Par Orly Noy
La jeune ambulancière et secouriste âgée de 21 ans a été tuée par balle par des soldats israéliens alors qu’elle tentait d’aider des manifestants blessés à proximité de la clôture de séparation entre Gaza et Israël. De nombreux Israéliens refusent de croire qu’elle a été assassinée ou prétendent que son meurtre, d’une manière ou d’une autre, était justifié.
Il y a environ deux semaines, une de mes amies sur Facebook a proposé une expérience à un petit groupe d’entre nous. Les médias sociaux sont devenus un ring de boxe, a-t-elle dit. Les deux camps, gauche et droite, se mettent en position et se défoulent dans les commentaires – et ce, s’ils ne se “bloquent” pas mutuellement. Mon amie a suggéré que pendant un mois, nous essayions d’engager un dialogue constructif sur Facebook avec des gens très à droite, même avec les plus agressifs. Après tout, notre objectif est de changer ce que les gens pensent et comment ils pensent, et pour ce faire, nous devons parler à l’autre partie. Essayons, ai-je répondu, ne serait-ce que pendant un mois pour voir ce qui se passe.
Ces deux derniers jours, j’ai pensé à Razan al-Najjar, cette auxiliaire médicale âgée de 21 ans tuée par balle par les soldats israéliens vendredi près de la barrière de séparation entre Gaza et Israël. Selon des témoins, elle portait son uniforme blanc d’ambulancière et tentait de soigner des manifestants près de la barrière lorsqu’elle a été abattue. Immédiatement après la mort de Razan, sa photo est apparue partout sur mon flux d’informations Facebook. Moi aussi, j’ai partagé un message avec sa photo.
Les réactions de colère sont venues rapidement.
C’était l’occasion de tester l’expérience de dialogue que mon amie avait suggérée, me suis-je dit. Peut-être parce que Razan dans son uniforme blanc était si différente de l’image du terroriste que l’imagination collective israélienne a accolée aux manifestants de Gaza, j’espérais qu’il y aurait une ouverture pour la compassion, pour des remises en question, pour des paroles exemptes de haine aveugle.
Je me trompais.
Au lieu de cela, les réponses suivantes ont afflué : “Que faisait-elle là au départ ? “Pourquoi n’a-t-elle pas attendu les blessés à l’hôpital ?” “Vous pensez vraiment que nos soldats tuent les manifestants exprès ?” “C’est comme ça à la guerre.” “Le Hamas les oblige à aller à ces manifestations.”
J’ai essayé de répondre avec calme et pondération.
Elle n’a pas attendu les blessés à l’hôpital parce que l’utilisation massive de tirs à balles réelles par l’armée israélienne a rendu nécessaire la présence des premiers secours sur le terrain – tout comme les médecins israéliens le feraient lors d’un événement impliquant un grand nombre de victimes.
Et non, ce n’est pas “comme ça que ça se passe à la guerre”. Tout d’abord, ce n’est pas une guerre. Ce sont des soldats lourdement armés qui font face à des manifestants non armés.
Deuxièmement, même en temps de guerre, il y a des règles, et les tirs de snipers contre les médecins, les journalistes et les enfants sont des crimes de guerre.
Le Hamas ne l’a pas forcée à être là non plus ; de nombreuses interviews de Razan ont été publiées ces dernières semaines, dans lesquelles elle explique pourquoi elle s’est portée volontaire comme secouriste pendant les manifestations.
Ensuite, les réactions les plus violentes sont apparues, en public et dans des messages privés – d’étranges menaces de mort, beaucoup d’invectives très vicieuses. Quel genre de dialogue est encore possible face à cela ?
Quelqu’un a demandé : “Comment savez-vous que c’est vrai, étiez-vous là ?” Il a ajouté une photo de l’attentat suicide de 2001 au Dolphinarium, une boîte de nuit en bord de mer à Tel-Aviv, pour prouver un affirmation incompréhensible. Un autre commentateur a alors répondu : “Comment savez-vous qu’il y a eu un attentat au Dolphinarium, y étiez-vous ?”
Un autre encore a affirmé que toute l’histoire de Razan était fabriquée de toutes pièces, qu’on avait mis une tenue blanche sur son corps seulement après sa mort. Aucune photo montrant Najjar en train de soigner des manifestants blessés au cours du mois dernier n’a pu le convaincre du contraire. Les Palestiniens, pour lui, sont des menteurs par définition.
Prises ensemble, les réponses ont reflété le fait déprimant que pour la plupart des Israéliens, les Palestiniens tués par des soldats israéliens sont coupables par défaut. L’identité du défunt ou les circonstances du meurtre n’ont aucune importance. Beaucoup des commentateurs qui ont répondu à mon post ont tenu à souligner qu’ils n’étaient pas de droite. L’un d’entre eux s’est même identifié comme un partisan du Meretz, le parti dovish de gauche.
J’ai abandonné la conversation parce qu’elle était trop frustrante et j’ai plutôt continué à chercher des interviews réalisées avec Razan. Il y en a plusieurs en ligne. La jeune auxiliaire médicale, semble-t-il, a suscité l’intérêt de nombreux médias internationaux. Dans l’une de ces interviews, Razan nous dit:
Les gens demandent à mon père ce que je fais ici, et si je perçois un salaire. Il leur répond : “Je suis fier de ma fille, elle s’occupe des enfants de notre pays”. Parce que dans notre société, les femmes sont souvent jugées… mais la société doit nous accepter. Si les gens ne veulent pas nous accepter par choix, elle sera obligée de nous accepter. Parce que nous avons plus de force que n’importe quel homme. La force dont j’ai fait preuve en tant que première intervenante le premier jour des manifestations, je vous mets au défi de la trouver chez quelqu’un d’autre.
Après cela, j’ai regardé une courte vidéo de jeunes hommes et jeunes femmes, peut-être des amis de Razan, peut-être des membres de sa famille, en larmes, leurs cris perçants annonçant sa mort. L’un d’eux se tenait la tête et criait son nom, encore et encore.
Je suis ensuite revenue sur les commentaires qui s’étaient accumulés sous la photo de la jeune femme qui était allée soigner les manifestants blessés et en est revenue dans un linceul. Mon cœur a lutté pour ne pas se laisser noyer par vague de tristesse.
Je m’excuse auprès de mon amie bien intentionnée. L’amère vérité est que la conscience collective israélienne est à des années-lumière d’un lieut où elle pourrait même commencer à parler des concepts fondamentaux de la justice, des droits de l’homme et de l’égalité de l’homme devant Dieu. Je doute que des années d’occupation et de corruption morale puissent être redressées.
Je demande pardon également à Razan, la jeune femme de Gaza qui a vécu toute sa vie sous occupation, dont plus de la moitié sous un siège brutal. Elle n’a pas goûté un seul jour de liberté au cours de sa courte vie. Elle est allée dans la Vallée de la Mort à la barrière de séparation pour soigner ses compatriotes blessés et n’est jamais revenue… J’éprouve une honte qui est au-delà des mots. Je te demande pardon. Repose en paix Razan, que ta mémoire apporte la liberté et la justice à ton peuple.
Auteur : Orly Noy
* Orly Noy est la présidente de B'Tselem - le centre d'information israélien pour les droits de l'homme dans les territoires occupés. Orly Noy est également rédactrice en chef de Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose en farsi. Elle milite au parti politique Balad.Son compte Twitter.
3 juin 2018 – +972mag – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah