Rafah, Gaza – Survivant dans une tente délabrée dans le sud de Gaza, Salman Shigan ne peut pas retourner chez lui de l’autre côté de la frontière avec l’Égypte voisine – parce que sa maison n’existe plus…
“Nous nous sommes échappés de la persécution insupportable et de la mort presque certaine aux mains de l’armée égyptienne, au cours de ce qu’ils appellent les ‘opérations antiterroristes’ contre les groupes djihadistes dans le Sinaï“, déclare à Al Jazeera cet homme de 71 ans.
La maison familiale de Shigan dans le nord du Sinaï a été démolie par l’armée égyptienne en 2015, alors que les soldats s’activaient à vider les zones où des combattants armés auraient été cachés. L’incident a provoqué pour lui une crise cardiaque. Après s’être rétabli partiellement, lui et sa famille – soit 24 enfants et petits-enfants – ont fui vers Gaza à travers un tunnel utilisé par les contrebandiers.
L’armée égyptienne n’a aucunement compensé la famille pour la destruction de sa maison. “Ils nous ont laissé face à un destin inconnu avec nos jeunes enfants … Maintenant, nous vivons dans des conditions abominables et souffrons énormément de manquer des services de base comme l’eau et de l’électricité”, raconte Shigan.
La province du Sinaï de l’Égypte a été ravagée par la violence et l’instabilité depuis que les groupes armés ont intensifié les attaques contre l’armée après le renversement de Mohamed Morsi, le premier président démocratiquement élu du pays, en 2013. En réponse, l’armée égyptienne a lancé une campagne militaire massive, qui a entraîné la démolition de centaines de foyers. Pris entre deux feux, des centaines de membres des tribus bédouines ont fui la région pour Gaza.
Le flux de réfugiés du Sinaï a continué dans cette année, beaucoup d’entre eux évoquant comment leurs maisons ont été démolies, leurs proches persécutés et leurs vies détruites. Mais ils ne trouvent pas beaucoup de réconfort dans la bande de Gaza, où un siège israélo-égyptien paralysant a rendu la vie insupportable pour la grande majorité des deux millions d’habitants du territoire.
Adel Abdulrahman, qui joue le rôle de porte-parole des réfugiés égyptiens établis à Gaza, explique à Al Jazeera qu’à ce jour, environ 500 personnes s’étaient installées à Gaza, principalement dans la moitié palestinienne de la ville de Rafah. Ces gens ont subsisté grâce à l’aide de parents ou de dons provenant d’organismes de bienfaisance et humanitaires. Des dizaines de milliers d’autres sont restés au Sinaï.
“La communauté marginalisée des Bédouins du Sinaï est celle qui paie le prix pour [le conflit en cours]”, poursuit Abdulrahman. “L’opération égyptienne permanente contre ces combattants ne peut jamais justifier la violation des droits humains des habitants”.
Depuis 2013, dit-il, 30 civils égyptiens ont été tués au Sinaï par l’armée ou les groupes insurgés, et 150 autres ont été blessés.
Aisha Silmi, âgée de 50 ans, est finalement arrivé à Gaza en 2016 après de nombreuses tentatives avortées de franchir la frontière. Après avoir habité pendant trente ans dans la moitié égyptienne de la ville divisée de Rafah, Silmi et sa famille ont été expulsés de leur ville par l’armée égyptienne.
Elle se rappelle le jour où un bataillon égyptien a envahi sa maison, terrorisant ses enfants et leur ordonnant de partir.
“Ils ont placé des explosifs aux coins de ma maison et les ont faits sauter à distance par télécommande, devant mes yeux”, raconte Silmi à Al Jazeera. “L’épreuve ne s’est pas arrêtée là-bas, ils ont même commencé à poursuivre frénétiquement deux de mes fils, les accusant d’avoir des liens avec les combattants”.
L’armée égyptienne a finalement arrêté deux de ses enfants et les a violemment battus, avant de les relâcher, déclare-t-elle, ajoutant que sa famille a commencé à se préparer à déménager à Gaza peu de temps après. Ils n’ont pas été indemnisés pour leur maison démolie et ont dû repartir de zéro à Gaza. Silmi dit qu’elle vit dans une inquiétude permanente sur le destin de ses parents restés dans le Sinaï.
“J’ai tellement peur pour eux et ce qui peut leur arriver là-bas”, dit-elle. “Tous ceux qui voulaient se réfugier à Gaza n’y sont pas parvenus et, malheureusement, beaucoup sont encore bloqués dans le désert”.
Ziad Sarafandi, responsable des affaires de réfugiés à Gaza, a déclaré à Al Jazeera que les Égyptiens qui avaient fui la frontière avaient terriblement besoin d’aide. Son bureau essayait de les aider en assurant des bourses d’études pour leurs enfants afin qu’ils puissent étudier dans les universités locales, ainsi qu’en se coordonnant avec les Nations Unies pour aider à fournir un soutien de base.
“Ces réfugiés ont cherché refuge à Gaza, qui est principalement constitué de réfugiés”, explique Sarafandi. “Malgré les mauvaises conditions ici, il est exclu que nous abandonnions nos frères et sœurs égyptiens”.
Les Égyptiens qui ont traversé la frontière disent qu’ils sont continuellement hantés par ce qu’ils ont perdu, alors qu’ils luttent à présent pour survivre dans le territoire sous blocus.
Mohammed – qui s’exprime devant Al Jazeera sous la condition de l’anonymat, craignant des représailles de l’armée égyptienne – explique qu’il avait été obligé de fuir le Sinaï par crainte d’être tué ou blessé dans le conflit en cours.
“Nous avons échappé à une mort certaine. Après que mon fils ait été capturé par l’armée, puis torturé et ait perdu un de ses yeux, j’ai dit à ma famille que nous ne pouvions continuer à vivre ici un jour de plus”, raconte Mohammed. «Nous sommes passés à Gaza à travers les tunnels de contrebande. Mes filles et ma femme ont eu très peur en traversant les tunnels.”
“La guerre est si cruelle … Elle a imprégné l’esprit de mes enfants avec de très mauvais souvenirs et de très mauvaises expériences”, ajoute-t-il. “En dépit de notre peine et de ce que nous avons perdu, nous essayons de rester unis et de nous remettre à nouveau sur nos pieds. Mais j’attends le jour où la guerre sera terminée, pour rentrer chez moi et reconstruire ma maison au Sinaï avec ma famille”.
30 juin 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine