et je ne fais pas confiance aux intentions du Hamas ».
    À son retour d’une réunion avec Abbas au Caire, M. Habbash a encore mis sur le même plan Israël et le Hamas, affirmant que tous deux se préoccupaient de conserver leur position alors que la population de Gaza souffrait. Bien qu’il reste à voir si Abbas acceptera un gouvernement d’unité, les déclarations de Habbash ne laissent que peu d’espoir à cette option.
  • Option 2 : une administration locale
    La deuxième option du Hamas, si la première échoue, consiste à former une administration locale composée de technocrates de la bande de Gaza, dont le rôle principal consisterait à reconstruire Gaza et à réorganiser la vie civile, indépendamment des organisations politiques palestiniennes.
    La probabilité de ce scénario semble également faible, car il est difficile d’imaginer comment cette administration pourrait gagner en légitimité en l’absence d’un consensus national et avec un clivage persistant entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Pour certaines parties palestiniennes et internationales, une telle administration formée par le Hamas seul serait considérée comme une continuation de facto du pouvoir du mouvement à Gaza depuis 2007, et non comme l’expression d’un consensus politique palestinien. En tant que telle, elle aurait probablement des difficultés à obtenir l’aide internationale nécessaire à la reconstruction de la bande de Gaza.
    Entre-temps, après la guerre, les habitants de Gaza se concentreront probablement sur la demande d’une amélioration de leurs conditions de vie catastrophiques et sur la fourniture de services de base. Si la population considère qu’un tel gouvernement n’est pas véritablement indépendant du Hamas, il pourrait également perdre le soutien de la population.
    En réponse à ces préoccupations, M. Naim a simplement déclaré qu’un tel scénario serait formé d’une manière qui serait à la fois « rassurante pour la région et satisfaisante au niveau international ».
  • Option 3 : retour au statu quo
    Le troisième scénario, si le Hamas reste suffisament fort après la guerre, serait un retour au statu quo du 6 octobre 2023, lorsque le Hamas dirigeait seul un gouvernement local à Gaza. « Cette option interviendrait par défaut après la fin de la guerre si le Hamas ne parvient pas à un accord crédible sur la gouvernance après la guerre », a déclaré M. Naim.
    Selon M. Badran, dans le contexte actuel, en cas de retrait des forces israéliennes d’une zone de la bande de Gaza, « ceux qui récupèrent la zone et mènent la vie civile et administrative pour les habitants de la zone sont des représentants du gouvernement », ce qui signifie que les personnes les plus susceptibles de pouvoir réorganiser Gaza au lendemain de la guerre seraient celles qui ont une expérience préalable de la gestion des institutions gouvernementales dans le petit territoire palestinien.
    Cependant, ce n’est pas l’option préférée du mouvement, ont déclaré Badran et Naim, et elle semble particulièrement improbable étant donné le refus d’Israël de mettre fin à la guerre alors que le Hamas est toujours en place. Israël a insisté sur le fait que tout futur organe gouvernant Gaza devrait accepter de ne jamais attaquer Israël, ce que le Hamas n’acceptera probablement jamais tant qu’un État palestinien n’aura pas été créé.
    Comme pour la deuxième option, le retour du Hamas au pouvoir pourrait nuire à la probabilité que Gaza soit reconstruite et reçoive l’aide humanitaire essentielle dont ses habitants ont tant besoin, car l’aide internationale pourrait être conditionnée au fait qu’elle ne parvienne pas au Hamas. Si le Hamas ne parvient pas à apporter des solutions rapides et efficaces aux crises humanitaires et de reconstruction de Gaza, il pourrait perdre le soutien de la population gazaouie, ce qui compliquerait encore la position politique du Hamas et la situation de la population palestinienne de Gaza sur le plan humanitaire.

Plans de relance de l’aide humanitaire

Dans l’incertitude quant à l’avenir politique et administratif de la bande de Gaza, la reconstruction reste une priorité absolue.

Une source au sein du Hamas, responsable de la reconstruction des logements dans le cadre de la planification générale de l’après-guerre, a déclaré à Mondoweiss , sous couvert d’anonymat, que le concept du « jour d’après » devra faire face à Israël qui cherchera à saper toute tentative palestinienne d’autorité politique ou civile dans la bande de Gaza.

Selon cette source, « le point de passage de Rafah sera représentatif du ‘jour d’après’ la guerre à Gaza, et quiconque contrôlera le point de passage de Rafah et l’axe Philadelphie deviendra le dirigeant de facto de la bande de Gaza » et déterminera l’aide et le matériel qui pourront entrer dans la petite enclave.

Selon un rapport publié en septembre par le Centre satellitaire des Nations unies, on estime que 66 % des structures de Gaza ont été endommagées ou détruites depuis le 7 octobre 2023. L’ONU estime qu’il y a quelque 40 millions de tonnes de débris et de décombres à Gaza, et qu’il faudra jusqu’à 15 ans et près de 650 millions de dollars pour tout déblayer.

Néanmoins, en ce qui concerne les abris et les secours dans le scénario du « jour d’après », la source a déclaré que le Hamas avait une vision quinquennale complète pour reconstruire Gaza.

Les deux premières années seront consacrées à la construction de villes composées de « constructions modulaires » pour les familles qui ont complètement perdu leur maison. Les familles ayant perdu partiellement leur maison se verront offrir une « tente » répondant aux normes les plus strictes. En ce qui concerne les dommages mineurs ne dépassant pas 10 000 dollars, le comité d’hébergement remettra à ces familles les montants dont elles ont besoin pour restaurer leurs maisons », a déclaré la source.

Selon les estimations de la source, les projets de cinq « villes faites de modules » à travers la bande de Gaza pour fournir des abris temporaires nécessiteraient un milliard de dollars, tandis que le processus de reconstruction complet pourrait s’élever à près de 40 milliards de dollars.

Il a ajouté que « la reconstruction serait entre les mains des citoyens de Gaza et que le financement de la reconstruction serait assuré par des parties internationales et régionales ».

Si tous les scénarios envisagés par le Hamas dépendent fortement de la date à laquelle la guerre prendra un jour fin, et de son coût total en destructions, faute d’un accord avec les autres organisations politiques palestiniennes, le Hamas pourrait continuer à être l’autorité de facto chargée de gérer les affaires quotidiennes et civiles à Gaza dans un avenir prévisible, même s’il agit en coulisses.

Néanmoins, quel que soit le scénario qui s’appliquera, une chose est sûre : après les destructions massives causées par Israël, la tâche de reconstruire Gaza et de fournir l’aide humanitaire essentielle est trop monumentale pour être prise en charge par le Hamas seul.


23 décembre 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine

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