Par Jaber Suleiman
La recherche d’un consensus peut être un processus long et complexe qui impose à tous les acteurs concernés de s’engager à parvenir à un accord. Dans le cas du projet de libération palestinien, trouver un consensus au sein du peuple palestinien, fragmenté par la force, est à la fois particulièrement difficile et d’une importance cruciale pour la création d’un mouvement national uni.
Quel est alors le rôle de la recherche d’un consensus dans le contexte d’une lutte de libération ?
L’analyste politique d’Al-Shabaka, Jaber Suleiman, apporte un éclairage sur cette question, en s’appuyant sur des exemples de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et sur l’expérience vécue par les Palestiniens au Liban.
Suleiman a travaillé en tant que consultant et coordinateur du forum de dialogue libano-palestinien à l’initiative Common Space, anciennement affiliée au projet de soutien du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur la recherche de consensus, la paix civile et le renforcement de la constitution au Liban.
Fort d’une grande expérience dans les pratiques aboutissant à un consensus, Suleiman propose plusieurs pistes sur ce qui a fonctionné, sur les luttes qui se sont développées et sur la manière dont ces initiatives au Liban peuvent inspirer un processus plus large de construction de consensus pour les Palestiniens.
La recherche du consensus dans la lutte palestinienne
La recherche du consensus revêt une importance particulière dans le cadre d’un projet d’émancipation. La lutte contre le colonialisme et l’occupation militaire nécessite une unité nationale afin de forger un mouvement de libération efficace.
Le dépassement des différences politiques, religieuses, ethniques et idéologiques est crucial, car il permet une confrontation collective et unifiée avec l’oppresseur.
Dans le contexte de la Palestine, la recherche du consensus est d’une grande importance pour résister au colonialisme sioniste visant à faire disparaître le peuple palestinien, culturellement et matériellement.
En fait, c’est précisément pour atteindre ce consensus que l’OLP a vu le jour en 1964, à la suite d’un accord inter-organisationnel. Et bien que l’OLP ait constitué un front national dans sa mission et sa charte – à l’instar du Front national de libération de l’Algérie, du Front national de libération du Sud-Vietnam et du Congrès national africain d’Afrique du Sud -, elle a connu plusieurs périodes de division, notamment lors des accords de Camp David en 1978, des accords d’Oslo en 1993, puis encore ultérieurement.
Des facteurs externes ont certainement entravé la capacité de l’OLP à atteindre ses objectifs d’émancipation, mais les divisions destructrices étaient également le résultat inévitable d’une direction défaillante qui s’est écartée du consensus et a abandonné la Charte nationale palestinienne de l’organisation.
Bien qu’il y ait eu de nombreuses tentatives pour réconcilier les divisions au sein de l’OLP – notamment la déclaration du Caire de 2005, le document de consensus national de 2006, l’accord de La Mecque de 2007 et l’accord du Caire de 2011 -, toutes ont échoué.
Cela est dû en grande partie au manque de volonté politique des factions palestiniennes, en particulier du Fatah et du Hamas, de donner la priorité à la réalisation d’un consensus national inclusif plutôt qu’à leurs propres objectifs et intérêts.
Il convient de noter que l’une des plus grandes initiatives consensuelles de l’histoire palestinienne émane de la société civile, à travers le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS).
Le mouvement est dirigé par le Comité national BDS (BNC) – la plus large coalition de groupes de la société civile palestinienne – et a été soutenu à l’origine par plus de 170 organisations palestiniennes lors de son lancement en juillet 2005.
Une étude de cas sur la recherche de consensus : Les Palestiniens au Liban
Le Liban est un contexte unique en raison de ses nombreuses divisions sectaires et politiques, mais l’accord de Taëf de 1989, officiellement connu sous le nom d’accord de réconciliation nationale, a constitué une étape cruciale dans la construction d’un consensus national et le rétablissement de la paix dans le pays après 15 ans de guerre civile.
Malheureusement, les Palestiniens ont été exclus du processus de réconciliation, même s’ils ont indéniablement participé à la guerre. Néanmoins, après Taëf, plusieurs tentatives ont été faites pour forger un consensus de réconciliation entre les Libanais et les Palestiniens au Liban.
En mai 1991, en marge du sommet de la Ligue arabe au Caire, le ministre libanais des Affaires étrangères, Farés Boueiz, a rencontré le chef du département politique de l’OLP, Farouk Kaddoumi, pour discuter des efforts préliminaires de réconciliation.
Plusieurs comités ministériels libanais ont ainsi été constitués afin d’entamer un dialogue entre les deux parties. Les Palestiniens ont également formé une délégation unifiée composée de membres de l’OLP et de factions de l’opposition.
Les deux délégations ont tenu leur première réunion en septembre 1991, au cours de laquelle les Palestiniens ont présenté un mémorandum intitulé « Les droits civils et sociaux du peuple palestinien ». L’idée maîtresse de l’accord de réconciliation était que les Palestiniens remettraient leurs armes en échange de droits civils.
Par la suite, la délégation libanaise a demandé du temps pour examiner le document et répondre aux demandes des Palestiniens. La réponse n’est jamais venue et le dialogue a été suspendu.
Cette situation s’explique par l’absence de volonté politique du côté libanais, de parvenir à un consensus sur l’échange prévu, et par le ressentiment persistant à l’égard des Palestiniens à la suite de la guerre.
En conséquence, les Palestiniens du Liban ont enduré de nombreuses années supplémentaires d’oppression dans les camps libanais.
Pendant le reste des années 1990, l’OLP a poursuivi ses efforts de dialogue avec les responsables politiques libanais, présentant en 1999 un autre mémorandum intitulé « Vers de nouvelles relations palestino-libanaises ». Néanmoins, les homologues libanais n’ont pas réussi à utiliser cette directive de manière concrète.
Ce n’est qu’en 2005 que les efforts de réconciliation entre Libanais et Palestiniens ont été relancés. En novembre de cette année-là, le bureau du premier ministre a créé le Comité de dialogue libano-palestinien (LPDC), un organe gouvernemental chargé d’aborder les différents aspects de la présence palestinienne au Liban.
Le comité a été chargé de collaborer avec l’UNRWA pour améliorer les conditions socio-économiques, juridiques et sécuritaires des réfugiés palestiniens dans le pays, de réglementer l’accès des Palestiniens aux armes à l’intérieur et à l’extérieur des camps de réfugiés et d’étudier le rétablissement des relations avec les représentants de l’OLP au Liban.
Il est important de noter que les bureaux de l’OLP ont été rouverts au Liban en 2006, après avoir été fermés depuis 1982, et qu’ils ont été élevés au rang d’ambassade en 2011.
En janvier 2015, le LPDC a lancé un dialogue libanais interne intensif entre les représentants de différents blocs parlementaires pour discuter des droits et des conditions de vie des Palestiniens au Liban. La commission a lancé ce dialogue en partant du principe que tout effort de réconciliation entre les Libanais et les Palestiniens nécessite d’abord un consensus libanais sur les questions fondamentales.
Le dialogue a débouché sur un document intitulé « Une vision libanaise unifiée pour les questions relatives aux réfugiés palestiniens au Liban », publié en janvier 2017. Mais malheureusement, les différents blocs parlementaires n’ont pas respecté les stipulations de l’accord telles que décrites dans le document ; ainsi, cette vision est restée un cadre théorique qui n’a pas eu d’effet tangible sur les politiques de l’État libanais à l’égard des Palestiniens.
Les représentants palestiniens au Liban ont également pris des mesures pour parvenir à la réconciliation par le biais du consensus. Par exemple, en janvier 2008, l’ambassadeur palestinien au Liban, Abbas Zaki, a publié la « Déclaration de la Palestine au Liban », qui présentait des excuses pour tout dommage causé par les Palestiniens au Liban pendant la présence de l’OLP dans le pays avant 1982.
Trois mois plus tard, en réponse à la déclaration palestinienne, plus de 40 personnalités chrétiennes libanaises se sont réunies lors de la conférence « Frankness and Reconciliation-Remembering April 13 » (franchise et réconciliation – souvenir du 13 avril) et ont présenté des excuses en retour pour les préjudices qu’elles avaient causés aux Palestiniens.
Ces initiatives ont sensibilisé l’opinion publique et encouragé le dialogue au Liban sur la nécessité de traiter les aspects fondamentaux de la présence palestinienne dans le pays, ce qui a permis la création de l’initiative « Espace commun » (Common Space Initiative – CSI). L’ICS a été créée en 2009 en tant que projet du PNUD au Liban.
En 2011, le Forum de dialogue libano-palestinien (FDLP) a été créé dans le cadre de l’ICS. Depuis lors, le LPDF s’efforce de réunir les communautés libanaise et palestinienne afin de modifier les préjugés et les stéréotypes de part et d’autre, tout en faisant pression sur les députés au parlement et les responsables politiques libanais pour qu’ils discutent des droits humains fondamentaux des réfugiés palestiniens.
Cette tâche est particulièrement difficile compte tenu de l’histoire tumultueuse des relations entre Libanais et Palestiniens dans le pays, qui a enraciné les idées fausses, les peurs et l’acrimonie entre les deux communautés.
En outre, le FDLP doit surmonter les obstacles créés par le gouvernement libanais, en particulier ceux liés aux politiques libanaises discriminatoires qui régissent la présence palestinienne au Liban. En plus du manque de volonté des députés et des partis politiques libanais, l’élite dirigeante refuse d’aborder les droits fondamentaux des Palestiniens au Liban dans le contexte des droits universels de l’homme et des réfugiés protégés par le droit international.
Il ne fait aucun doute que cela est dû en partie à la crainte de différents électeurs libanais que, si les Palestiniens se voient accorder des droits fondamentaux, ils resteront au Liban et perturberont le précaire équilibre confessionnel et politique du pays.
Enseignements à tirer pour l’élaboration de futurs consensus palestiniens
Il existe des exemples d’initiatives réussies de recherche de consensus créées par des organisations de la société civile palestinienne dont les Palestiniens peuvent s’inspirer.
En tant que cofondateur du Centre pour les droits des réfugiés (Aidoun) au Liban, j’ai participé à l’élaboration d’un programme de réconciliation et de reconstruction avec le Centre palestinien pour la recherche politique et les études stratégiques (Masarat) à Ramallah, avec le soutien de l’Initiative finlandaise de gestion des crises (CMI).
Ce programme s’est déroulé de 2012 à 2016 et a accueilli des réunions dans différentes villes arabes, avec la participation de personnalités de haut rang de l’OLP et du Hamas, ainsi que de chercheurs indépendants et d’universitaires.
Il a également abouti à la production de deux documents : « Reconstruction des institutions de l’OLP », qui est le résultat de plusieurs sessions de recherche de consensus qui ont eu lieu entre décembre 2012 et mars 2013, et le « Document d’unité nationale », qui a été produit en février 2016 et qui présente un plan de transition par étapes pour parvenir à un consensus entre les participants.
Aidoun et Masarat ont même organisé une réunion au Liban en juin 2016 entre les organisations de la société civile pour discuter de ces documents. Comme d’autres initiatives, ces propositions restent des cadres théoriques et n’ont pas encore été concrétisées.
En août 2015, Aidoun et Masarat ont organisé une réunion consultative sur les moyens de réactiver la représentation populaire et de développer une position unifiée pour les Palestiniens au Liban. Il s’agissait d’une initiative populaire visant à unifier, reconstruire et activer les comités populaires formés dans les camps de réfugiés palestiniens lorsque l’OLP opérait au Liban.
Cette initiative est d’autant plus importante que les camps sont politiquement divisés entre les comités de l’OLP dirigés par le Fatah et ceux affiliés aux factions de la Coalition nationale dirigée par le Hamas.
Des représentants de l’OLP, des factions de la coalition et des organisations de la société civile ont participé à la réunion, qui a débouché sur la création d’un comité de dix personnes composé de représentants des trois acteurs susmentionnés.
Bien que ces efforts aient connu le même sort que d’autres initiatives de réconciliation et de recherche de consensus, compte tenu de la complexité du processus de réconciliation lui-même, des succès ont été enregistrés et des enseignements peuvent en être tirés.
Les trois principales composantes palestiniennes au Liban – les factions de l’OLP, les factions de la Coalition nationale et les organisations de la société civile – ont pu s’entendre sur une vision unifiée de la présence palestinienne dans le pays et des questions liées aux droits de l’homme et aux moyens de subsistance. En d’autres termes, les factions palestiniennes et les organisations de la société civile ont réussi à surmonter – ou à neutraliser – l’état de division des Palestiniens afin de présenter des demandes unifiées à l’État libanais. Elles l’ont fait à plusieurs reprises.
Fondamentalement, le processus de construction d’un consensus reste une réalisation précieuse en soi. Plutôt que de se concentrer sur le résultat final – à savoir si un consensus national a été atteint – il est impératif de souligner les moyens mis en œuvre pour atteindre un tel objectif.
Le consensus est un objectif à long terme ; sa construction par le biais de ces initiatives facilite la confiance, la camaraderie et une remise en question radicale des paradigmes politiques actuels pour les personnes impliquées.
Bien entendu, la situation dans la Palestine colonisée diffère de celle de la diaspora, et la confrontation quotidienne avec la colonisation exige une approche particulière de la recherche du consensus.
En effet, surmonter la fragmentation géographique forcée des Palestiniens entre la Palestine colonisée et la diaspora ne serait qu’un début. En outre, la réforme et la reconstitution de l’OLP en tant que front national unifié nécessiteraient un travail considérable de la part des représentants palestiniens à travers le monde – un travail qui semble de plus en plus improbable compte tenu de la fracture politique palestinienne actuelle.
Toutefois, les exemples de réussite parmi les Palestiniens au Liban montrent le pouvoir de la recherche de consensus. Les factions politiques et les organisations de la société civile se sont réunies pour s’entendre sur les revendications à présenter à l’État libanais, sachant pertinemment que l’attente d’un consensus émanant du sommet des pouvoirs en place conduirait indubitablement à la poursuite des divisions.
Cela reste vrai aujourd’hui et souligne la nécessité d’adopter une approche ascendante pour parvenir à un consensus palestinien.
Auteur : Jaber Suleiman
* Jaber Suleiman, conseiller politique d'Al-Shabaka, est un chercheur/consultant indépendant en études sur les réfugiés. Depuis 2011, il travaille comme consultant et coordinateur pour le Forum de dialogue libano-palestinien à l'Initiative de l'espace commun, le projet de soutien du PNUD sur la construction du consensus et la paix civile au Liban. Entre 2007 et 2010, il a travaillé en tant que consultant pour le programme palestinien de l'UNICEF dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Il a été chercheur invité au programme d'études sur les réfugiés de l'université d'Oxford. Il est également co-fondateur du groupe Aidoun et du Centre pour les droits des réfugiés/Aidoun, et a écrit plusieurs études traitant des réfugiés palestiniens et du droit au retour.
18 juillet 2023 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah