Par Haidar Eid
“O Blanc, reprends ton lourd fardeau :
Envoie au loin ta plus forte race,
Jette tes fils dans l’exil
Pour servir les besoins de tes captifs;
Pour – lourdement équipé – veiller
Sur les races sauvages et agitées,
Sur vos peuples récemment conquis,
Mi-diables, mi-enfants.The White Man’s Burden – The United States and the Philippine Islands par Rudyard Kipling, 1899
Dans la littérature et le discours racistes classiques, les autochtones noirs/bruns sont dépeints comme des groupes d’hommes paresseux, incapables de se diriger eux-mêmes ; ce sont des groupes d’humains arriérées qui s’opposent aux hommes modernes. Les meilleures intentions de ces groupes humains ne servent finalement à rien, et tout ce qu’ils ont est le fruit de l’illusion et de l’intervention occidentale. L’idéologie raciste du colonialisme justifie l’occupation de leurs terres puis défend le soi-disant visage humain du colonialisme occidental en général, et du colonialisme israélien en particulier.
Jared Kushner, le gendre de Donald Trump et son conseiller pour le Moyen-Orient, a récemment mis en doute la capacité des Palestiniens à se gouverner eux-mêmes : “La question mérite d’être posée. Nous espérons qu’avec le temps, ils deviendront capables de se gouverner… Il faut [aux Palestiniens] un système judiciaire équitable… la liberté de la presse, la liberté d’expression, la tolérance pour toutes les religions, pour que les territoires palestiniens puissent devenir “investissables”. Il considère bien sûr qu’Israël bénéficie de toutes ces libertés, en faisant comme si elles n’étaient pas réservées à un seul groupe ethno-religieux.
Il est allé encore plus loin, lorsqu’on lui a demandé si les Palestiniens pouvaient espérer s’émanciper de la domination de l’armée et du gouvernement israéliens, en disant que ce serait “mettre la barre un peu haut ” ! Pour lui, “ce que [le peuple palestinien] veut, c’est la possibilité de vivre une vie meilleure. Ils veulent pouvoir payer leur hypothèque.”
C’est du racisme pur et dur, tout droit issu du darwinisme social du XIXe siècle.
Jared Kushner entre autres suprématistes blancs, de l’Afrique du Sud à l’Amérique du Sud en passant par l’apartheid en Israël, adhèrent à la thèse raciste classique fondée sur une approche strictement biologique : les êtres humains se distinguent les uns des autres par des spécificités biologiques qui entraînent des différences d’intelligence ataviques. C’est de ce raisonnement que naît le racisme. En vertu de cette logique, les Palestiniens ne peuvent pas, à la différence des Israéliens ashkénazes blancs, se diriger eux-mêmes. Peu importe qu’en réalité les différences entre les groupes sociaux soient la résultante de forces matérielles et historiques, comme on le voit bien dans le cas des colons israéliens et des autochtones en Palestine.
On peut se demander si Kushner a déjà entendu parler de Samira Azzam, Salma Khadra Jayyusi, Ghassan Kanafani, Mahmoud Darwish, Toufik Zayyad, Ibrahim Abu Lughd, Hisham Sharabi, Naji Al-Ali ou Fadwa Touqan, pour ne citer que quelques grands esprits palestiniens.
Les Palestiniens, pour de jeunes blancs riches comme Kushner, ne sont pas de véritables êtres humains à la différence des Israéliens ashkénazes, car ils ne produisent ni bombes ni machines. Et donc, ils ne peuvent tout simplement pas se gouverner eux-mêmes. Ils sont évidemment responsables du sort tragique qui est le leur depuis 1948. Israël et les États-Unis ont essayé de les civiliser. Mais les Palestiniens ont une mentalité différente et inférieure à celle des Occidentaux. C’est pourquoi ces Palestiniens primitifs et barbares devraient être reconnaissants aux Israéliens ashkénazes d’avoir la générosité de se donner le mal de les diriger.
Le message de Kushner est tout à fait clair : Puisqu’on ne peut pas faire confiance aux Palestiniens pour s’auto-administrer, ils devraient signer l’”Accord du siècle” et accepter d’être les esclaves des Israéliens. L’idéologie de Kushner est non seulement raciste, mais aussi islamophobe et orientaliste. Je n’ai aucun doute qu’il aurait soutenu les lois Jim Crow et le régime de l’apartheid, puisqu’il n’a aucun problème avec la nouvelle loi de l’État-nation israélien !
Permettez-moi de conclure cet article avec un joyau de l’un des plus grands penseurs palestiniens du XXe siècle, le regretté Edward Said, extrait de Culture et impérialisme : “Le facteur commun du colonialisme et du néocolonialisme, en tant que composantes de l’impérialisme, est la présomption de la supériorité du colonialiste blanc/occidental sur le colonisé noir/autochtone – et le droit du premier à opprimer le second dont la seule fonction est de réaffirmer la supériorité du premier”.
* Haiddar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine. Son compte Twitter.
5 juin 2019 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet