Par Maram Humaid
À l’occasion de la Journée internationale de la femme, quatre femmes de Gaza s’expriment sur la vie en pleine guerre.
Deir el-Balah, bande de Gaza – En cette journée internationale de la femme, les femmes de Gaza poursuivent leur lutte quotidienne pour s’occuper de leurs enfants et de leurs familles, et pour rester en vie. Quatre femmes déplacées par la guerre d’Israël contre Gaza depuis le 7 octobre, ainsi que leurs familles, ont parlé à Al Jazeera de ce que leur vie est devenue.
« J’ai oublié ce que signifie d’être une femme » : Nada Abdelsalam
Nada Abdelsalam, 34 ans, est assise à côté de ses enfants devant leur tente, faisant cuire du pain sur un feu de bois. Depuis le début de la guerre, Nada dit avoir perdu le fil des jours, accaparée par les exigences incessantes de la prise en charge de ses huit enfants, de l’aube au crépuscule, dans des conditions difficiles.
« Les femmes de Gaza ont été les premières à subir les conséquences de cette guerre. Nos fardeaux se sont multipliés et notre sens de l’intimité s’est évanoui », explique Nada en s’occupant du feu et en ajoutant des pains.
« Je suis ici, assise dans la rue sous une tente, privée des besoins élémentaires pour vivre. Pas d’eau, pas d’électricité, pas de salle de bain, pas d’assainissement. Rien », ajoute-t-elle.
Nada a été contrainte de fuir le camp de réfugiés de Maghazi, dans la ville de Gaza, pour se rendre à Deir el-Balah, dans le centre de la bande de Gaza, en raison des ordres d’évacuations israéliens au début de la guerre. Sa maison a été bombardée et détruite.
« Je suis sortie avec seulement les vêtements que je portais et quelques vêtements pour mes enfants », raconte Nada. « Je n’aurais jamais imaginé en arriver là. Mon armoire était autrefois pleine de vêtements ». Elle dit qu’elle a honte de sortir de sa tente avec les vêtements délabrés et usés qu’il lui reste.
« Je porte une robe de prière pour tout – pour dormir, pour sortir », ajoute-t-elle.
La guerre n’a pas seulement privé Nada de sa maison et de ses biens. Elle a également perdu son sens de l’identité. « J’ai oublié ce que signifie être une femme dans cette guerre. Je me sens des dizaines d’années plus vieille que mon âge réel. Même mon apparence le reflète ».
Nada est l’une des innombrables femmes de Gaza qui ont enduré un épuisement similaire et des responsabilités accrues pendant la guerre en cours.
« Avant la guerre, nous achetions le pain à la boulangerie, lavions nos vêtements à la machine et vivions dans des appartements propres et modernes », se souvient Nada. « Aujourd’hui, nous sommes revenus à l’âge de pierre, nous cuisons sur des feux de bois et lavons le linge à la main ».
« C’est une souffrance que je ne souhaite à aucune femme ».
« Cette guerre exige une grande force de la part des femmes » : Sawsan al-Zein
Dans une tente voisine, Sawsan al-Zein, 50 ans, est assise avec des femmes de sa famille. Cette mère de huit enfants a perdu un œil après avoir été grièvement blessée au cours de la première semaine de la guerre, lorsque sa maison de la rue Salah al-Din, à l’est de la ville de Gaza, a été bombardée.
« Nous étions assis comme d’habitude ce jour-là, en train de suivre les nouvelles de la guerre, quand soudain je me suis retrouvée étendue dans le sang », raconte-t-elle.
« À l’hôpital, on m’a dit que mon œil était gravement blessé et on me l’a retiré immédiatement. Je n’ai plus qu’un œil et je dois encore terminer mon traitement à l’étranger. Ma main a également été blessée et je ne peux plus la bouger ».
L’une de ses filles et son gendre ont été tués dans le bombardement, après quoi la famille s’est réfugiée à Deir el-Balah il y a environ cinq mois.
« La perte de mon œil a beaucoup affecté ma psychologie », explique Sawsan. « Autrefois pilier de mon foyer, responsable de la gestion de toutes les affaires, grandes et petites, comme n’importe quelle mère, j’ai maintenant du mal à accomplir les tâches les plus élémentaires. Je ne peux pas cuisiner sur une flamme nue ou porter des objets à cause de mes blessures ».
Malgré l’aide apportée par sa fille, Sawsan déplore l’impact de ses blessures sur sa vie normale.
« Auparavant, mes enfants aimaient que je cuisine, mais aujourd’hui, je suis limitée par mon état », dit-elle.
« Je ne peux plus le faire, surtout dans ces circonstances, qui exigent une grande force de la part des mères et des femmes pour gérer les affaires familiales ».
Le seul souhait de Sawsan est que la guerre prenne fin rapidement, afin qu’elle puisse rentrer chez elle, dans le nord de Gaza, même s’il est en ruines.
« La vie des personnes déplacées est dure, sans parler de celle d’une femme blessée comme moi, qui a besoin de soins particuliers » explique Sawsan.
« Nous souffrons dans les aspects les plus simples de la vie. Notre vie privée en tant que femmes est érodée. Nos cœurs sont lourds de la perte d’êtres chers et de la crainte pour les enfants. Ce qui nous est arrivé est suffisant ».
Terrifiée à l’idée d’accoucher : Etemad Assaf
Etemad Assaf, 29 ans, est assise sur une pierre à l’extérieur de sa tente et lave ses vêtements à la main. Etemad, mère de deux enfants et enceinte de huit mois de son troisième, a du mal à s’occuper de sa famille dans ces circonstances. Elle a fui le camp de réfugiés de Jabalia pour se réfugier à Deir el-Balah et attend avec impatience le moment où elle pourra rentrer chez elle.
« La guerre a bouleversé nos vies », dit-elle en frottant les vêtements avec sa main. « Chaque nuit, j’ai l’impression que je vais accoucher tellement je suis fatiguée ».
« Vous voyez ? Est-ce une vie convenable pour une femme enceinte ? Une tente, le froid, dehors et l’absence des produits de première nécessité ? ».
Etemad dit qu’elle n’est même pas en mesure d’assurer l’essentiel à ses enfants.
« Ma petite fille, qui a 11 mois, a besoin de couches, et elles sont chères. Nous pouvons à peine nous permettre de manger, et parfois il n’y a rien à manger du tout », explique Etemad.
« Ma principale préoccupation est mon accouchement imminent et les conditions désastreuses qui règnent autour de moi, en particulier compte tenu de ce que nous entendons sur l’effondrement complet des hôpitaux à Gaza. »
« Le système de santé s’écroule. Il n’y a même pas d’endroits appropriés pour se reposer après l’accouchement. »
Etemad dit qu’elle n’avait jamais imaginé à quel point les choses pouvaient empirer. « Il y a deux jours, je me suis regardée dans le miroir pour la première fois et j’ai été choquée par l’évolution des traits de mon visage et de ma peau, qui s’est assombrie à force d’être exposée au soleil. J’avais l’habitude de prendre soin de moi, d’hydrater ma peau et mes mains avant de me coucher et de prendre une douche tous les jours », se souvient Etemad. « Aujourd’hui, ce ne sont plus que des rêves lointains. »
« Tous mes rêves se sont évanouis » : Marah al-Qayed
Marah al-Qayed, 19 ans, affirme que la guerre l’a privée de son sens de la féminité et l’a propulsée dans un rôle qu’elle n’avait jamais imaginé. Portant un lourd récipient d’eau qu’elle remplit plus d’une fois par jour pour sa famille, Marah dit qu’elle a l’impression d’être devenue un homme.
« J’ai complètement oublié que j’étais une femme. J’ai l’impression d’être devenue un garçon », déclare Marah, qui a été déplacée avec sa famille dans un camp à Deir el-Balah depuis leur maison dans le quartier de Zeitoun, à l’est de la ville de Gaza.
« Je sors à l’aube pour faire la queue devant la boulangerie afin d’apporter du pain à ma famille de neuf personnes ». L’histoire est la même pour toutes les autres femmes et filles qu’elle connaît ici. « La guerre nous a obligés à abandonner notre nature. Parfois, je vais chercher le pain sans me laver le visage à cause du manque d’eau ».
Avant la guerre, Marah explique qu’elle était comme les autres filles, qu’elle prenait soin d’elle et qu’elle n’était pas obligée de faire des « corvées pénibles ».
« Je me brossais les dents, je faisais ma toilette, j’écoutais de la musique, j’allais à l’université et j’apprenais la photographie. Aujourd’hui, tous mes rêves se sont évanouis. Je suis devenue très violente et ma voix est forte ».
Malgré ces changements, Marah s’accroche toujours à son rêve de terminer ses études et de devenir photographe.
« Je conseille aux filles de ne jamais renoncer à leurs rêves ou à leur nature », dit-elle. « Ma vie a été bouleversée, altérée de force au point d’en être méconnaissable ».
« J’aspire à redevenir la fille que j’étais avant la guerre ».
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.
8 mars 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau