Qui est Yahya al-Sinwar, l’architecte de la résistance dans Gaza ?

Par Al-Mayadeen

Le présent article retrace l’histoire de Yahya Al-Sinwar, depuis ses débuts en tant que jeune révolutionnaire jusqu’à sa condamnation à deux décennies de prison israélienne, en passant par son ascension dans les rangs du Hamas et l’organisation de l’offensive du déluge d’Al-Aqsa.

« La vie imite l’art », écrivait Oscar Wilde, écrivain artiste irlandais, dans un article publié au XIXe siècle. « Le but conscient de la vie est de s’exprimer, et l’art lui offre les belles formes qui lui permettent d’exploiter cette énergie », écrit-il.

Wilde avance une thèse intéressante en philosophie de l’art : l’attrait esthétique de la création artistique peut également être trouvé dans l’expérience vécue. La vie, grâce aux efforts conscients des êtres humains, peut être présentée sous de belles formes caractéristiques des beaux-arts : remplacer l’apparente fadeur de la vie par l’émerveillement.

Les procédés littéraires, par exemple, comme la préfiguration (l’allusion à la fin dramatique dès le début de l’intrigue) et l’ironie du sort (le contraste surprenant entre l’issue prévue et l’issue finale) sont quelques-unes de ces belles formes par lesquelles la vie peut être rendue impressionnante.

Préambule

L’esthétique est à juste titre considérée comme un cadre théorique inconvenant pour aborder les récents événements et personnages politiques en Palestine. Cependant, lorsque j’ai décidé d’écrire sur Yahya Al-Sinwar, j’ai choisi d’opter pour l’esthétique afin de mettre en lumière le caractère admirable et impressionnant d’Al-Sinwar dans le contexte de la campagne de dénigrement.

Al-Sinwar, comme beaucoup d’artistes palestiniens qui se sont doublés de révolutionnaires, fait admirablement triompher la libération de son peuple dans un cadre exceptionnel. Contrairement aux autres, cependant, Al-Sinwar est un artiste très pratique et matériellement conséquent.

Son chef-d’œuvre n’était pas un poème ou une peinture, mais une révolution en temps réel. Je considère Yahya Al-Sinwar comme un artiste et le Déluge d’Al-Aqsa est son chef-d’œuvre.

Yahya Al-Sinwar préfigure le Déluge d’Al-Aqsa

Le 7 octobre restera à jamais comme un moment décisif dans l’histoire de l’État colonial où de jeunes combattants ont contourné les mesures de sécurité israéliennes de haute technologie : ils ont brisé le siège sioniste imposé à Gaza et se sont révoltés contre leurs occupants.

Selon les estimations du site d’information français Mediapart, en l’espace de 6 heures seulement, les résistants ont réussi à infliger une destruction cataclysmique à l’État colonial, neutralisant 1000 personnes, laissant plus de 2000 blessés et faisant des centaines de prisonniers.

« Cette attaque abominable a été décidée par Yahya Al-Sinwar », a déclaré Herzi Halevi, chef d’état-major de l’armée israélienne, peu après l’opération.

Al-Sinwar, dont le nom se traduit littéralement par « pêcheur » ou « fabricant d’hameçons » en arabe, était considéré comme le point culminant du déluge d’Al-Aqsa lorsqu’il s’est abattu sur l’État colonial sioniste.

Un rapport rédigé par Reuters au début du mois rappelle un discours prononcé par al-Sinwar en 2022, qui préfigure étrangement les événements de l’opération Déluge d’Al-Aqsa par le choix de ses mots.

Dans un discours adressé aux services de sécurité israéliens le 14 décembre de l’année dernière, lors d’une cérémonie populaire à Gaza célébrant le 35e anniversaire de la création du Hamas, al-Sinwar a spécifiquement menacé les Israéliens d’un « déluge » imminent.

« Nous viendrons à vous, si Dieu le veut, dans un déluge rugissant. Nous viendrons à vous avec des roquettes sans fin, nous viendrons à vous avec un flot incessant de combattants, nous viendrons à vous avec des millions de personnes, comme une marée qui ne fait que monter », a déclaré Yahya al-Sinwar lors d’un discours télévisé devant une foule à Gaza.

Reuters note qu’au moment de ce discours, al-Sinwar et Mohammed al-Deif, le commandant des Brigades al-Qassam, avaient déjà élaboré des plans secrets pour le 7 octobre.

Rétrospectivement, les déclarations d’Al-Sinwar, qui ont été interprétées comme des menaces vides et des exagérations, se sont révélées être un avertissement de l’imminence de l’opération. L’establishment israélien les a interprétées à tort comme une hyperbole alors qu’il s’agissait d’un signe avant-coureur.

Yahya al-Sinwar : Révolution et résistance armée

Les débuts d’un jeune révolutionnaire

Al-Sinwar est originaire de la ville côtière d’Askalan, dont la population palestinienne autochtone vivait de la pêche avant d’être dépossédée par les milices sionistes.

Il est né dans le camp de Khan Younis, à Gaza, de parents réfugiés qui avaient été déplacés de force lors de la Nakba de 1948.

Yahya s’est fortement impliqué dans le militantisme politique dès son plus jeune âge. Lorsqu’il était étudiant, il a dirigé le bloc islamique à l’université islamique de Gaza, où il a obtenu une licence en études arabes.

En 1982, à l’âge de 19 ans, al-Sinwar a été arrêté pour la première fois pour son implication dans l’activisme révolutionnaire antisioniste. Il passe quelques mois dans les prisons israéliennes, où il se consacre encore plus à la révolution palestinienne.

Après avoir passé quelques mois dans les prisons israéliennes, al-Sinwar sort de prison plus dévoué et mieux intégré [dans la Résistance] après avoir rencontré d’autres révolutionnaires palestiniens en prison.

En 1985, il est à nouveau arrêté. Au cours de sa deuxième peine dans les prisons israéliennes, il rencontre le cheikh Ahmad Yassin, fondateur et chef du Hamas, qui sera créé quelques années plus tard.

Son affinité avec Yassin lui confère une aura d’honneur et ouvre la voie à son ascension dans les rangs du Hamas.

Après sa libération, en 1985, Al-Sinwar a beaucoup travaillé dans le domaine de l’organisation politique, passant de l’activisme à l’action armée organisée. Cette année-là, Al-Sinwar cofonde l’organisation Al-Majd.

Ce groupe armé, qui deviendra plus tard le Hamas, a pour mission de débarrasser Gaza des traîtres. Al-Sinwar, à la tête du groupe Al-Majd, repérait les collaborateurs et les espions locaux et les exécutait.

Le travail de sécurité d’Al-Sinwar à l’époque faisait partie des efforts accumulés dans le cadre de la stratégie de consolidation de Gaza en tant que bastion de la résistance, le point d’Archimède de la libération palestinienne.

En 1988, à l’âge de 25 ans, Al-Sinwar a été arrêté pour la troisième fois et condamné à la prison à vie pour avoir déjoué l’espionnage israélien et les mesures subversives à Gaza.

Une condamnation de 23 ans de prison pour Yahya Al-Sinwar

Séparé de force du terrain du mouvement de libération, Yahya Al-Sinwar a passé les premiers jours de sa vie d’adulte dans les prisons israéliennes.

De loin, il a assisté au déroulement rapide de l’histoire, à la désintégration de l’Union soviétique en 1991, à la lente consolidation de l’hégémonie américaine, à l’invasion américaine de l’Afghanistan en 2000, à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, aux accords d’Oslo qui ont neutralisé l’OLP en 1993 et à la prolifération qui a suivi des colonies israéliennes en Cisjordanie ; tous ces événements ont dû l’exaspérer et l’inciter à reprendre sa pratique de la révolution.

Il a également été témoin de la libération du Sud-Liban en 2000, de la libération de Gaza en 2005, de la victoire de la résistance libanaise contre l’agression israélienne en 2006, de la consolidation de l’alliance régionale de l’axe de la résistance, de la première et de la deuxième Intifada, qui ont dû lui redonner courage et l’inciter à développer son engagement dans la révolution.

En outre, la victoire électorale du Hamas à Gaza en 2006, qui a changé la donne, a dû le remplir de la satisfaction d’un vainqueur qui voit se réaliser un objectif stratégique pour lequel il a longtemps travaillé : la victoire intermédiaire de la consolidation de Gaza en tant que bastion de la résistance.

De prisonnier libéré à libérateur de prisonniers

En 2011, Al-Sinwar a été libéré avec un lot de 1027 autres prisonniers dans le cadre d’un échange de prisonniers entre la Résistance palestinienne et l’occupation israélienne.

Lors des célébrations de son retour dans la ville de Gaza, Al-Sinwar a exprimé son souhait que la Résistance libère tous les prisonniers restants dans les prisons israéliennes.

Après avoir rejoint le Hamas, il a rapidement gravi les échelons, remplaçant Ismail Haniyeh en tant que chef politique de Gaza en 2017.

Yahya al-Sinwar, l’un des plus anciens prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, est aujourd’hui le fer de lance des efforts révolutionnaires visant à libérer les femmes et les hommes de son peuple.

Yahya al-Sinwar, qui a lui-même été libéré avec 1027 autres Palestiniens en échange d’un soldat israélien capturé en 2017, est aujourd’hui responsable de plus d’une centaine de soldats et de colons israéliens restants retenus en captivité à Gaza.

Six ans après avoir quitté les prisons israéliennes, qui étaient sous la responsabilité du gouvernement de Netanyahu en 2017, Yahya Al-Sinwar exerce désormais une influence sur Netanyahou et son cabinet de guerre.

Après avoir souhaité que la Résistance libère tous les prisonniers palestiniens restant dans les prisons israéliennes, six ans plus tard, al-Sinwar dessine le plan et applique les conditions de la libération de chaque dernier Palestinien emprisonné par l’occupation israélienne.

En 2018, al-Sinwar a pris la tête de la Grande Marche du retour pour tenter de briser pacifiquement le siège de Gaza et a été accueilli par la force brute israélienne qui a massacré les manifestants pacifiques.

Trois ans plus tard, al-Sinwar a dirigé l’opération du Déluge d’al-Aqsa et a réussi à briser le siège.

Auteur : Al-Mayadeen

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11 décembre 2023 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine