Par Samar Saeed
Le mois dernier, des centaines de millions d’étudiants à travers le monde ont repris les cours dans leur université et leur école après les vacances d’hiver. Mais pas les Palestiniens de Gaza.
Au cours des 125 derniers jours, Israël a bombardé toutes les universités et 370 écoles. Le 6 novembre 2023, le ministère de l’Éducation de Gaza a suspendu l’année scolaire 2023-2024 en raison de l’agression israélienne et des bombardements sans discernement des écoles et autres établissements.
Ce n’est pas la première fois qu’Israël prive les Palestiniens de Gaza de leur droit à l’enseignement en détruisant les lieux de savoir et en assassinant enseignants et étudiants.
Karma Nabulsi, chercheuse palestinienne et professeure à l’université d’Oxford a créé le terme « scolasticide » en référence à la destruction systématique et intentionnelle des infrastructures éducatives palestiniennes par Israël.
« Actuellement à Gaza, » dit-elle, « nous voyons cette politique – ce « scolasticide » à l’œuvre plus clairement que jamais. Les Israéliens … savent à quel point l’éducation est importante dans la tradition palestinienne et la révolution palestinienne. Ils ne peuvent l’accepter et doivent la détruire. » C’était en 2009 que le professeur Nabulsi disait ceci.
Aujourd’hui, 15 ans plus tard, les images et vidéos provenant de Gaza qui montrent l’oblitération des universités et l’assassinat de professeurs et d’étudiants par les forces d’Occupation Israéliennes (IOF) ont choqué les témoins à travers le monde.
Malgré la magnitude inégalée de destructions et de morts, l’attaque perpétrée contre l’éducation palestinienne, englobant universités, facultés, bibliothèques, et archives a toujours été au cœur du projet colonial d’Israël en Palestine.
Les Palestiniens de Gaza ont, sur plusieurs décennies, subi une détérioration systématique de leurs institutions éducatives. Par le biais de tels actes de destruction, Israël non seulement détruit physiquement les sites du savoir palestinien et de la construction de la conscience communautaire mais cherche également à effacer notre histoire et à saper notre avenir et nos aspirations à la libération et à la liberté.
L’éducation joue un rôle central pour les Palestiniens dans l’affirmation, la documentation, et l’analyse de notre histoire. C’est dans la salle de classe que les Palestiniens envisagent, développent notre conscience politique, et remettent en question les récits sionistes.
Historiquement, les espaces éducatifs ont fonctionné comme moteur de la lutte révolutionnaire. Les enseignants ont utilisé ces espaces pour éduquer les élèves sur les dangers de l’impérialisme, du capitalisme, et du colonialisme à l‘échelle du globe et pas seulement en Palestine.
La salle de classe que ce soit dans les écoles ou les universités, ont ouvert de nouveaux horizons et de nouvelles possibilités aux Palestiniens qui luttaient contre la colonisation de leur terre en 1948 et à nouveau en 1967.
C’est exactement ce qu’a fait Refaat Alareer, assassiné par Israel le 7 décembre 2023. Il a inspiré et libéré l’imagination politique de ses étudiants. Il leur disait qu’ils étaient les acteurs de l’histoire, les restaurateurs du récit palestinien, il les encourageait à prendre la parole et à remettre en question les récits occidentaux déformants et déshumanisants sur la Palestine et les Palestiniens.
Le dernier massage qu’il a adressé à ses étudiants et au monde entier fut le suivant, « Si je dois mourir, tu dois vivre pour raconter mon histoire, » les incitant à continuer de relater notre récit.
Le fait qu’Israël cible continuellement les sites de production du savoir palestinien est une indication que l’éducation et la pensée palestiniennes posent une menace permanente à son projet colonial.
C’est un rappel sévère que les Palestiniens existent et que nous persisterons à résister. Que nous sommes un peuple doté d’une histoire riche, d’une culture, d’une poésie et d’un art qui alimentent l’amour révolutionnaire des Palestiniens pour la libération de notre terre.
En 2009, à la fin de l’attaque de Gaza par Israël d’une durée de 23 jours, 14 sur 15 institutions d’enseignement supérieur avaient été endommagées. Trois facultés et six universités furent totalement détruites.
Les Forces d’Occupation Israéliennes avaient ciblé l’Université Islamique, la plus grande et la plus importante université de Gaza, et l’Université AL-Azhar, la deuxième plus grande université de Gaza.
En 2014, les Forces d’Occupation Israéliennes ont également bombardé l’Université Islamique et une branche de l’Université Al-Quds, tuant 22 Palestiniens. A la fin de l’assaut israélien contre Gaza, d’une durée de 50 jours, 407 étudiants avaient été tués.
De la même façon, au cours du dernier bombardement en date de Gaza, le système éducatif n’a pas été épargné. Les attaques systémiques d’Israël ont commencé le 9 octobre 2023 par le bombardement et la destruction de l’Université Islamique de Gaza (les Forces d’Occupation Israéliennes assassineront ensuite, le 2 décembre, le président de l’université, le Dr Sufyan Tayeh, scientifique de renommée mondiale, ainsi que sa famille).
Cette attaque fut suivie par le bombardement de la Faculté des Sciences Appliquées et de Technologie le 19 octobre 2023, l’Université Al-Azhar le 6 novembre 2023, l’Université Ouverte le 15 novembre 2023, l’Université de Gaza le 4 décembre 2023.
Plus récemment, le 17 janvier 2024, les Forces d’Occupation Israéliennes ont oblitéré l’Université Al-Israa, la dernière université encore debout à Gaza. Israël a assassiné 231 enseignants, 4237 étudiants, et 90 000 étudiants palestiniens ne peuvent fréquenter l’université dans la Bande de Gaza.
Les attaques d’Israël contre l’éducation palestinienne ne se limitent pas à la Bande de Gaza.
D’après Samia Al-Botmeh, professeur à l’Université Birzeit : « Depuis 1982, plus de 2000 étudiants de l’Université Birzeit ont été emprisonnés par les Forces d’Occupation Israéliennes. Actuellement, plus de 124 étudiants, 2 universitaires, et 2 membres du personnel sont détenus dans des prisons israéliennes, parmi lesquels 57 furent arrêtés après le 7 octobre et cinq d’entre eux sont en détention administrative. 30 étudiants de Birzeit ont été tués par les Forces d’Occupation Israéliennes. »
Mme Al-Botmeh explique que la violence systématique contre l’éducation dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie « ne consiste pas seulement à cibler un service aux Palestiniens. Elle cible un mécanisme de résistance et de survie. »
En Occident, de nombreux intellectuels et étudiants ont exprimé leur condamnation des actions d’Israël contre les universitaires palestiniens. Toutefois, malgré les critiques répandues, des actions concrètes pour isoler Israël et lui demander des comptes pour son agression contre Gaza font défaut.
En fait, les universités dans le monde occidental ont fait exactement l’inverse, prenant des mesures strictes pour censurer, faire taire et punir les étudiants qui dénoncent le génocide perpétré par Israël.
Il est impératif, à ce stade critique alors que le nombre de morts palestiniens s’élève à 27 000 et le nombre de blessés à 66 663, que des organisations telles que l’Association of Asian American Studies, l’American Student Association, la Native American and Indigenous Studies Association, la Middle East Studies Association, et l‘American Anthropology Association prennent des mesures concrètes pour promouvoir le mouvement Boycott, Désinvestissement, et Sanctions (BDS), appel qu’elles ont toutes avalisé.
D’après la professeure Fida Adely, plus de soixante quinze sections d’enseignants et de personnels en faveur de la justice en Palestine ont été créées au cours des derniers mois aux EU et le BDS est l’un de leurs principaux préceptes.
Scholars Against the War on Palestine (SAWP) [Universitaires contre la guerre à la Palestine], coalition transnationale qui rassemble enseignants, chercheurs, et doctorants pour mettre fin à la guerre contre la Palestine a également été récemment constituée.
Répondant à l’appel des Palestiniens pour que « le monde universitaire prenne des mesures urgentes afin d’arrêter le génocide perpétré par Israël à Gaza », le SAWP formule les exigences suivantes :
- un cessez-le-feu immédiat sans conditions et permanent
- la fin du siège de Gaza
- la défense du droit à l’éducation des Palestiniens
- la fin de l’occupation militaire de toutes les terres palestiniennes
- le démantèlement du système d’apartheid
- la mise en œuvre des droits inaliénables du peuple palestinien dont le droit à l’auto-détermination sans interférence externe, l’Independence et la souveraineté nationales, et le retour dans leurs foyer et leurs biens dont les Palestiniens ont été chassés.
Le SAWP vient aussi de publier un important ensemble d’outils comprenant des actions internes à mettre en œuvre contre le scolasticide.
Ces efforts des enseignants et personnels devraient être soutenus par des institutions et associations universitaires plus importantes. Les universités israéliennes ont, elles, permis à Israël de mener son projet colonial dès sa création.
L’Université de Tel Aviv, par exemple, a mis en place un partenariat avec Elbit Systems, société qui fournit armes et technologie qu’Israël déploie pour surveiller et assassiner les Palestiniens.
L’Institute for National Security Studies, [Institut d’Études pour la Sécurité Nationale], think-tank affilié à l’Université de Tel Aviv a mis au point la « Doctrine Dahiya »
Baptisée du nom d’un quartier de la banlieue sud de Beyrouth dont les infrastructures civiles et militaires ont été bombardées sans discernement par Israël en 2006, cette doctrine autorise l’usage d’une « force disproportionnée » pour « infliger des dégâts et destructions considérables » à des « zones civiles » qu’Israël considère comme « bases militaires.»
Cette tactique a été utilisée à Gaza et a mené à une perte en vies civiles catastrophique et à la dévastation des infrastructures de Gaza, dont celles de l’éducation.
La University of Haifa, la Hebrew University, la Tel Aviv University, la Reichman University ont apporté et apportent leur soutien au génocide en cours perpétré par Israël à Gaza.
Une réelle solidarité exige plus qu’une simple rhétorique ; elle nécessite des actions décisives.
Le temps est venu pour que les institutions universitaires et les intellectuels organisent les efforts pour inciter leur université à couper les liens d’avec les institutions israéliennes impliquées dans la violence et le nettoyage ethnique dont sont victimes les Palestiniens, et que le monde entier peut voir en direct.
Auteur : Samar Saeed
* Samar Saeed est doctorante au département d'histoire de l'université de Georgetown. Ses recherches portent sur les femmes et le genre en Jordanie à la fin des années 1950 et au début des années 1970. Elle utilise l'histoire orale comme principale moyen d'étude pour comprendre les transformations politiques qui se sont produites pendant cette période et leur influence sur les rôles des hommes et des femmes et les relations sociales en Jordanie et autres lieux.Son compte Twitter/X.
08 février 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – MJB