Par Tareq S. Hajjaj
Les organisations de la résistance palestinienne se sont regroupées dans le nord de Gaza et lancent une offensive contre les forces israéliennes, avec pour objectif de perturber l’invasion en cours de Rafah.
Les familles transportent leurs affaires et tout ce qu’elles possèdent dans de petits sacs et partent en masse. À l’arrière-plan, on aperçoit une épaisse fumée noire, tandis que le bruit des bombardements, de l’artillerie et des tirs intenses ne cesse de retentir.
Ce qui différencie cette scène de toutes les autres étapes de cette guerre génocidaire, c’est qu’elle se déroule dans la ville de Jabalia et dans le camp de réfugiés de Jabalia, au nord de Gaza, là où Israël avait osé prétendre, au début de l’année, que la présence militaire du Hamas avait été réellement éliminée.
Cinq mois plus tard, l’armée israélienne y retourne et lance une opération militaire de grande envergure dans le nord de Gaza. Elle procède en tandem avec l’invasion de Rafah au sud. Un crime pour en cacher un autre…
La raison de cette seconde invasion du nord est affichée sur les écrans d’ordinateurs et de téléphones depuis quelques jours : des vidéos incroyables de combattants des Brigades Qassam (l’aile militaire du Hamas) lançant des attaques complexes contre les forces israéliennes, y compris des attaques à la roquette et au mortier, des pièges et des embuscades contre des soldats, et le ciblage de chars d’assaut.
Le fait que cela se produise maintenant, alors qu’Israël a commencé son invasion de Rafah, n’est pas non plus une coïncidence.
Les Brigades al-Qassam du Hamas ont publié une vidéo montrant leurs combattants attaquant des soldats et des véhicules israéliens dans les ruelles de Jabaliya. On y voit 10 chars Merkava touchés par des obus de 105 al-Jassin, dont certains ont été incendiés. Sur certaines images, des bâtiments abritant des forces israéliennes ont été touchés par des obus anti-blindage TBG.
Les organisations de la résistance ont été en mesure de se regrouper et de déplacer leurs combats du sud vers le nord. Elles envoient ainsi à Israël le message qu’elles existent toujours dans le nord, contrairement à ce qu’il prétend, et qu’une invasion similaire de Rafah ne parviendrait pas non plus à les « démanteler ».
Les analystes d’Al Jazeera estiment que la résistance fait pression sur l’armée en la forçant à retourner dans le nord de la bande de Gaza et à détourner certaines de ses forces de Rafah.
Haaretz l’a également confirmé, rapportant que plusieurs brigades de l’armée israélienne qui devaient participer à l’opération de Rafah, comme la 98e division, se battent désormais à Jabalia.
À cette fin, les Brigades Qassam ont employé un certain nombre de tactiques offensives diverses et de qualité et ont publié des vidéos de leurs opérations.
Elles ont utilisé des drones pour la première fois depuis la fin du mois de novembre dernier, larguant des explosifs sur les chars Merkava.
Selon une annonce faite par les Brigades Qassam le 12 mai, les combattants du Hamas ont pris pour cible plusieurs chars dans la zone de Zeitoun, à l’est de la ville de Gaza, et dans la zone de Mabhouh, à l’est de Jabalia, et lorsque les soldats ont fui les chars et se sont barricadés dans les bâtiments voisins, les combattants auraient fait exploser ces maisons avec les soldats qui s’y trouvaient.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les Brigades Qassam ont pris pour cible plus de dix véhicules militaires, tiré des barrages de mortier dans le quartier de Zeitoun, mené des opérations de snipers dans la même zone et lancé une salve de roquettes depuis Jabalia qui a atteint Ashkelon.
De plus, des habitants du nord de Gaza ont déclaré au Mondoweiss que des fuites se sont répandues dans le nord de Gaza, indiquant que les différentes factions de la résistance dans les zones de Jabalia, du camp de réfugiés de Jabalia, de Beit Lahia et de Beit Hanoun, toutes situées au nord de la ville de Gaza, ont uni toutes leurs brigades.
Cela semble correspondre à l’analyse selon laquelle la résistance prépare une formidable offensive pour perturber l’invasion de Rafah.
Les habitants du nord de Gaza confirment également que les affrontements dans le secteur ont été féroces, et que les opérations de la Résistance dans les zones de combat ont été parmi les plus importantes observées depuis le début de la guerre.
D’autres résidents ont déclaré à Mondoweiss que l’armée d’occupation avait des difficultés à pénétrer à nouveau dans ces zones du nord de Gaza, et que sa réponse avait été de poursuivre une stratégie de destruction massive et de bombardement généralisé de la zone avant d’y pénétrer, comme elle l’a fait depuis le début de la guerre.
Certains habitants ont déclaré à Mondoweiss que l’invasion ressemblait aux « horreurs de l’apocalypse ».
Tout cela se passe dans le nord, alors que la résistance dans le sud a également accéléré le rythme des opérations qualitatives. Aujourd’hui même, les Brigades Qassam ont diffusé une vidéo d’une embuscade complexe dans un tunnel impliquant l’utilisation de lance-roquettes EFP et RPG contre des soldats et des véhicules militaires, ce qui montre que les combats à Gaza s’intensifient sur tous les fronts.
De nouveaux massacres sont en cours
Alors que la bataille fait rage avec la résistance, les destructions massives de l’armée israélienne ont suivi le même schéma que les invasions précédentes : l’armée encercle les abris, coupe les communications avec le monde extérieur, puis entre, commet des massacres et procède à des exécutions de masse sur le terrain.
Le vendredi 10 mai au matin, l’armée israélienne a commencé à envoyer des messages et des appels téléphoniques dans les zones de Jabalia, Beit Lahia, le camp de réfugiés de Jabalia et le camp de réfugiés d’Awda.
Cette nuit-là, l’armée a encerclé les abris scolaires hébergeant les personnes déplacées dans la zone de Jabalia et a complètement démoli des blocs résidentiels entiers, dont plus de 20 bâtiments.
Ces terrains ont également été rasés, selon les témoignages recueillis sur le terrain par Mondoweiss. Trois jours plus tard, l’armée israélienne a coupé les communications de la zone de Jabalia.
Jusqu’à présent, des dizaines de personnes ont été tuées dans ces zones, la majorité d’entre elles n’ayant pas encore été retrouvées dans les décombres et dans leurs maisons bombardées.
Dans les jours et les semaines à venir, des informations pourraient faire état de nouvelles atrocités et de la découverte de nouveaux charniers dans le nord de la bande de Gaza.
Bien que les habitants de ces zones aient été avertis au début de la guerre de quitter leurs maisons, la plupart d’entre eux ont refusé et sont restés sur place.
Cette fois-ci, c’est différent. Après avoir assisté à d’innombrables massacres sanglants dans le nord, dont le plus tristement célèbre est celui de l’hôpital al-Shifa en mars, nombreux sont ceux qui réfléchissent à deux fois avant de rester sur place.
Rania Moussa, 36 ans, mère de quatre enfants, est restée dans le camp de réfugiés de Jabalia depuis le début de la guerre. Elle a décidé très tôt de ne pas obéir aux ordres de l’armée israélienne de quitter son quartier, défiant ainsi les conditions pénibles auxquelles la région de Jabalia a été soumise, notamment les bombardements, les arrestations, les démolitions et les exécutions sommaires.
Mais cette fois, le massacre d’al-Shifa pèse lourdement sur l’esprit de Rania. Elle pense que ce qui s’est passé à al-Shifa se répète déjà à Jabalia, et c’est pourquoi elle et sa famille ont décidé de partir pour la ville de Gaza lorsque l’armée a donné l’ordre d’évacuation.
Elle a ensuite découvert que l’armée avait également envahi al-Zeitoun, à l’est de la ville de Gaza.
« Nous ne savions pas que l’occupation reviendrait au camp de Jabalia après tous ces mois », a-t-elle déclaré à Mondoweiss. « Nous avons subi des bombardements et des tirs d’artillerie tous les jours depuis le début, mais maintenant tout est différent. La présence de l’armée tout près de nous est encore pire. »
Lorsque l’armée est aussi proche de la population civile, a déclaré Rania, « tuer devient plus facile que de boire de l’eau pour les soldats ».
« Ce qui s’est passé à al-Shifa nous a fait fuir nos maisons de peur de faire partie des victimes enterrées dans le sable et les ordures, et avec le temps, personne ne nous reconnaîtra », a expliqué Rania.
« Je ne veux pas que mes enfants soient enterrés, découpés et laissés en plein air pour que les chiens les dévorent. Je ne voulais pas de cela pour ma famille, alors j’ai fui vers le quartier d’al-Rimal dans la ville de Gaza ».
Cependant, tout le monde ne part pas, même si les habitants disent à Mondoweiss que la deuxième invasion du nord de Gaza semble être encore plus violente et plus destructrice que la précédente.
Ils s’attendent à ce que cette fois-ci l’ampleur de la destruction soit totale et ne laisse pas un seul bâtiment debout, mais certains s’obstinent encore pour rester – parce que la première sortie du nord sera la dernière, et qu’il n’y aura pas de retour.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
14 mai 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine