Par Alaa Tartir
Dans son discours d’ouverture, Donald Trump a loué le président palestinien Mahmoud Abbas pour avoir signé courageusement la Déclaration de principes (DoP) sur la pelouse de la Maison Blanche il y a 24 ans.
Selon Trump, le DoP “a jeté les bases de la paix entre les Israéliens et les Palestiniens”. Tout aussi important, il a déclaré à Abbas : “Vous avez apposé votre nom au premier accord de paix israélo-palestinien”. Trump appuie Abbas pour qu’il soit “le leader palestinien qui signe de son nom l’accord de paix final et le plus important qui apporte sécurité, stabilité et prospérité aux peuples et à la région”.
C’était de la musique douce aux oreilles d’Abbas, qui souhaitait depuis longtemps cette reconnaissance. Abbas s’est longtemps plaint de ne pas avoir reçu une reconnaissance suffisante pour son rôle historique en signant ce document “très important”, car tout le crédit était allé à Yasser Arafat, y compris le prix Nobel.
Sans aucun doute, les propos en introduction de Trump ont stimulé l’ego d’Abbas à un moment où il souffre d’une crise de légitimité profonde chez lui, critiqué par le peuple palestinien pour conduire la politique palestinienne dans la direction de l’autoritarisme – principalement par la sous-traitance de la répression – et pour construire les bases d’un État policier palestinien sous occupation militaire israélienne.
Dirigeants dans le déni
Pourtant, l’apparente réception chaleureuse de Trump aurait inquiété et mis dans la confusion les Israéliens… À son tour, Abbas a donné la réplique à ce “trumpisme” de célébration des egos en disant : “Maintenant, Monsieur le Président, avec vous, nous avons l’espoir”. Au préalable de cette remarque, Abbas a déclaré à Trump: “votre courageuse conduite des affaires et votre sagesse, ainsi que votre grande capacité de négociation”, amèneront de façon primordiale la paix.
Cette rhétorique incroyable, cette hypocrisie et cet égotisme ont fermé les yeux et les esprits des deux présidents, les empêchant de reconnaître l’échec du DoP à assurer la prospérité et la sécurité des deux côtés, à savoir les Palestiniens et les Israéliens. En fait, le DoP a permis à Israël d’étendre ses colonies juives illégales en Cisjordanie occupée et à Jérusalem, et à poursuivre son processus de colonisation des terres palestiniennes.
L’échec de ce célèbre DoP et de son cadre signifie qu’Israël a développé et affermi ses politiques, ses pratiques et ses structures d’apartheid. Sur le fond, ce DoP n’était qu’un arrangement de sécurité entre le colonisé et le colonisateur pour assurer la tranquillité de ce dernier – ce qui est loin d’être un accord de paix – au détriment des moyens de subsistance du peuple palestinien.
Partenariat douteux
Les conditions liées aux arrangements de sécurité et de la lutte contre le terrorisme étaient au cœur des propos de Trump, ce qui correspond aux revendications israéliennes et à la doctrine de sécurité de l’Autorité palestinienne (PA) imposée par les donateurs. Trump a déclaré clairement: “nous devons continuer à construire notre partenariat avec les forces de sécurité palestiniennes pour contrer et vaincre le terrorisme”.
Trump a ajouté: “Ils [les établissements de sécurité palestiniens et israéliens] s’entendent incroyablement bien … Ils travaillent ensemble magnifiquement” – une déclaration qui a indigné de nombreux Palestiniens. Sans surprise, Abbas hocha la tête pour signifier son accord tout au long de la conférence de presse, puisqu’il considère la coordination de la sécurité comme un “intérêt national palestinien” et comme une doctrine “sacrée“.
Cependant, en réalité, cela se traduit par un partenariat qui vise à criminaliser la résistance palestinienne contre l’occupation israélienne. Cela signifie un partenariat qui vise à renforcer la domination des dirigeants et des forces de sécurité de l’AP, les faisant agir comme des corps répressifs à l’encontre du peuple palestinien et de sa lutte pour l’autodétermination. Ce partenariat se manifeste par le parrainage des transformations autoritaires qui ont accompagné le projet de construction de l’État palestinien, en particulier au cours de la dernière décennie.
La majorité des Palestiniens rejettent cette coordination de sécurité “sacrée” entre l’AP et Israël, ce qui a contribué de manière significative à l’élargissement du déficit de légitimité accordé par le peuple palestinien à l’élite politique et aux forces de sécurité.
Mais ni Abbas ni Trump ne se soucient des aspirations et des revendications du peuple palestinien. Les deux présidents ne comprennent pas que, d’abord et avant tout, un accord de paix durable et significatif n’est pas possible sans l’approbation et l’accord des peuples. Atteindre la paix, contrairement à ce qu’affirment Trump et Abbas, est plus complexe qu’une simple signature d’un “document”.
Paradigme en échec
À l’instar de la plupart des administrations américaines précédentes, Trump voit surtout le “grand et ultime accord” par le biais de lentilles répressives et économiques. En conséquence, il remet sur la table un chemin bien usé et un paradigme éculé d’une approche basée sur une paix sécuritaire et économique.
Trump refuse de reconnaître que l’aide économique ne peut pas acheter la paix politique. L’administration actuelle n’a qu’à se pencher sur l’approche de la paix économique qui était celle de l’administration Obama pour tirer des conclusions évidentes.
Même un bref examen de l’ancienne Initiative économique de Palestine (PEI) du secrétaire d’État américain John Kerry, fournit de nombreux exemples et autant de leçons que les “nouvelles opportunités économiques” dictées par les États-Unis, dans leur compréhension de la paix et de leur approche pour un “grand accord” ne mèneront pas à la paix.
En fait, c’est le contraire qui est vrai: maintenir et affermir un statu quo qui nie les droits fondamentaux de l’homme, l’égalité et la liberté.
Trump a conclu la réunion en déclarant: “Nous allons entamer un processus qui, espérons-le, débouchera sur la paix”. Il n’a ni défini le processus ni ses paramètres, ni mentionné le projet d’État palestinien, ni la solution à deux États qu’Abbas a poursuivi tout au long de sa carrière politique. Abbas a simplement dit “Ok”. Il a approuvé le “lancement d’un processus” et il a accepté de “prendre la route pour la paix” sous la direction de Trump.
Pour Trump, ainsi que la plupart des administrations américaines précédentes, la paix signifie la sécurité pour Israël et la stabilité politique. Pour la direction politique israélienne, et comme en témoignent les faits accomplis sur le terrain, la paix signifie l’annexion, la colonisation et l’apartheid. Pour les dirigeants de l’AP – non élus et non représentatifs – la paix signifie renforcer leurs privilèges économiques, leur pouvoir et leur autorité (réels ou supposés). Abbas, ses conseillers et les dirigeants politiques palestiniens sont incapables de comprendre la simple leçon – étayée depuis des décennies par suffisamment de preuves suffisantes – que les États-Unis sont un courtier malhonnête pour la paix.
Réaliser la paix impliquerait la décolonisation et le démantèlement du régime israélien d’apartheid, et de mettre fin à l’occupation militaire israélienne illégale : c’est la première étape. Mais ni l’administration américaine, ni Abbas ni Netanyahu, ne sont disposés à emprunter cette voie. Ils peuvent s’engager dans un processus qui satisfera leurs égos et leurs fantasmes idéologiques, mais qui ne garantira certainement pas une paix juste et durable. Cette tâche reviendra à la prochaine génération de dirigeants.
Auteur : Alaa Tartir
* Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, Il est associé de recherche et coordinateur académique à l'Institut universitaire de hautes études de Genève, Global Fellow à l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo (PRIO), et membre du conseil d'administration de Arab Reform Initiative. Il a notamment publié : Outsourcing Repression: Israeli-Palestinian security coordination.Consultez son site Internet et il peut être suivi sur Twitter @alaatartir.
4 mai 2017 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah