Par Layth Hanbali
Les Palestiniens font l’expérience d’une solidarité mondiale sans précédent depuis l’Intifada de 2021, pourtant leur lutte pour la libération reste piégée par le cadre post-Oslo. L’analyste politique d’Al-Shabaka, Layth Hanbali, explore la riche histoire des comités populaires des années 1970 et 1980 pour proposer des recommandations sur la façon dont les Palestiniens peuvent réorienter leurs communautés et leurs institutions pour faciliter l’émergence d’une mobilisation populaire et libératrice.
Introduction
Avec le changement discursif significatif qui a émergé au niveau mondial après l’Intifada de 2021, les Palestiniens et leurs alliés ont réussi à centrer le colonialisme des colons sionistes comme la cause profonde de leur lutte, avec la libération comme seule solution.
Cela a supplanté les récits de paix et de construction de l’État qui ont dominé le discours mondial sur la Palestine, en particulier depuis les accords d’Oslo de 1993.
L’Intifada unitaire en cours continue de remettre en question la fragmentation géographique, sociale et politique forcée du peuple palestinien, alignant ainsi les luttes et les espoirs des communautés palestiniennes du monde entier.
Faire avancer l’objectif de la libération nécessite le redéveloppement d’un cadre anticolonial. Outre la promotion d’un discours de libération, ce cadre nécessite de subvertir les structures coloniales dans lesquelles vivent les Palestiniens.
Cette note d’orientation explore comment les Palestiniens peuvent repenser leur lutte de libération en se tournant vers leur riche histoire de mobilisation populaire.
Plus précisément, elle examine les succès des comités populaires palestiniens qui se sont formés en Cisjordanie et à Gaza dans les années 1970 et 1980, et propose des recommandations sur la manière dont la société civile peut aujourd’hui œuvrer à la reconstruction de communautés qui facilitent le développement d’un mouvement populaire de libération réimaginé.
L’héritage des comités populaires palestiniens
L’impressionnante mobilisation nationale des Palestiniens lors de la première Intifada doit être considérée dans le contexte de la mobilisation populaire qui l’a précédée. La première Intifada s’est appuyée sur des missions et des pratiques locales visant à se désengager du colonialisme israélien.
Les campagnes nationales qui ont vu le jour au cours de l’Intifada, souvent coordonnées par la Direction unie du soulèvement (UNLU, ou “United Leadership of the Uprising”), comprenaient le boycott des produits israéliens et de l’administration civile israélienne, le refus de payer les impôts israéliens et des appels bien suivis à la démission de centaines de collecteurs d’impôts et d’officiers de police palestiniens – autant de tactiques pratiquées tout au long des années 1970 et 1980.
Les campagnes nationales et les efforts des comités populaires pour défier l’appareil d’occupation israélien se sont renforcés mutuellement, et la décision par Israël de tous les interdire en 1988 illustre leur succès.
En effet, le ministre israélien de la défense de l’époque a déclaré que la décision d’interdire les comités populaires était due au fait qu’ils “sapaient l’appareil gouvernemental israélien et établissaient un appareil alternatif à sa place”.
Le volontariat palestinien au service de la libération
Les mouvements de volontaires palestiniens se sont formés en Cisjordanie et à Gaza à une époque où la lutte pour la libération était remplacée par un projet de construction d’un État.
Si ce projet s’est confirmé dans les années qui ont suivi la signature des accords d’Oslo de 1993, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a sans doute adopté ce modèle dès 1974, lorsqu’elle a approuvé le programme en dix points, une proposition qui a introduit le concept de la solution à deux États dans le discours nationaliste palestinien.
Bien que soutenu par le Fatah, la plus grande faction palestinienne au sein de l’OLP, ce programme a été condamné par d’autres factions qui ont formé le Front du refus, au motif que le Fatah abandonnait le reste de la Palestine historique.
La société civile palestinienne a également condamné le programme et, à partir des années 1970, a organisé des mouvements de volontaires pour atténuer les souffrances des communautés tombées sous occupation israélienne après 1967.
Principalement composés de professionnels de la classe moyenne, les volontaires ont aidé les agriculteurs et les communautés plus pauvres les plus directement touchés par l’occupation militaire, et ont mis en place des projets pour remettre en état les infrastructures détruites.
Très vite, ils se sont développés en réseaux régionaux de volontaires, dont certains appartenaient à des partis politiques, notamment le Fatah et le Parti communiste jordanien. [1]
Les activités des réseaux de volontaires ont politisé une génération de jeunes Palestiniens en rassemblant différentes composantes de la société palestinienne et en les sensibilisant à l’importance de la lutte anticoloniale.
Ces réseaux se sont développés conjointement avec des institutions culturelles qui affirmaient l’identité et l’histoire palestiniennes.
Par exemple, la troupe de danse populaire palestinienne El-Funoun a été créée en 1979 avec pour mission d’affirmer l’identité politique et culturelle palestinienne. En 1972, la société In’ash al-Usra, une organisation féministe et de développement à but non lucratif fondée en 1965, a lancé un programme culturel visant à préserver et à revitaliser le patrimoine palestinien.
Ces réseaux en constante augmentation ont facilité les avancées politiques et inculqué une éthique anticoloniale pour résister à l’agression militaire israélienne.
En 1976, les Palestiniens ont élu un grand nombre de maires et de conseils municipaux progressistes. Cela a permis la création du Comité national d’orientation en 1978, qui était composé de maires, de représentants syndicaux, d’étudiants militants et d’autres organisateurs de terrain.
Des groupes comme ce Comité national ont accéléré l’organisation d’alliances politiquement actives dans les territoires occupés, ce qui a encouragé et normalisé la mobilisation populaire dans les institutions publiques et dans la rue palestinienne comme moyen de contester l’occupation militaire coloniale.
Par exemple, en 1979, des mouvements de protestation qui ont duré plusieurs mois ont conduit à l’évacuation de la colonie israélienne d’Elon-Moreh, qui avait été construite sur des terres privées appartenant aux habitants palestiniens de la ville de Rujeib.
La même année, les protestations et la démission massive des maires ont empêché la déportation par Israël du maire de Naplouse.
Les conseils municipaux élus en 1976 ont également réussi à réduire leur dépendance financière à l’égard des sources de financement israéliennes, en collectant des fonds auprès des pays arabes voisins pour développer les services municipaux. Cette démarche a été particulièrement fructueuse à Naplouse, où la ville a pu augmenter son indépendance dans le secteur de l’énergie.
Les premières tentatives d’Israël pour étouffer ce mouvement ont consisté à criminaliser les activités des membres et à restreindre les déplacements de nombreux maires et militants.
Les universités palestiniennes, dont beaucoup étaient des centres d’activité politique, ont été fermées pendant plusieurs mois d’affilée à partir de 1979 et pendant les années 1980.
En 1980, des escadrons de la mort israéliens ont tenté d’assassiner trois maires de Cisjordanie, blessant gravement deux d’entre eux.
La mesure dans laquelle les autorités d’occupation israéliennes ont réprimé le militantisme palestinien dsur le terrain tout au long de cette période, atteste de son poids politique et de son efficacité.
En 1982, Israël a mis hors la loi le Comité d’orientation national et a démis de leurs fonctions les conseils municipaux et les maires élus. Il les a remplacés par des personnalités moins conflictuelles et, dans certaines régions, a confié les fonctions municipales aux ligues de village.
Ces ligues étaient en grande partie composées de Palestiniens issus de communautés rurales de Cisjordanie, prêts à collaborer avec Israël en échange de services, d’armes et de soutien financier.
Bien que les ligues de village aient finalement échoué en raison de la résistance populaire palestinienne, elles représentaient la première tentative israélienne d’installer une auto-administration palestinienne.
L’essor des comités populaires
Le mouvement des volontaires a conduit à l’émergence de comités populaires dans les années 1970 et 1980. Ces comités avaient pour objectif commun de combler les lacunes laissées par la négligence et le sous-développement imposés par Israël dans divers secteurs et étaient délibérément ancrés dans les communautés qu’ils servaient.
Des comités populaires ont été créés dans toute la Cisjordanie et à Gaza, remplissant diverses fonctions. Les comités les plus omniprésents agissaient au niveau du quartier, et étaient généralement composés de jeunes du même lieu.
Ils apportaient principalement un soutien aux plus démunis et augmentaient la capacité de résistance des communautés face aux attaques israéliennes, notamment en coordonnant l’entre-aide, en effectuant des gardes de nuit pour alerter des attaques de colons et de militaires, et en organisant le stockage et la distribution de nourriture en cas de couvre-feu prolongé.
Au cours de la première Intifada, lorsque l’armée israélienne a imposé les fermetures des écoles pendant des mois, les comités populaires ont également créé leurs propres écoles, souvent dans des lieux de culte ou même dans des lieux privés.
La plupart des comités populaires reposaient sur la mobilisation de bénévoles. Ils disposaient donc généralement de faibles budgets, qui étaient principalement collectés par des contributions locales et des recettes liées à des frais.
Les comités professionnalisés, tels que les comités d’agriculture et de santé, étaient plus susceptibles de rechercher des financements externes supplémentaires auprès de donateurs occidentaux, tandis que les donateurs arabes finançaient généralement des institutions basées dans les villes, telles que les organisations caritatives islamiques.
Le réseau de financement en expansion attestait l’existence d’un mouvement palestinien de base substantiel et prometteur.
Les comités économiques et agricoles
Un objectif central des comités populaires était de promouvoir l’indépendance de l’économie palestinienne. Des réseaux de coopératives et des projets d’économie locale ont promu les produits locaux et ont cherché à réduire la dépendance à l’égard des produits israéliens.
De nombreux quartiers se sont également lancés dans l’agriculture de proximité afin d’accroître la sécurité alimentaire. Ces initiatives étaient particulièrement répandues pendant la première Intifada, lorsque l’engagement à boycotter l’économie israélienne était à son apogée.
Des collectifs agricoles formés au niveau national par des réseaux d’agronomes et de militants visant à protéger et à développer le secteur en régression. Les agriculteurs sont fréquemment confrontés à la confiscation de leurs terres et aux dommages causés aux infrastructures par les forces d’occupation israéliennes, ce qui menace leurs moyens de subsistance et accroît la dépendance des Palestiniens vis-à-vis de l’économie israélienne.
En réponse, des réseaux de volontaires ont aidé aux travaux agricoles, se sont organisés pour protéger les agriculteurs et ont financé le développement des infrastructures.
Nombre de ces initiatives se sont transformées en comités populaires dans les années 1980. Par exemple, le Palestinian Agricultural Relief Committee (PARC) [2] a été créé en 1983, suivi par le Union of Agricultural Work Committee et le Technical Center for Agricultural Services en 1986. Ces comités ont contribué de manière significative à la mobilisation observée parmi les agriculteurs lors de la première Intifada, assurant un réseau croissant d’agriculteurs et d’agronomes palestiniens anticolonialistes et partisans de la libération.
Les comités pour les services de santé
De même, les Palestiniens ont formé des comités de santé composés de bénévoles parmi les professionnels de la santé, lesquels ont fourni des services médicaux dans les zones rurales.
Si leur objectif premier était de contrecarrer les politiques israéliennes d’occupation qui mettaient la santé des Palestiniens en danger, ils ont également contesté les attitudes et pratiques paternalistes et élitistes de l’establishment médical palestinien, perçues comme des facteurs supplémentaires de risque.
L’élite médicale palestinienne a tenté de créer des institutions autonomes par rapport à Israël, mais elle n’a pas réussi à s’opposer réellement aux autorités israéliennes et elle s’est plutôt concentrée sur l’expansion des services médicaux spécialisés dans les centres des villes et a conservé des attitudes paternalistes dans la prestation des services.
Les soins de santé ont donc été considérés comme une question individuelle plutôt que communautaire, ce qui a contribué à négliger les groupes marginalisés. En conséquence, de nombreux jeunes professionnels en sont venus à rejeter non seulement la domination coloniale, mais aussi le système médical palestinien.
De nombreux comités de santé ont ainsi développé une conception libératrice de la santé, promouvant un traitement global centré sur les déterminants sociaux, politiques et économiques.
Ces comités se sont focalisés sur la promotion de la santé et la santé publique, fournissant des soins de premier niveau aux communautés mal desservies et faisant fi de l’establishment médical traditionnel en faisant participer les bénéficiaires des soins de santé à la planification et à la prestation des services dont ils avaient besoin.
Les fondements anticolonialistes de nombreux comités populaires sont également mis en évidence par leurs liens avec d’autres mouvements de libération et des campagnes de solidarité internationale.
Par exemple, les fondateurs de l’Union des comités palestiniens de secours médical (UPMRC) [3] ont également cofondé le Conseil international de la santé des peuples, qui rassemblait des professionnels de la santé impliqués dans des mouvements de justice sociale dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nicaragua et le Bangladesh.
Bien que les comités de santé étaient des organisations indépendantes, chacun a été fondé par un groupe de professionnels ayant des liens avec les partis politiques. En effet, les comités de santé étaient considérés comme si fondamentaux pour la société civile palestinienne que les groupes politiques étaient obligés de les former et de les promouvoir.
Le premier et le plus important de ces comités a été l’UPMRC, créé en 1979 par des professionnels liés au parti communiste. Il a été suivi par l’Union of Health Care Committees en 1984, liée au Front démocratique pour la libération de la Palestine, et par l’Union of Health Work Committees en 19854, liée au Front populaire pour la libération de la Palestine [FPLP].
Mais tous les comités de santé n’ont pas adopté un programme anticolonial. En 1989, des professionnels affiliés au Fatah ont créé le Conseil des services de santé (HSC), retenant la même approche réformiste que son affilié. Il a donc été perçu comme manquant d’une vision libératrice claire.
En conséquence, alors que les comités de gauche s’activaient en défiant ouvertement les autorités israéliennes d’occupation, le HSC s’est présenté comme une organisation caritative et s’est enregistré auprès du gouvernement israélien comme une association à but non lucratif.
Dès sa création, le HSC a donc renoué avec l’establishment médical traditionnel, qui mettait l’accent sur des services paternalistes et centralisés dans les centres urbains, tandis que les comités de gauche s’adressaient aux communautés mal desservies et visaient à les autonomiser par le biais de programmes d’éducation, de médecine préventive et de promotion de la santé.
Les comités de santé ont si bien réussi à servir les Palestiniens sur le terrain qu’ils ont pénétré le spectre politique palestinien et qu’à eux tous, ils fournissaient 60% des soins de santé de premier niveau et tous les services aux handicapés en Cisjordanie et à Gaza en 1993.
Mais les différentes affiliations politiques des comités populaires les ont parfois amenés à se faire concurrence et à dupliquer les services.
De la libération à la construction d’un État
Bien qu’Israël ait interdit les comités populaires en 1988, ils ont continué à fonctionner jusqu’à ce que plusieurs facteurs contribuent à leur effondrement dans les années 1990, notamment les énormes pertes physiques et économiques subies pendant la première Intifada.
De plus, l’adoption par l’OLP du cadre d’Oslo en 1993, et la formation ultérieure de l’Autorité palestinienne (AP) en 1994, ont accéléré un processus de dépolitisation au sein de la société palestinienne, cimentant un changement de discours de la libération à la construction de l’État.
Le HSC, par exemple, a intégré tous ses services et installations au ministère de la Santé de l’AP nouvellement formé, et son directeur est devenu le vice-ministre de la Santé.
Après Oslo, de nombreuses initiatives communautaires et de base, y compris certains comités populaires, se sont transformés en organisations non gouvernementales (ONG). Il en est résulté la création d’un secteur d’ONG en expansion qui, avec l’AP, s’est disputé les ressources et a “ONGisé” le mouvement de libération palestinien.
De nombreux membres des comités, y compris des militants de gauche, ont rejoint le monde des ONG de l’après-Oslo, tandis que certains comités populaires se sont enregistrés comme associations caritatives et se sont adaptés à la néolibéralisation de la société civile palestinienne.
L’absence de vision politique claire de la part de l’UNLU et des comités populaires, au-delà de la contestation de l’occupation, peut également avoir accru leur vulnérabilité au projet de néolibéralisation.
Il faut noter également que les comités populaires ont subi les répercussions de divers développements géopolitiques régionaux à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Avec son désengagement de la Cisjordanie en 1988, la Jordanie a annoncé l’arrêt d’un programme de développement de 1,3 milliard de dollars pour la Cisjordanie.
De plus, l’exode des Palestiniens du Koweït à la suite du soutien de l’OLP à l’Irak pendant la crise du Golfe de 1990 et 1991 a tari le flux des envois de fonds de centaines de milliers de travailleurs palestiniens précédemment basés dans ce pays. Bien que ceux-ci n’aient pas été des sources directes de financement des comités populaires, ils ont coupé un flux de revenus et de capitaux en Cisjordanie.
En outre, les gouvernements occidentaux politiquement investis dans le processus d’Oslo ont commencé à rediriger les fonds des nouvelles ONG palestiniennes vers l’AP. Ces facteurs ont contribué à l’effondrement du cadre de libération des comités populaires, qui s’est progressivement transformé en cadre de construction de l’État par l’AP.
Perdant non seulement leur financement et leur soutien politique, les comités populaires ont perdu du personnel au profit de l’AP. Le personnel du ministère de la Santé est passé de 2000 en 1994 à 7000 en 1999, et on estime que 70% des cliniques de santé non gouvernementales de premier niveau ont fermé avec l’arrivée de l’AP.
Et les nouvelles ONG sont devenues vulnérables aux conditions imposées par les donateurs, pour lesquels la poursuite du financement était liée à leur dépolitisation et à leur acceptation des accords d’Oslo.
En fin de compte, les pertes infligées aux Palestiniens au cours de la première Intifada, conjuguées au projet de construction de l’État institutionnalisé avec la signature des accords d’Oslo, ont entraîné la dissolution des comités populaires en tant que mouvements anticolonialistes et de libération et la prolifération d’ONG centrées sur l’État.
Les obstacles à une résurgence de l’organisation populaire
La destruction des communautés palestiniennes par des décennies d’occupation coloniale continue d’entraver la capacité des Palestiniens à s’organiser.
En effet, Israël a fragmenté la société palestinienne, l’urbanisation rapide exacerbant ce problème. Alors que seulement 35% des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza vivaient dans des zones urbaines en 1946, ce pourcentage est passé à 75% en 2020.
Cette croissance est due aux politiques de dépossession d’Israël, qui ont eu un impact énorme sur les zones rurales.
De plus, avec la poursuite du nettoyage ethnique, de la violence brutale, de l’exploitation du travail et des ressources par Israël, et avec ses politiques visant à assurer la persistance de la dépendance économique des Palestiniens, la possibilité d’une mobilisation de fond semble très sujette à caution.
La complicité de l’AP dans la perpétuation de ce statu quo place également des obstacles importants sur la capacité des Palestiniens à se mobiliser comme ils le faisaient dans les années 1970 et 1980.
Au-delà de la collaboration en matière de répression avec les forces israéliennes d’occupation, l’AP est impliquée dans le dé-développement continu des services publics, notamment la santé et l’éducation.
Une mauvaise planification urbaine dans des communautés fragmentées signifie également que les Palestiniens vivent dans des espaces urbains surpeuplés avec une offre de services limitée. En d’autres termes, l’incapacité des Palestiniens de ces espaces à accéder aux ressources de base restreint leur capacité à s’organiser.
En outre, les conseils municipaux, qui ont été effectivement dépolitisés, n’ont ni l’expertise ni la volonté politique de relever ces défis ; leur rôle a été réduit à la fourniture des services les plus élémentaires, tels que les services publics de base, l’élimination des déchets et les routes.
Il ne s’agit pas de nier, cependant, que les Palestiniens se sont organisés avec succès ces dernières années malgré ces conditions. C
Cela inclut les manifestations localisées à Jérusalem, Beita, Nabi Saleh et d’autres villages, les manifestations anti-Prawer en 2013, le mouvement contre la conscription de la communauté druze, la Grande Marche du retour en 2018, le mouvement Tal’at – qui a articulé un cadre féministe de libération et organisé des manifestations à travers la Palestine colonisée et la région – et l’Intifada de l’Unité en cours qui a commencé en mai 2021.
