Par Abdel Bari Atwan
Larmes de crocodile aux Nations Unies
Beaucoup de belles paroles ont été dites et des larmes de crocodile versées au «Sommet des réfugiés» qui a eu lieu lundi en marge de l’Assemblée générale des Nations-Unies à New York. Les dirigeants du monde ont parlé avec émotion du sort des réfugiés et des migrants, et de la nécessité de leur fournir une assistance et de trouver des solutions radicales pour mettre fin à la tragédie du déplacement de masse. Mais ils avaient moins à dire au sujet de certaines des principales causes sous-jacentes à cette tragédie, à savoir les interventions militaires de l’Occident et l’égoïsme des pays riches.
Le président américain Barack Obama a appelé la communauté internationale à faire plus pour aider les réfugiés qui fuient les conflits en Syrie et dans d’autres pays ravagés par la guerre. Il n’a fait aucune référence, cependant, au rôle joué par son pays dans le démarrage ou l’alimentation d’un grand nombre de ces conflits, ou de trouver à défaut des solutions. Il n’a pas plus fait allusion à la fermeture de ses propres portes aux réfugiés, n’en admettant qu’un nombre limité pour sauver les apparences.
Les participants au sommet ont affiché l’objectif de réunir trois milliards de dollars comme une première étape vers la création d’un fonds international d’aide aux réfugiés. Cette somme est très modeste, étant donné que rien qu’un des nombreux pays intervenant en Syrie a dépensé deux fois ce montant en finançant et armant les insurgés dans le pays. Les États-Unis eux-mêmes ont dépensé un demi-milliard de dollars pour former et armer moins de 300 volontaires, dont la plupart ont fui dès le premier combat.
Pot de vin européen à la Turquie
À l’exception de l’Allemagne, aucun des pays riches en position d’aider les réfugiés syriens n’a ouvert ses portes. L’Union européenne a alloué six milliards d’euros sous forme de pot de vin pour la Turquie pour tenir les réfugiés loin de ses rivages, et les empêcher d’utiliser les ports turcs à bord de bateaux mortels dans l’espoir de trouver la sécurité et une vie décente en Europe.
Plus de 7000 migrants sont morts en Méditerranée au cours des deux dernières années seulement, tandis que les opérations de secours ont été partiellement suspendues.
Certains dans l’UE voient évidemment ces décès comme un moyen de dissuasion utile, et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés s’attend à ce que le nombre de victimes augmente encore l’année prochaine.
Riches et pauvres
Le prince héritier saoudien Muhammad bin-Nayef, qui représentait son pays lors du sommet de New York, a annoncé dans son discours que son pays avait donné refuge à deux millions et demi de réfugiés syriens. C’était tout nouveau pour nous… et sans doute pour eux aussi. Nous ne savons pas comment ces gens ont prétendument atteint l’Arabie Saoudite. Par téléportation, peut-être, vu que les frontières du pays avec la Jordanie et l’Irak sont si étroitement scellées qu’une mouche ne pourrait pas les traverser en restant inaperçue. Pourtant, l’Arabie Saoudite est l’un des pays qui a été le plus lourdement impliqué, probablement plus que tout autre, dans l’ingérence militaire et politique dans le conflit syrien. Ce pays a dépensé une fortune pour parrainer divers mandataires et clients, comme l’ont fait, mais à des degrés divers, ses alter-ego des États du Golfe, du Qatar, du Koweït et des Émirats arabes unis.
Ce sont les pays arabes aux ressources limitées et même les plus pauvres qui ont ouvert leurs portes, et dont les peuples ont ouvert leur cœur, aux réfugiés syriens, comme le Liban qui en accueille deux millions – deux cinquièmes de sa population – et la Jordanie qui en a accueilli deux autres millions – plus du quart de sa population – en plus d’accueillir des millions de réfugiés palestiniens et irakiens. Même le Soudan et d’autres pays arabes qui ne partagent pas de frontière avec la Syrie ont comme politique d’accueillir tous les réfugiés syriens.
Obama a concédé récemment que la pire erreur qu’il a faite dans la période couvrant ses deux mandats était d’avoir approuvé l’intervention militaire de 2011 en Libye. La semaine dernière, la commission des affaires étrangères du Parlement britannique qui a enquêté sur la question est parvenue à un verdict similaire, même si c’est avec des formules évasives et des euphémisme comme l’anglais le permet si aisément. Mais ni le président des États-Unis, ni les députés britanniques n’ont eu un mot de sympathie pour les trois millions de réfugiés libyens déplacés à la suite de cette intervention, et qui languissent, souvent à peine capable de joindre les deux bouts, dans deux pays arabes qui possèdent peu de réserves monétaires ou de pétrole, à savoir la Tunisie et l’Égypte.
La crise des réfugiés est un sous-produit des interventions armées de l’Occident et de ses obligés
Les dirigeants du monde entier qui prétendent vouloir résoudre le problème des réfugiés – ou tout au moins la proportion substantielle qui vient des mondes arabes et islamiques – devraient pour commencer cesser d’intervenir militairement dans le pays d’origine de ces migrants. Ils devraient cesser de les soumettre à l’occupation ou aux bombardements ou à l’envoi de forces spéciales ou régulières pour les détruire, es transformer en États défaillants ou d’y semer les graines de conflits sectaires ou ethniques pour déclencher des guerres civiles, les diviser et les démembrer, et faire de leurs ressources des proies faciles.
Voici ce à quoi l’ensemble du Moyen-Orient est soumis aujourd’hui. Ses crises de réfugiés en sont un sous-produit.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
21 septembre 2016 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah