Par Ali Jezzini
La véritable réussite de la Résistance palestinienne, en 2021, est de s’être imposée comme le porte-parole exclusif du peuple palestinien. Elle a fait taire toutes les voix qui appelaient à des compromis mortifères et à la reconnaissance de l’occupation.
Il est difficile de trouver une arme qui a changé la nature de la guerre entre la Résistance palestinienne de Gaza et l’occupation, autant que l’ont fait les roquettes. La preuve de l’importance de ces armes est l’obsession qu’avait l’armée de l’occupation de détruire les infrastructures liées à leur fabrication pendant la confrontation de Saif Al-Quds(1), la dernière guerre de Gaza.
Une brève histoire d’Al-Qassam
Les Gazaouis racontent que les armes lourdes de la seconde Intifada étaient si rares que les résistants gazaouis appelaient le mortier à tube 120 MLM, “le mortier missile “, lorsqu’il est arrivé dans la bande de Gaza occupée.
L’histoire du martyr Nidal Farhat, l’un des fabricants des premiers exemplaires de roquettes Qassam, reflète le parcours de nombreux combattants et leaders de la Résistance. En 2003, Farhat a été assassiné, avec un groupe de compagnons, alors qu’il développait le drone Ababeel-1, ce qui a fait de lui un martyr de la Résistance.
La bataille technologique contre l’occupation dure depuis longtemps. On ne peut pas parler du développement technique et opérationnel atteint par les factions de la Résistance à Gaza sans mentionner le nombre énorme de dirigeants et de concepteurs assassinés par Israël et morts, donc, en martyrs. Le niveau actuel de développement semble miraculeux compte tenu du nombre de ces martyrs ; ces hommes ont toujours été les premières cibles de l’occupation et de ses agents locaux.
Les premières roquettes Qassam n’étaient que des tubes métalliques remplis d’un combustible pour fusée composé de sucre et d’engrais agricoles. Afin de faciliter le processus de fabrication, les ailettes de stabilisation étaient soudées directement sur la queue de la fusée. Ces ailerons ont pour but de stabiliser la fusée en la forçant à tourner après son lancement pour réduire la traînée, ce qui stabilise sa trajectoire et augmente par conséquent sa précision. La technologie disponible rendait quasi impossible la fabrication d’armes plus complexes.
Le poids de l’ogive explosive de la fusée ne dépassait pas quelques kilogrammes. Il s’agissait d’un mélange de billes de fer antifriction, que l’on peut trouver dans n’importe quel roulement de roue de voiture civile, et d’explosifs fabriqués localement selon la méthode mentionnée précédemment, ou en réutilisant des obus aériens ou terrestres lancés par l’occupation à Gaza.
“Recycler” les explosifs pour les renvoyer là d’où ils venaient est l’une des principales méthodes qui ont permis à la Résistance d’obtenir des matériaux explosifs de haute qualité jusqu’à ce jour, ont déclaré ses représentants à de nombreuses occasions.
Le retrait d’Israël de la bande de Gaza en 2005 a donné à la Résistance de Gaza la latitude nécessaire pour opérer librement et lancer son processus de développement, principalement grâce aux efforts locaux. Ce développement s’est fait par le biais d’un processus d’erreurs et d’essais. Dissuader l’armée d’occupation, armée jusqu’aux dents d’armements de pointe, de massacrer sans discernement la population de Gaza n’allait pas être une tâche facile.
Tous les ans ou tous les deux ans, un nouveau modèle de roquette Qassam sortait.
En 2002, le missile Qassam-2 est apparu, avec une portée maximale de 12 km. En 2005, la fusée Qassam a atteint une portée de 15-17 km. En 2006, le missile Quds-3, développé à partir du missile soviétique Grad, est sorti, donnant à la Résistance davantage de moyens pour répondre aux attaques israéliennes sur Gaza.
En 2009, l’équilibre des forces a de nouveau changé, car la Résistance a révélé qu’elle disposait de roquettes pouvant atteindre 40 km au-delà des frontières de la bande de Gaza assiégée.
Ces roquettes étaient fabriquées en usine, ce qui signifie que les normes de fabrication étaient beaucoup plus strictes ; elles avaient donc une efficacité opérationnelle plus élevée.
En 2012, lors de la guerre de cette année-là contre Gaza, l’équilibre des forces a changé une fois de plus, car la Résistance a ciblé “Tel Aviv” pour la première fois en utilisant des roquettes Fajr-5 et des missiles M-75 et J-80 de fabrication locale. Non seulement la portée de ses roquettes a augmenté, car elles étaient plus grandes, mais la taille de la tête explosive a également augmenté, passant de plusieurs kilogrammes dans les premières roquettes Qassam à des dizaines de kilogrammes dans les Fajr et M-75.
La trajectoire de développement s’est poursuivie de 2014 jusqu’à la guerre de Saif Al-Quds [1], et il est devenu plus fréquent de frapper la profondeur stratégique de l’occupation. Le nombre de roquettes de moyenne et longue portée a continué à augmenter. Le type de missile A-120, nommé Raed Al-Attar en l’honneur de ce leader de la Résistance mort en martyr, est apparu, ainsi que le missile A-250 qui a la plus grande portée à ce jour.
Ce dernier a été nommé Yahya Ayyash, en l’honneur de cet ingénieur et leader de la Résistance mort en martyr.
Le “Dôme de fer” (Iron Dome)
Dans un rapport publié par The Conversation, l’écrivain américain spécialisé dans les affaires de sécurité, Michael J. Armstrong, a révélé des détails intéressants concernant la dernière guerre. Armstrong affirme que la Résistance palestinienne a réussi à lancer 137 missiles en seulement 5 minutes, selon des médias israéliens.
L’écrivain poursuit en disant que, bien que ce nombre soit encore inférieur aux capacités des batteries d’artillerie des armées régulières, il s’est considérablement amélioré par rapport à la cadence de tir des dernières guerres.
Cette cadence a permis à la Résistance de “submerger” les batteries du Dôme de fer, en limitant la capacité des radars du Dôme à analyser et à diriger les intercepteurs vers les cibles. Selon un rapport des médias israéliens, dans l’un des incidents, une batterie du Dôme est tombée en panne et n’a pas pu intercepter les missiles.
L’auteur a évoqué la possibilité que les batteries du Dôme de fer elles-mêmes soient la cible de tirs. Il affirme qu’un barrage de missiles de la Résistance a effectivement ciblé le Dôme à une occasion, mais que le tir de roquettes n’était pas assez précis pour atteindre son but.
D’autre part, Armstrong parle d’une étude qu’il a menée en 2018, qui disait que les frappes aériennes israéliennes n’avaient pas réussi, lors des opérations précédentes, à réduire la fréquence et le nombre de missiles tirés par la Résistance, et affirmait que seule les attaques par voie de terre y parvenait.
Selon Armstrong, le même scénario s’est répété lors de la bataille de Saif Al-Quds. Les forces d’occupation israéliennes (FOI) n’ont pas lancé d’offensive terrestre lors de la dernière guerre, car il semble que ses généraux étaient bien conscients du coût élevé qu’un tel choix impliquerait. La crainte des pertes humaines israéliennes remonte en grande partie à la tentative d’invasion de Gaza de 2014.
Les forces terrestres de l’OIF avaient alors subi de nombreuses pertes, en particulier dans la brigade d’élite Golani.
Dans une autre étude de 2014, Armstrong a prédit la faiblesse du Dôme de fer, dont j’ai parlé précédemment, lorsque le système est “inondé” de cibles. L’étude disait que “les intercepteurs très performants pourraient se révéler ‘fragiles’ – si leur capacité était dépassée, les dommages sur le terrain monteraient en flèche.”
À cet égard, on peut s’interroger sur le “bénéfice” réel de systèmes similaires au Dôme de fer et sur le danger de trop s’y fier. La situation politique et géopolitique d’”Israël” donne à penser qu’il aura des difficultés dans une guerre à grande échelle impliquant un engagement sur plusieurs fronts.
Une guerre de volonté
Lorsqu’on examine le point de départ de la lutte palestinienne contre l’occupation dans le cadre de la lutte arabe au sens large, et le type d’armement utilisé au fil des ans, on note une autre évolution intéressante.
Il est vrai que dans les années 80, la résistance palestinienne utilisait déjà des roquettes pour bombarder les colonies de l’occupation situées sur les terres dont les Palestiniens avaient été expulsés par la force, mais aujourd’hui, leur utilisation est standardisée.
Des objectifs politiques plus larges ont été atteints, comme lors de la récente bataille de Saif Al-Quds, au cours de laquelle la Résistance palestinienne de Gaza s’est imposée, en 2021, comme le porte-parole exclusif du peuple palestinien.
Elle a fait taire toutes les voix qui appelaient aux vains compromis et à la reconnaissance de l’occupation. Cette même occupation qui a refusé toutes les demandes de laisser rentrer chez eux les Palestiniens bannis par le nettoyage ethnique, et qui a poursuivi ses politiques expansives et agressives.
L’occupation israélienne savait que vaincre d’un seul coup tous les peuples de la région qui refusaient sa nature coloniale et suprématiste n’était pas dans ses cordes, c’est pourquoi l’État hébreu a toujours utilisé une stratégie consistant à séparer les fronts et à les neutraliser un par un.
Cette stratégie se reflète dans la communauté palestinienne elle-même. C’est-à-dire que les habitants de la Cisjordanie sont coupés par la force d’Al-Quds (Jérusalem) occupée, et tous les deux sont coupés des résidents de la Palestine occupée en 1948, ou de Gaza assiégée.
Dans le cas d’une guerre longue ou sur plusieurs fronts, le soi-disant Dôme de Fer sera incapable d’intercepter la majeure partie des missiles tirés sur les installations de l’occupation ; l’armée le sait très bien. C’est pourquoi elle applique la doctrine “Shock and Awe” qui consiste à rendre la guerre aussi violente et courte que possible.
Le nombre de missiles intercepteurs n’est pas suffisant, ni le nombre de batteries du Dôme de Fer, et donc, à la lumière de ces faits, le concept de conflit de volonté réapparaît. Le rôle psychologique du dôme de fer apparaît également plus clairement que jamais : il offre aux colons une sécurité temporaire et virtuelle et consolide l’idée du “puissant colonisateur”, dont le bouclier brillant ne peut pas être éraflé par les flèches des “indigènes”.
En termes numériques, la différence des pertes matérielles entre la Résistance et l’occupation a été clairement en faveur de l’occupation, aucune personne saine d’esprit n’oserait contester ce fait, mais les chiffres ne sont pas tout.
Yahya Al-Sinwar, un haut dirigeant du mouvement Hamas, a prononcé un discours à la suite de la guerre de Saif Al-Quds ; un coup d’œil sur la couverture médiatique israélienne de son discours en dit long.
Plusieurs intervenants sur les chaînes de télévision israéliennes se sont offusqués de l’audace et de la fierté d’Al-Sinwar qui a parlé, “comme s’il était le vainqueur”. Ni la Résistance ni les habitants de Gaza ne sont fous, comme de nombreux médias et chercheurs occidentaux aiment à le croire.
Au contraire, ils savent qui occupe leur terre et ils sont conscients de la fragilité intérieure d’ “Israël”. Les décideurs israéliens se rendent également compte de cette fragilité, la preuve, ils considèrent le moindre changement dans l’équilibre des forces comme une menace existentielle.
La population de Gaza et sa Résistance savent que le conflit ne trouvera peut-être pas de solution en 2022, ni peut-être dans les années à venir, mais en tant que peuple de cette région, qui se bat pour sa liberté et l’avenir de ses enfants, elles savent que le vainqueur de cette guerre sera celui qui aura le plus de souffle.
Note :
1. “Saif al-Qods” (Epée de Jérusalem) est le nom donné par les factions de la Résistance palestinienne dans la Bande de Gaza à la récente confrontation militaire avec Israël, qui à son tour, avait baptisé son opération militaire à Gaza “Gardien des murs”.
20 décembre 2021 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet