La première femme apicultrice de l’enclave assiégée parle des défis auxquels est confrontée la profession apicole de Gaza.
BEIT HANOUN, Bande de Gaza – À environ 300 mètres de la clôture séparant la bande de Gaza et Israël, Samar al-Baa, qui est la première femme apicultrice de Gaza, est occupée à vérifier les ruches et à extraire le miel.
Le père de Baa, Othman al-Baa, était un fermier et apiculteur très connu du village de Beit Hanoun dans le nord de la bande de Gaza, mais il a été tué par un missile israélien qui a touché le sol alors qu’il collectait du miel en 2006.
Après la mort tragique de leur père, la famille a abandonné la terre et le rucher a été abandonné.
Après avoir été au chômage pendant cinq ans après avoir obtenu son diplôme, Baa, âgée de 31 ans, a décidé de reprendre en main le rucher de son père.
Selon le Bureau palestinien des statistiques, le taux de chômage des jeunes diplômés a encore augmenté au premier trimestre 2022 : 27 % des 19 à 29 ans titulaires d’un diplôme en Cisjordanie sont au chômage, et 75 % dans la bande de Gaza.
En 2013, Baa a obtenu un baccalauréat en éducation de l’Université ouverte Al-Quds de Gaza, mais elle gagne maintenant sa vie grâce aux compétences apicoles qu’elle a acquises avec son père à l’âge de 13 ans.
« J’ai toujours accompagné mon père sur le terrain et j’ai appris de lui dans mon enfance – où la région était pleine d’eucalyptus, d’agrumes et de fleurs avant d’être rasée par l’armée israélienne lors des continuelles incursions de ces dernières années”, dit Baa à Al-Moniteur.
Elle explique aussi : « La région a changé. Gaza n’a pas l’environnement adéquat pour que les abeilles se nourrissent, alors nous plaçons maintenant les ruches près de la clôture [de séparation] afin qu’elles puissent traverser du côté israélien où les arbres fleurissent, et qu’elles puissent trouver une meilleure nourriture ».
Baa a réhabilité six ruches en 2018 et a ajouté sept autres ruches à partir de ses propres économies. Elle a réussi à porter le nombre de ruches à 65 au début de 2021, mais la zone a de nouveau été exposée aux bombardements israéliens lors de la dernière agression contre la bande de Gaza en mai 2021.
« J’ai trouvé les abeilles mortes sur le sol, et à l’intérieur des ruches », dit-elle en parlant de la destruction de 27 ruches.
« Même la production de miel que je n’avais pas encore pu récolter avant la guerre a été pollué par les éclats de missiles et de bombes à gaz qui ont touché la région », a-t-elle ajouté.
Avec l’aide de ses frères, Baa a remis en état le rucher et elle cultive maintenant des plantes aromatiques médicinales, telles que le thym, la sauge et le moringa, comme source d’alimentation pour les abeilles.
En mai, elle a récolté dans 35 ruches un total de 120 kilogrammes de miel, qu’elle commercialise auprès de divers types de clients.
Le prix moyen d’un kilogramme de miel produit dans la bande de Gaza est de 70 shekels (soit 19,5 euros), alors que le prix d’un kilogramme de miel importé va de 35 à 100 shekels (de 10 à 28 euros), selon la qualité et le pays d’origine.
Au début de sa carrière d’apicultrice, Baa a dû faire face à un certain nombre de difficultés, dont l’opposition de la société à son travail dans ce qui est considéré comme une profession masculine, et le fait que le lieu de travail est extrêmement dangereux.
« Après le martyre de mon père, personne dans ma famille n’a accepté l’idée de travailler dans la zone frontalière », note Baa. « Je viens travailler quand le secteur est plein de gens et d’agriculteurs afin de réduire le risque d’être seule. »
Ayesh al-Shanti, directeur du Département de la production animale au ministère de l’Agriculture à Gaza, est d’accord avec Baa. Il explique à Al-Monitor qu’en raison de la destruction des terres agricoles, de nombreux agriculteurs placent des ruches près de la frontière afin que les abeilles puissent se nourrir avec les arbres du côté israélien. Mais ce n’est pas une mission sans risque.
“Les avions israéliens pulvérisent les zones frontalières avec des pesticides pour brûler les cultures de plein champ afin de dégager la vue aux soldats israéliens. Cela conduit à la mort d’un grand nombre d’abeilles tandis qu’elles partent à la recherche de nourriture”, déclare-t-il.
« Il y a environ 20 000 ruches à Gaza – réparties dans 400 ruchers – qui produisent 200 tonnes de miel par an », ajoute-t-il, notant que le taux de production d’une ruche varie entre 7,5 kilogrammes et 8 kilogrammes dans une situation normale, et sans apport de sucre.
Selon Shanti, lors des visites sur le terrain pour évaluer les dégâts après la guerre dévastatrice de 11 jours en mai 2021, « le ministère a constaté que 30 % des ruchers étaient fortement touchés et que la majorité des abeilles étaient mortes à cause des gaz ou du souffle des bombardements ».
Il souligne que les autorités israéliennes d’occupation libèrent l’eau de leurs barrages à la clôture de Gaza, ce qui a pour effet de noyer les ruches.
« Nous travaillons constamment pour améliorer les espèces d’abeilles et introduire de nouvelles espèces pour que les agriculteurs puissent produire de plus fortes quantités et une meilleure qualité de miel. Mais les mesures israéliennes entravent l’entrée d’équipements et l’installation de reines plus fécondes à Gaza », dit encore Shanti.
Il conclut : « Les autorités israéliennes empêchent également l’introduction de médicaments vétérinaires au ministère de l’Agriculture ».
Baa rêve de développer son rucher avec plus d’outils et de ruches, et d’ajouter une serre pour faire pousser des plantes aromatiques afin de nourrir ses abeilles tout au long de l’année.
Elle est devenue un modèle pour les autres filles et femmes de la région et de toute la bande de Gaza, car de nombreuses familles du village pourtant assez conservateur de Beit Hanoun, envoient aujourd’hui leurs filles apprendre l’apiculture avec Baa dans sa ferme.
6 juin 2022 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine