Par Ben White
Pas plus tard que dimanche matin, tous les indicateurs laissaient penser qu’une trêve à long terme s’établissait entre Israël et les factions palestiniennes dans la Bande de Gaza assiégée.
Mais seulement quatre heures plus tard, cette perspective semblait s’être grandement éloignée.
Dimanche soir, l’armée israélienne a lancé une opération secrète dans l’enclave côtière qui a tué sept Palestiniens, dont un haut commandant de la branche armée du Hamas, le groupe qui administre la Bande, ainsi qu’un de ses propres soldats.
Lundi, les factions palestiniennes ont réagi à l’attaque israélienne en tirant des centaines de missiles sur le sud d’Israël. Un missile antichar a frappé un autobus de l’armée israélienne, blessant gravement un soldat.
Le barrage de projectiles était d’une intensité sans précédent, quoique volontairement limité sur le plan géographique.
L’armée israélienne, quant à elle, a riposté aux tirs de roquettes et de mortier des Palestiniens comme mesure de rétorsion par des dizaines de raids aériens sur l’ensemble du territoire sous blocus. Mardi après-midi, au moins sept autres Palestiniens avaient été tués et un certain nombre de bâtiments – dont les bureaux de la chaîne de télévision Al-Aqsa – avaient été détruits.
Immédiatement après le raid israélien de dimanche, les spéculations abondaient sur les raisons pour lesquelles Israël se serait livré à une telle provocation étant donné l’état d’avancement des pourparlers de trêve dans le cadre des efforts de médiation de l’Égypte, des Nations Unies et du Qatar.
En effet, quelques heures auparavant, le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahu justifiait un accord de cessez-le-feu auprès de l’opinion publique israélienne.
Un porte-parole militaire israélien a officiellement nié que l’objectif du raid était de tuer ou de capturer une cible palestinienne, mais il a refusé de donner des précisions sur l’objectif précis.
“Compte tenu de l’approche des élections en Israël, on ne peut exclure qu’il y ait eu derrière cette opération ratée une volonté au sein du cabinet israélien de procéder à une démonstration de force politique”, a déclaré à Al Jazeera Hugh Lovatt, chargé de mission au Conseil européen des relations étrangères (CEAE) et auteur d’un rapport récent sur les efforts de stabilisation de Gaza.
“Cependant, il semble bien que l’opération ait été menée à des fins de collecte de renseignements et non pour déclencher une nouvelle guerre”, a-t-il ajouté.
Ce point de vue a été soutenu par des analystes israéliens tels que le correspondant militaire de Haaretz, Amos Harel, qui a suggéré que le raid était peut-être lié à “l’infrastructure militaire du Hamas (tunnels, développement des armes)”, ou “une autre question brûlante pour Israël : les prisonniers et les personnes disparues à Gaza”.
Quel qu’ait été l’objectif initial, l’attaque meurtrière d’Israël a trahi un important échec des services de renseignement et des opérations israéliens. De plus, la journaliste palestinienne Jehan Alfarra a déclaré que le raid était” perçu comme une tentative de provocation contre les factions de résistance palestiniennes”.
“Plus de 200 Palestiniens ont été assassinés au cours de l’année écoulée lors de manifestations de masse qui réclamaient la levée du blocus de Gaza, entre autres choses”, a déclaré Jehan Alfarra à Al Jazeera, faisant référence aux manifestations hebdomadaires de la Grande marche du retour qui ont lieu depuis le 30 mars le long de la clôture avec Israël.
“Et alors que les choses semblaient s’améliorer pour une partie de la population assiégée de Gaza, ce raid a de nouveau déstabilisé la situation”.
Haneen Zoabi, députée palestinienne à la Knesset, le parlement israélien, a déclaré que même si “Israël ne cherchait pas à faire obstruction aux pourparlers de trêve ni à mener une guerre ou une grande campagne militaire”, les responsables estimaient que “les capacités militaires d’Israël lui fourniraient une victoire certaine sans trop de problèmes ni trop de pertes. ”
Mme Zoabi a ajouté : “Israël essaie toujours de gagner sur les deux tableaux en même temps : faire preuve de violence en arrière-plan et aussi bénéficier de pourparlers de trêve”.
Mardi, tard dans la journée, les signes indiquaient qu’un nouveau cessez-le-feu signifiait la fin de ce dernier cycle de violence. Mais que disent les événements des deux derniers jours sur ce qui nous attend ?
“Il existe une soif de calme et de tranquillité, explique Mme Zoabi, mais le silence n’est que superficiel. En réalité, il y a en permanence des campagnes et des opérations secrètes de l’armée [israélienne] afin de maintenir son contrôle sur la région – et les Palestiniens continuent à souffrir en silence.”
Le point de vue de la députée a été repris par Noa Landau, journaliste israélienne spécialisée dans les affaires politiques qui a écrit cette semaine : “Netanyahu ne croit pas qu’il existe une solution diplomatique à long terme à Gaza. D’ailleurs, il s’oppose à l’idée même d’une telle chose.”
Lutte et coopération
Les Palestiniens, quant à eux, craignent que les élections proches en Israël – qui doivent avoir lieu d’ici novembre 2019, mais qui seront probablement anticipées – n’entraînent une escalade.
“Les Palestiniens connaissent très bien les hommes et les femmes politiques israéliens qui utilisent les périodes électorales pour faire des démonstrations de force politique et marquer des points aux dépens de la population assiégée de Gaza”, a dit Mme Alfarra.
M. Lovatt, du CEAE, a déclaré que ces dernières semaines, tant les factions palestiniennes que le gouvernement israélien avaient “pris conscience qu’il y avait plus à gagner d’un accord de cessez-le-feu que d’une guerre”.
“Pour le Hamas, cela aurait permis d’améliorer les conditions socio-économiques et d’alléger la pression qu’il subit. Pour Israël, c’est considéré être le meilleur moyen d’obtenir le “calme” à sa frontière, compte tenu notamment qu’il n’existe pas de solution autre que celle de Gaza sous contrôle du Hamas.
La semaine dernière, Israël a autorisé le Qatar à accorder 15 millions de dollars à la Bande de Gaza en difficulté financière pour payer les salaires des employés du gouvernement, l’intensité des manifestations le long de la clôture ayant diminué.
Selon Ofer Zalzberg, analyste principal de l’International Crisis Group, “la discordance entre la conclusion de l’accord sur le financement qatari [des salaires des fonctionnaires de Gaza] et l’opération apparemment ratée démontre la vulnérabilité des ententes entre ennemis”.
“Il est difficile de se battre d’une main et de coopérer de l’autre”, a-t-il déclaré à Al Jazeera. “Même si Israël et le Hamas parviennent à éviter la guerre et à continuer d’agir sur la base des accords qu’ils ont conclus, ceux-ci seront chancelants et susceptibles de capoter.”
“Liberté et souveraineté véritables”.
Dans l’intervalle, l’évolution de la situation à Gaza ne peut être dissociée des rumeurs persistantes concernant un “plan de paix” pour le Moyen-Orient élaboré par l’administration du président américain Donald Trump.
Pour M. Lovatt, il existe une distinction entre “un alignement sans précédent entre les acteurs régionaux et internationaux en faveur de mesures économiques et financières à court terme pour stabiliser Gaza et éviter la reprise du conflit” et les “affirmations” de Ramallah selon lesquelles “les efforts de l’Égypte et des Nations unies pour stabiliser Gaza font partie d’un plan de paix états-unien plus large pour créer un mini État palestinien à Gaza et saper l’autorité de [du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud] Abbas”.
En examinant les perspectives d’avenir, Mme Zoabi a adopté un ton pessimiste.
“M. Trump et Israël croient que la fin de ces luttes militaires sera une sorte d’accord politique qui soulagera les souffrances humanitaires à Gaza, améliorera la situation économique à Gaza et assurera la sécurité d’Israël sans mettre fin au blocus ni rétablir le lien de Gaza avec les Palestiniens de Cisjordanie”, a-t-elle dit.
Une telle vision, a ajouté Mme Zoabi, “implique nécessairement un retour à la violence, car les Palestiniens – comme tout autre peuple – n’accepteront rien de moins que liberté et souveraineté véritables”.
* Ben White est journaliste indépendant, écrivain et militant, spécialiste Palestine/Israël. Il est diplômé de l’université de Cambridge. Il a notamment écrit Être palestinien en Israël – Ségrégation, discrimination et démocratie – Suivre sur Twitter : @benabyad
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13 novembre 2018 – aljazeera.com – Traduction: Chronique de Palestine – MJB