Les manifestations contre la corruption de l’AP et sa collaboration avec Israël sont également de plus en plus courantes, la plus importante ayant eu lieu au cours de l’été 2021 contre l’assassinat par les forces de l’AP de l’éminent critique de l’AP, Nizar Banat.
Même les universités ont été confrontées à l’oppression des forces de l’AP qui étouffent la dissidence politique sur les campus. Par exemple, début 2022, l’AP, soutenue par la branche étudiante du Fatah, a attaqué l’université de Birzeit pour la punir de l’activisme politique de ses étudiants.
Mais ces mobilisations étudiantes n’ont pas réussi à se transformer en un mouvement de libération plus large, notamment en raison de l’oppression systémique exercée par l’AP et les forces israéliennes d’occupation.
Recommandations
L’examen des succès des comités populaires des années 1970 et 1980 ne conduira pas automatiquement à une vision claire du mouvement de libération aujourd’hui, mais il peut permettre de définir des objectifs de départ pour faciliter la croissance d’un nouveau cadre de libération parmi les Palestiniens. Il est crucial de commencer par remédier à l’effacement des communautés palestiniennes, pour qu’un cadre de libération puisse se développer et se renforcer.
Même si des défis et des obstacles subsisteront, la société civile palestinienne doit :
* Réorienter les priorités des conseils municipaux afin de raviver leur rôle politique et social, notamment en garantissant des infrastructures durables dans les villes en croissance rapide afin de répondre aux besoins sociaux, culturels et économiques de la population.
* Renforcer le rôle des institutions culturelles et éducatives, des bibliothèques publiques et d’autres forums publics afin de fournir des espaces où les communautés puissent articuler les besoins et les demandes politiques.
Les universités devraient compléter ce dispositif en développant leur engagement auprès du public. Dans différents départements universitaires, les éducateurs devraient inclure des programmes dans leurs cursus afin de s’assurer que leur travail est lié aux communautés de proximité.
En outre, les universités devraient institutionnaliser et exiger des études coloniales et anticoloniales auprès de leurs étudiants.
* Réorienter les services professionnels vers la satisfaction des besoins globaux des communautés qu’ils servent plutôt que d’appliquer des cadres néolibéraux dans le secteur public.
Par exemple, les professionnels de la santé devraient rejeter les pratiques de soins individualistes et paternalistes et parler de la nécessité d’améliorer les déterminants sociaux, économiques et politiques de la santé afin de promouvoir le bien-être collectif.
* Promouvoir les mouvements populaires existants qui ont déjà formé des structures communautaires, comme à Beita, Sheikh Jarrah, Silwan, Umm al-Fahm et dans le Naqab, et qui sont bien placés pour étendre leur rôle d’organisation réactive à la formulation d’une vision de la libération à partir de leurs bases communautaires.
Les groupes de la société civile, les syndicats et les autres organisations professionnelles doivent se joindre à ces mouvements et agir en tant que moyens grâce auxquels les campagnes d’information et de mobilisation peuvent se développer.
Notes :
[1] Le Parti communiste jordanien a été rétabli en 1982 sous le nom de Parti communiste palestinien, puis, en 1991, sous le nom de Parti du peuple palestinien.
[2] Le PARC est connu aujourd’hui sous le nom d’Association pour le développement agricole.
[3] L’UPMRC est connue aujourd’hui sous le nom de Palestinian Medical Relief Society.
[4] L’Union des comités de travail sur la santé a conservé son nom à Gaza, mais est connue aujourd’hui sous le nom de Comités de travail sur la santé en Cisjordanie.
Auteur : Layth Hanbali
* Layth Hanbali est consultant indépendant spécialisé dans les politiques de santé. Il a également travaillé comme chercheur, praticien de la santé publique et médecin, s'est porté volontaire en tant qu'organisateur de la société civile et a enseigné dans le cadre de plusieurs programmes de santé mondiale.Il a obtenu un master en politique, planification et financement de la santé à la London School of Economics and Political Science et à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, ainsi qu'un diplôme de médecine et une licence en santé mondiale à l'University College London.Son compte twitter.
16 février 2022 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah