Par Jalal Abukhater
Les médias et les dirigeants politiques ont présenté de façon biaisée l’attaque de Khairy Alqam dans la colonie israélienne de Neve Yaakov, où sept colons israéliens ont été tués, en ignorant le contexte dans lequel elle a eu lieu.
Le territoire palestinien occupé connaît actuellement les jours les plus violents, les plus destructeurs et les plus meurtriers de son histoire récente. L’occupation militaire israélienne se métastase en une sorte de monstre qui ronge la vie des Palestiniens sous toutes ses formes.
Un sentiment de désespoir, de frustration et d’impuissance plane sur nous tous, comme un nuage noir.
Puis soudain, un acte de défi perce l’obscurité, allumant une étincelle dans les yeux du peuple. Une tente de deuil à Jénine se transforme momentanément en une fête. Une rue de Kufr Aqab est noyée dans le bruit des feux d’artifice et des voitures qui klaxonne.
L’attaque mortelle de Khairy Alqam, qui a abattu sept colons israéliens dans la colonie israélienne de Neve Yaakov, est l’un de ces moments.
Il est difficile d’expliquer l’étincelle fugace que les gens ont ressentie lorsqu’ils ont appris la nouvelle. Je sais pertinemment qu’aucun d’entre nous ne se réjouirait de la mort. Mais pour comprendre les événements de Neve Yaakov et la réaction des Palestiniens à ces événements, il faut comprendre leur contexte.
Il faut comprendre l’histoire du lieu où ces faits se sont produits et l’histoire personnelle de celui qui les a perpétrés.
Les médias israéliens et internationaux, ainsi que les dirigeants politiques, ont tenté de transformer l’attaque en un crime à motivation religieuse parce qu’elle a eu lieu la veille du Shabbat dans une zone adjacente à une synagogue.
Mais ces mêmes comptes rendus ignorent le fait que Neve Yaakov abrite également le centre de commandement central de l’armée israélienne pour l’occupation de la Cisjordanie, et que la colonie a joué un rôle de premier plan dans le renforcement du contrôle israélien sur Jérusalem occupée.
Ignorer ce contexte ne fait que déshumaniser les Palestiniens.
Lorsqu’une attaque comme celle de Khairy Alqam à Neve Yaakov se produit, vous devez comprendre que cette violence ne se produit pas dans un vide.
Voici donc le contexte.
Itinéraire personnel et politique
Si aucun d’entre nous ne saura jamais vraiment ce qui a poussé Khairy Alqam à commettre un attentat à Neve Yaakov ce vendredi soir, un motif personnel peut être déduit de son nom même – il porte le nom de son grand-père, un Jérusalémite de 51 ans qui a été assassiné par un colon israélien en 1998.
Le colon qui a tué le grand-père d’Alqam était Haim Ferelman, un adepte du mouvement terroriste interdit Kach. Ferelman a été libéré en 2010 après avoir été acquitté par un tribunal israélien du meurtre de Khairy et de trois autres Palestiniens.
Sa libération a été célébrée par un autre adepte du mouvement juif suprématiste Kach, Itamar Ben-Gvir, qui occupe aujourd’hui le poste de ministre israélien de la sécurité nationale.
Au-delà de la dimension personnelle, il y a la circonstance générale de l’occupation et de l’empiètement des colonies illégales à Jérusalem-Est.
L’attaque a eu lieu à Neve Yaakov, une colonie illégale de Jérusalem-Est occupée. Elle n’a pas eu lieu dans un « quartier de Jérusalem », comme l’ont prétendu certains médias. Cela est important car il est crucial de connaître la nature de Neve Yaakov en tant que colonie, pour comprendre l’événement dans son ensemble.
Neve Yaakov a été créée en 1972 sur des terres illégalement expropriées par les autorités d’occupation israéliennes en avril 1968 et en août 1970. Les terres saisies appartenaient à deux villes palestiniennes voisines, Beit Hanina (551 dunams) et Al-Ram & Dahiyeh Al-Barid (315 dunams), en plus des terres saisies dans le village de Hizma à l’est (385 dunams).
La nouvelle colonie a été construite pour absorber les nouveaux immigrants sionistes venus de l’étranger. Beaucoup d’entre eux venaient de pays anglophones, notamment des sionistes américains, suivant les plans présentés par le leader du Kach, le rabbin Meir Kahane.
Avant l’occupation de Jérusalem-Est en 1948, les Palestiniens de la zone proche de Neve Yaakov savaient et reconnaissaient que les juifs possédaient déjà des terres dans cette zone.
Il s’agissait de 62 dunams, achetés en 1924 aux résidents de Beit Hanina par un mouvement sioniste religieux américain connu sous le nom de « Mizrachi », fondé en 1902. En 1948, les habitants de Neve Yaakov ont abandonné la colonie au début de la Nakba, alors que l’armée jordanienne se mobilisait contre la prise de contrôle de la Palestine par les sionistes.
Entre 1948 et 1967, l’armée jordanienne a établi une base militaire sur le site de la colonie, ce que les habitants ont compris comme une façon pour la Jordanie de préserver les biens juifs de toute prise de contrôle pendant la période de domination jordanienne sur la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
La colonie que nous voyons aujourd’hui est loin de ressembler à l’ancien site. En fait, la colonie dans sa totalité est construite sur des terres privées et titrées, dont les propriétaires palestiniens n’ont jamais été consultés ou indemnisés avant la prise de contrôle hostile.
