Par Amena el-Ashkar
Les combats dans le camp de réfugiés de Ain al-Hilweh, dans le sud du Liban, entre les militants du Fatah et les groupes armés islamistes ne viennent pas de nulle part. Des analystes libanais estiment qu’Israël et l’Autorité palestinienne sont à l’origine des récentes tensions.
Trois jours après les violents affrontements entre le Fatah et les groupes de militants islamiques dans le camp de réfugiés de Ain al-Hilweh, dans le sud du Liban, un calme prudent règne dans les ruelles du camp palestinien.
Au fil des ans, le camp a été le témoin de nombre d’affrontements sanglants entre les groupes militants, mais ce dernier épisode est un des plus féroces depuis 2017.
Situé près de la ville de Sidon, dans le sud du Liban, Ain al-Hilweh est le plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban en termes de population. Fondé en 1948, le camp était à l’origine composé de réfugiés du nord de la Palestine.
Aujourd’hui, avec une superficie officielle d’environ un kilomètre carré, il abrite près de 50 000 Palestiniens, ainsi qu’un nombre inconnu de Syriens qui ont cherché refuge dans le camp à la suite de la crise syrienne.
Les troubles actuels ont été déclenchés par l’assassinat du commandant du Fatah, Abu Ashraf al-Armoushi, et de cinq de ses gardes du corps.
Bien que l’identité de l’auteur de l’assassinat reste inconnue, le mouvement Fatah s’est livré à de violentes représailles contre les groupes de militants islamiques dans le camp.
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Ces groupes sont depuis longtemps des rivaux redoutables du mouvement Fatah, dans le camp de Ain al-Hilweh.
La dernière attaque a été menée contre al-Shabab al-Muslim, une coalition de divers groupes militants islamiques qui comprend Jund al-Sham et Fatah al-Islam, deux factions plus petites et plus radicales.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le bilan des combats s’élève à 11 morts et plus de 50 blessés.
Le Dr Majdi Krayem, directeur exécutif d’al-Shifaa for Medical and Humanitarian Services, a décrit la situation catastrophique engendrée par les tensions dans le camp de réfugiés d’Ain al-Hilweh.
« Notre travail est semé d’embûches, encore accentuées par les tirs des militants. Dans ces circonstances incertaines, le transport des blessés devient souvent une tâche impossible », a déclaré Krayem à Mondoweiss.
Krayem a ajouté qu’al-Shifaa avait pris la décision difficile de cesser ses services dans le camp, en particulier en ce qui concerne le transport des blessés, après que des membres d’al-Shifaa ont été pris pour cible par l’un des belligérants – il n’a pas précisé qui avait attaqué al-Shifaa.
Malgré les conditions périlleuses, Krayem et son équipe continuent à aider les personnes déplacées et à offrir des services médicaux.
« Nous sommes confrontés à un conflit d’envergure qui a entraîné un déplacement important de la population locale », explique-t-il. « Les personnes en danger viennent se mettre à l’abri dans les écoles et les mosquées de la ville. Nous avons mis en place une clinique mobile pour fournir des soins médicaux à ces personnes déplacées. »
Krayem a également insisté sur la tragédie que vivent les personnes déplacées : « Ces personnes sont piégées dans un vide indéfini, ne sachant pas quand elles pourront rentrer chez elles. Pour beaucoup d’entre elles, il n’y a pratiquement plus de maisons où retourner du fait des destructions massives. Nous avons dû faire appel à des volontaires de différents camps pour aider à l’évacuation des blessés ».
A quoi joue l’Autorité palestinienne ?
Le camp d’Ain al-Hilweh est connu pour être un « camp au commandement instable », en ce sens que, contrairement à d’autres camps de réfugiés où une seule faction exerce un contrôle total, Ain al-Hilweh est un terrain contesté, aucune faction ne jouissant d’un contrôle total sur la zone.
Par conséquent, le Fatah s’est occasionnellement engagé dans des affrontements avec des groupes islamistes qui tentaient d’étendre leur contrôle sur le camp. Mais les efforts du Fatah ont été contrecarrés par le pouvoir important détenu par les groupes islamistes.
Sameer al-Shareef, 49 ans, est un dirigeant du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) et un membre du Comité populaire d’Ain al-Hilweh. Il a qualifié ces violences de trahison de la cause palestinienne.
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« Le chaos qui règne dans le camp est une honte pour la situation actuelle du peuple palestinien », a-t-il déclaré à Mondoweiss. « Les conditions de vie au Liban sont déjà déplorables, et elles sont encore pires dans les camps. Les gens n’en peuvent plus ».
Al-Shareef a également déploré l’absence d’effort pour mettre fin au conflit après l’échec de trois propositions de cessez-le-feu antérieures.
« Plus de la moitié de la population du camp a été déplacée et est maintenant à la rue, abandonnée à elle-même », a-t-il déclaré. « Des zones importantes du camp ont été dévastées. Dans le seul quartier d’al-Tawari, une quarantaine de maisons ont été détruites et donc inhabitables ».
Al-Shareef a fait part de son inquiétude quant à la pression qu’une telle crise exerce sur les relations palestino-libanaises. « Nous nous trouvons dans une position de plus en plus délicate vis-à-vis de la communauté libanaise autour de nous. Ces conflits pourraient attiser les sentiments négatifs à l’égard de la communauté palestinienne. »
La situation dans le camp a, en effet, suscité énormément de réactions dans la société libanaise. Les médias libanais estiment que c’est Majed Faraj qui a déclenché le récent conflit. Il a été le chef de l’appareil de renseignement de l’Autorité palestinienne (AP) et il s’est rendu au Liban une semaine avant les affrontements.
Selon les médias libanais, le gouvernement israélien était mécontent de l’AP en raison de son incapacité à étouffer la résistance armée en Palestine, en particulier dans le camp de réfugiés de Jénine.
Les analystes libanais suggèrent que le voyage de Majed Faraj au Liban visait à saper les efforts des factions de la résistance palestinienne qui opèrent dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban.
Cela signifierait alors que les affrontements à Ain al-Hilweh ne sont pas des explosions de violence aléatoires, mais qu’il s’agit d’une opération dans laquelle les factions de la résistance libanaise, accusées de soutenir les militants de Cisjordanie et de permettre à ces derniers d’opérer sur le sol libanais, ont joué un rôle involontaire.
En d’autres termes, le récit largement diffusé par les médias libanais soutient que Faraj s’est rendu de Palestine au Liban pour demander aux membres du Fatah qui vivent dans le camp de déclencher un affrontement armé avec les groupes islamistes, non pas pour les éradiquer, mais pour créer des problèmes de sécurité au Liban à la demande d’Israël.
Selon ces médias, les troubles à Ain al-Hilweh indiquent qu’Israël pourrait se préparer à lancer des actions au cœur de l’État libanais.
Auteur : Amena el-Ashkar
* Amena El-Ashkar est une journaliste et photographe qui vit dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajne à Beyrouth.
2 août 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet