Par Patrick Cockburn
Donald Trump quitte aujourd’hui le Moyen-Orient, non sans avoir contribué à diviser la région et à l’empêtrer dans les conflits un peu plus qu’elle ne l’était auparavant.
Au même moment où Donald Trump stigmatisait l’auteur de l’attentat suicide à Manchester de «méchant raté de la vie », il contribuait au chaos dans lequel Al-Qaïda et l’OEI ont pris racine et ont prospéré.
Le massacre à Manchester peut paraître éloigné des guerres au Moyen-Orient, mais le lien existe.
Il a rendu l’Iran, et par implication la minorité chiite de la région, presque exclusivement responsable du « terrorisme » alors qu’il est notoire qu’Al-Qaïda s’est développée au cœur des pays sunnites et que ses croyances et pratiques viennent du wahhabisme, variante sectaire et rétrograde de l’islam la plus répandue en Arabie Saoudite.
Lier la vague d’atrocités terroristes depuis le 9 septembre aux chiites, qui le plus souvent en ont été la cible, va à l’encontre de tous les faits connus.
Cette affabulation historique pernicieuse ne fait pas peur à M. Trump. « Du Liban à l’Irak et au Yémen, l’Iran finance , arme et forme des terroristes, milices et autres groupes extrémistes qui répandent la destruction et le chaos dans la région, » a-t-il dit devant une assemblée de 55 dirigeants sunnites à Riyad le 21 mai.
En Israël, il a informé le premier ministre Benjamin Netanyahou que l’accord sur le nucléaire du président Obama avec l’Iran en 2015 est « une chose terrible, terrible …. Nous leur avons lancé une bouée de sauvetage ».
En attaquant furieusement l’Iran, M. Trump va encourager l’Arabie Saoudite et les monarques du Golfe à escalader leurs guerres par procuration partout au cœur du Moyen-Orient. Cela encouragera l’Iran à prendre des précautions et à estimer qu’une entente à long terme avec les Etats-Unis et les états sunnites est de moins en moins réalisable.
Il y a des signes avant-coureurs que le soutien de M. Trump aux états sunnites, aussi répressifs soient-ils, mène à une escalade des hostilités entre sunnites et chiites.
A Bahrain, où une minorité sunnite gouverne la majorité chiite, les forces de sécurité ont attaqué aujourd’hui le village chiite de Diraz. C’est là où réside le théologien Sheikh Isa Qassim, le plus haut dignitaire chiite de l’ile, qui vient de recevoir une condamnation à un an de prison avec sursis pour financement de l’extrémisme.
Un homme aurait été tué tandis que la police investissait le village, en véhicules blindés et en tirant des coups de fusil et des grenades lacrymogènes.
Les relations du Président Obama avec les gouvernants bahreïnis étaient glaciales en raison de l’incarcération massive de contestataires et de l’utilisation de la torture lorsque les forces de sécurité ont écrasé les manifestations démocratiques en 2011.
M. Trump s’est désolidarisé de la politique passée lors de sa rencontre avec le roi Hamad de Bahrein à Riyad au cours du week-end, lui disant : « Nos pays entretiennent une relation merveilleuse, mais il y a eu quelques tensions, mais il n’y en aura pas avec cette administration. »
L’attentat à Manchester – et les atrocités attribuées à l’influence de l’OEI à Paris, Bruxelles, Nice et Berlin – sont semblables aux massacres encore plus atroces de dizaines de milliers de personnes en Irak et en Syrie. Ces derniers ne recueillent qu’une attention limitée de la part des médias occidentaux, mais ils intensifient constamment la guerre confessionnelle au Moyen-Orient.
La seule manière possible d’éliminer des organisations capables d’effectuer ces attentats c’est de mettre fin aux sept guerres – – Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Libye, Somalie et nord-est du Nigeria – qui s’enveniment les unes les autres et produisent les conditions anarchiques dans lesquelles l’OEI et Al-Qaïda et leurs clones peuvent prospérer.
Mais pour mettre fin à ces guerres, un compromis politique entre des acteurs majeurs comme l’Iran et l’Arabie Saoudite est nécessaire et la rhétorique belliciste de M. Trump le rend presque impossible.
Bien sur, on ne sait jamais dans quelle mesure il faut prendre sa hâblerie au sérieux, et par ailleurs, les décisions politiques annoncées changent d’un jour à l’autre.
De retour aux Etats-Unis, son attention va être totalement absorbée par sa propre survie politique, ne lui laissant guère de temps pour de nouvelles initiatives, bonnes ou mauvaises, au Moyen-Orient et ailleurs. Son administration est certainement affaiblie, mais cela ne l’a pas empêché de faire le plus de tort possible au Moyen-Orient dans un court laps de temps.
* Patrick Cockburn est un journaliste de The Independent spécialisé dans l’analyse de l’Irak, la Syrie et les guerres au Moyen-Orient. Il est l’auteur de Muqtada Al-Sadr, the Shia Revival, and the Struggle for Iraq et de Age of Jihad: Islamic State and the Great War for the Middle East.
25 mai 2017 – The Independent – Traduction: Chronique de Palestine – MJB