Neve Yaakov, ainsi que les colonies voisines de Jérusalem-Est telles que Ramot, Pisgat Ze’ev et Pisgat Amir, ont joué un rôle essentiel dans le plan stratégique d’Israël visant à créer une ceinture de colonies exclusivement juives dans le nord de la ville occupée, afin d’étouffer les quartiers palestiniens en mettant fin à la contiguïté territoriale entre eux et d’empêcher toute expansion naturelle potentielle de ces quartiers à l’avenir.
Neve Yaakov, ainsi que d’autres colonies de Jérusalem-Est, ont servi l’objectif direct de fragmenter et de diviser la ville occupée.
Le projet de colonisation à Jérusalem
Aujourd’hui, les conséquences du projet de colonisation israélien à Jérusalem-Est sont ressenties par chaque Palestinien de la ville.
La ville d’Al-Ram a été séparée de force de Dahiyat Al-Barid par un mur de béton de 8 mètres de haut, construit en 2006. Les habitants ont été séparés de leurs familles et de leurs voisins, car le mur a littéralement surgi au cœur de leur ville. Les voisins devaient marcher 20 à 40 minutes pour se rendre visite en passant par des barrières et des points de contrôle militaires incontournables.
La ville de Hizma a été entièrement isolée de Jérusalem, transformée en véritable ghetto par le mur d’apartheid et un poste de contrôle militaire inaccessible à tous ses habitants. Elle a ensuite été encerclée par les colonies exclusivement juives de Neve Yaakov, Pisgat Ze’ev et Pisgat Amir.
À Beit Hanina, le quartier où j’ai grandi, l’effet a été ressenti différemment. La ville a été divisée en deux parties, la moitié derrière le mur d’apartheid et désignée comme « zone B et C » de la Cisjordanie, où la vie et la construction palestiniennes étaient sévèrement limitées, et l’autre moitié absorbée par la municipalité de Jérusalem, tombant sous la domination directe d’Israël après l’annexion de Jérusalem-Est occupée en 1980.
La plupart des terres restantes de Beit Hanna (2 927 dunams) ont été expropriées pour des colonies exclusivement juives, tandis que les Palestiniens ne sont restés que sur 2368 dunams de zones résidentielles construites.
Il est presque impossible d’obtenir des permis de construire pour les Palestiniens de Beit Hanina. Ceux qui construisent sur leurs terres ou ajoutent des extensions à leurs maisons reçoivent immédiatement des ordres de démolition des autorités israéliennes.
En comparaison, les colons de Jérusalem-Est reçoivent constamment de nouvelles extensions de leurs colonies, tandis que des colonies entièrement nouvelles sont construites spécifiquement pour les colons juifs au cœur de notre ville.
Depuis l’occupation de Jérusalem-Est par Israël, 58 000 logements ont été construits pour les Israéliens juifs dans la partie orientale de la ville, tandis que moins de 600 logements ont été construits pour les Palestiniens. La dernière maison construite l’a été dans les années 1970.
En outre, l’attaque à Neve Yaakov est déjà exploitée pour des plans plus draconiens pour le quartier de Beit Hanina.
Le maire de Jérusalem, Moshe Leon, et le maire adjoint Arieh King – tous deux adeptes d’une idéologie juive suprématiste – prévoient de développer des projets de colonisation visant spécifiquement à étouffer davantage Beit Hanina et à le priver des dernières terres libres.
Itamar Ben-Gvir utilise également l’attaque de Neve Yaakov pour affirmer qu’il va « combattre le terrorisme » en accélérant la démolition des maisons et des commerces palestiniens « illégaux » à Jérusalem.
Les bulldozers ont été déployés le matin même. La démolition de maisons de Palestiniens à Jérusalem-Est occupée constitue un crime de guerre et un crime contre l’humanité au regard du droit international.
En raison de la politique israélienne systématique de refus de permis et de l’absence de plans directeurs pour les Palestiniens de Jérusalem, près d’un tiers des constructions palestiniennes sont jugées « illégales », selon les autorités israéliennes d’occupation. L’homme chargé de délivrer les permis de construire à Jérusalem est un suprémaciste juif nommé Yonatan Yousef, que j’ai moi-même vu scander « Nous voulons la Nakba, nous voulons la Nakba maintenant » à des manifestants palestiniens et israéliens de gauche à Sheikh Jarrah le mois dernier.
Le centre de commandement de l’occupation
Au-delà de la discussion sur ce que la colonie de Neve Yaakov symbolise pour nous, Palestiniens de Jérusalem, je pense qu’il est important de discuter d’un autre fait concernant son existence : elle abrite le quartier général du Commandement central de l’armée israélienne.
Cette base militaire, directement adjacente à la rue où Khairy Alqam a perpétré son attaque, est la même base depuis laquelle Israël dirige l’occupation de la Cisjordanie.
Cette base, connue sous le nom de Fort Nehemiah, est essentiellement l’organe militaire responsable de toutes les unités, opérations et activités militaires israéliennes en Cisjordanie occupée.
De plus, son commandant est celui qui est autorisé à déclarer de nouvelles colonies en Cisjordanie, et à procéder à des démolitions et des explosions de maisons palestiniennes dans les territoires occupés.
Rien n’indique qu’Alqam avait l’intention de viser des moyens militaires. Cependant, il était clair que la rue où Khairy a mené l’attaque est directement adjacente à cette base militaire.
L’attaque de Khairy Alqam ne peut être séparée de ce contexte.
Auteur : Jalal Abukhater
* Jalal Abukhater est Jérusalemite. Il est titulaire d'une maîtrise en relations internationales et en politique de l'Université de Dundee, en Écosse. Son compte Twitter.
3 février 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine