Shaaban Al-Dalou, qui a été brûlé vif à Gaza, aurait eu 20 ans aujourd’hui

Shaaban et sa famille, avant le 7 octobre 2023 - Photo avec l'aimable autorisation de la famille

Par Abubaker Abed

Les images de son corps en flammes à Gaza ont marqué la conscience collective et symboliseront pour toujours la sauvagerie d’Israël.

Au cours des deux dernières semaines, Israël a intensifié ses opérations meurtrières dans le nord et le centre de la bande de Gaza. De nombreux journalistes ont été mutilés et tués. Lundi, à l’aube, l’attaque israélienne contre l’hôpital Al-Aqsa et ses abords – qui a mis le feu aux tentes et brûlé vif les personnes qui s’y trouvaient – a généré certaines des images les plus troublantes à ce jour : des personnes blessées lors d’attaques précédentes en train de brûler vives, dont une avec sa perfusion encore en place.
Le journaliste Abubaker Abed, originaire de Deir al-Balah, où se trouve l’hôpital, a rapidement retrouvé la famille et les amis de cette victime, Shaaban Al-Dalou. Il nous relate l’histoire bouleversante de la vie de Shaaban avant le 7 octobre 2023, un jeune homme dont les aspirations et les rêves ont été anéantis, avant qu’il ne soit finalement brulé vif.
Personne à Gaza ne mérite ce qui lui arrive. Ils avaient tous une vie et une famille, et tout cela a été détruit par une guerre soutenue par les États-Unis. C’est aussi le cas des reporters comme Abubaker, que rien ne prédisposait à devenir des correspondants de guerre et qui sont aujourd’hui nos seuls yeux et oreilles pour témoigner et documenter le génocide contre leurs propres familles, amis et voisins. – Jeremy Scahill

DEIR AL-BALAH – Dimanche soir, un peu plus de quatre heures avant que Shaaban Al-Dalou ne soit brûlé vif dans un bombardement israélien, le jeune homme de 19 ans a envoyé un message à son ami sur WhatsApp :

« Je sens une odeur de poudre à canon
Cette odeur me fait peur
Je me sens proche de la mort
Que Dieu nous vienne en aide
Si nous restons en vie, à la grâce de Dieu, nous réglerons tout ça. »

Il n’a pas passé la nuit. Shaaban était couché dans une tente bondée dans l’enceinte de l’hôpital Al-Aqsa, au centre de Gaza, et se remettait d’un précédent bombardement israélien. Il avait miraculeusement survécu à l’attaque de la mosquée des martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah le 6 octobre, qui a tué 26 personnes et en a mutilé beaucoup d’autres.

Shaaban avait été gravement blessé et a eu 20 points de suture à la tête. La semaine dernière, il était fatigué et affaibli, et sa famille s’occupait de lui.

Dans la tente installée dans l’enceinte de l’hôpital, il était branché à une perfusion et à une canule. Il n’était pas en mesure de manger de la nourriture ordinaire. Il était déjà sous-alimenté et immunodéprimé ; il était tombé malade à de nombreuses reprises pendant le génocide, en raison du blocus strictement imposé par Israël sur la nourriture et les médicaments.

Shaaban Al-Dalou (à droite) et son ami à qui il a envoyé un message peu avant sa mort, le 14 octobre 2024.

Shaaban Al-Dalou aurait eu 20 ans aujourd’hui, le 16 octobre, si une frappe aérienne israélienne ne l’avait pas brûlé vif, ainsi que sa mère.

Les images de son corps en flammes resteront inscrites dans la conscience collective, comme la marque indélébile de la barbarie israélienne à Gaza. Même les vieux vêtements qu’il avait emportés dans sa fuite, sa perfusion, son ordinateur portable et son téléphone ont été réduits en cendres.

Rien n’atténuera la douleur de sa perte pour sa famille et l’humanité continuera à se demander comment des gens qui prétendent défendre les droits humains peuvent se comporter avec autant de cruauté.

Shaaban représentait une lueur d’espoir pour sa famille, au milieu de la destruction de leur mode de vie. « Je demande au monde », a déclaré Ahmed Al-Dalou, le père de Shaaban, « après l’holocauste qui a brûlé vif mon fils, pourquoi ne bougez-vous pas ? Pourquoi ne faites-vous rien pour mettre fin à ce génocide ? S’il s’agissait de l’un de vos enfants, resteriez-vous silencieux ? Qu’attendez-vous pour arrêter ce génocide ? »

« Je dormais dans la tente avec ma femme et mes enfants lorsque les bombes ont frappé l’hôpital », a déclaré Al-Dalou à Drop Site News. « Mon autre fils, Mohammed, dormait près du stand de falafels à l’extérieur de l’hôpital. L’explosion a été si puissante que j’ai été projeté hors de la tente. Je me suis relevé et j’ai vu la tente en feu. Toute ma famille était à l’intérieur. Je ne pouvais pas m’approcher car les flammes se propageaient rapidement. J’ai rassemblé mes forces et j’ai essayé de les sauver ».

« J’ai réussi à tous les écarter du cœur de l’incendie, à l’exception de Shaaban et de ma femme. Shaaban était trop loin. Les décombres et les débris s’empilaient sur ma femme. J’ai essayé de rentrer à l’intérieur pour les sauver, mais je n’ai pas pu. Mon visage, mes épaules et mes mains sont brûlés car le feu était extrêmement violent. Je les ai vus brûler vifs », raconte-t-il avec une immense tristesse. « Je ne pensais pas qu’il était possible d’être confronté à de pareilles horreurs dans une vie ».

Les deux sœurs de Shaaban et leur père ont eu le visage, les mains, les épaules et les jambes brulés par les explosions. Son plus jeune frère a été brûlé sur tout le corps. Ils sont aujourd’hui dans un état critique et sont soignés à l’hôpital Nasser et à l’hôpital européen de Khan Younis, car l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa manque cruellement de matériel médical et d’aide humanitaire pour le traitement des brûlures. Ils ont un besoin urgent d’être évacués dans un hôpital en état de marche pour se remettre de leurs brûlures.

Né le 16 octobre 2004, Shaaban était l’aîné d’une famille modeste de la classe ouvrière. Ils vivaient à sept dans un immeuble de trois étages du quartier d’Al-Nasser, à l’ouest de Gaza.

Shaaban rêvait de vivre en Allemagne après avoir terminé ses études à l’université Al-Azhar de Gaza et économisait pour partir. Il suivait des cours intensifs d’allemand et a passé le TOEFL (*) à l’âge de 17 ans. Il voulait d’abord étudier la médecine, puis il a obliqué vers l’ingénierie logicielle au cours de la première année, obtenant la mention très bien.

Mais Israël a détruit la vie de Shaaban et assassiné cinq de ses amis avant de le brûler vif dans sa tente, lui et tous ses souvenirs, exactement un an après l’avoir chassé de chez lui avec sa famille, le 14 octobre 2023. En novembre, Israël a bombardé son université, qui n’est plus qu’un tas de décombres.

« La première de leurs préoccupation, lorsque la guerre a éclaté, a été de trouver un endroit où vivre de leur travail de journaliers », a déclaré le cousin de Shaaban, âgé de 25 ans et également prénommé Shaaban. Son père était chauffeur de taxi et tailleur. Sa mère était baby-sitter. Tous deux travaillaient de longues heures.

« Ils se sont dirigés vers le sud, vers l’hôpital des martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, avec le peu d’argent qu’ils avaient économisé, car c’était pour eux le refuge le plus sûr. Dès qu’il s’est réfugié à proximité de l’hôpital, Shaaban a lancé l’idée de bricoler une échoppe de falafel pour gagner leur vie et ne pas avoir à mendier ».

Shaaban à l’université avec des amis avant le 7 octobre 2023.

Le cousin de Shaaban a déclaré à Drop Site News qu’il n’arrivait toujours pas à croire que Shaaban avait été tué. « Il avait l’habitude de jouer à des jeux vidéo avec ses amis sur PlayStation le soir, en particulier à des jeux de football comme PES et FIFA. Il aimait aussi jouer au football avec ses amis sur les terrains de football à 5 contre 5 de Gaza. Il était un grand fan du Real Madrid, et son idole était Benzema », a-t-il déclaré. Son plat préféré était la pizza aux légumes du restaurant Al-Taboon, dans la ville de Gaza. « Tous les jeudis, il se réunissait avec nous ou ses amis dans la cour de sa maison pour un barbecue d’ailes de poulet ».

Tout cela a changé après le début du massacre israélien. Shaaban adorait les mangues, mais il n’en a plus jamais goûté. « il ne faisait plus que travailler. Il se levait tôt le matin, apportait tout ce qui était nécessaire à sa famille et achetait tout ce qu’il fallait pour l’étal de falafels improvisé. Il était le cœur et l’espoir de sa famille. Parfois, pour se reposer un peu l’esprit, il allait nager dans la mer pendant une heure ou deux, puis revenait immédiatement travailler ».

Shaaban passait des heures chaque jour à étudier dans la tente. Quelques jours avant son assassinat, il s’était inscrit dans des universités au Qatar, en Irlande et au Royaume-Uni. Il avait l’intention d’épouser la jeune fille qu’il aimait la semaine où il a été tué.

« Il rêvait de mettre sa famille en sécurité et, avant l’invasion de Rafah, il demandait aux gens de l’aider à franchir les frontières égyptiennes. Mais il n’y est pas arrivé. Il continuait d’espérer que la guerre prendrait fin et que tous ses rêves se réaliseraient. Il avait l’habitude de nous remonter le moral et de répandre l’espoir parmi nous. Malgré toutes les souffrances qu’il avait endurées, il demeurait une lueur d’espoir pour sa famille » a ajouté son cousin.

Shaaban et sa mère ont toujours rêvé de prier un jour à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem dans une Palestine libre.

Le 6 octobre, Shaaban s’est rendu à la mosquée des martyrs Al-Aqsa à Deir al-Balah pour réciter le Coran, puis il a dormi sur place. La mosquée a ensuite été bombardée. Selon son cousin, lorsqu’il a été anesthésié pour l’opération, sa mère était à côté de lui. Il lui parlait de ses amis assassinés et lui disait qu’il les retrouverait au paradis.

« Il a ensuite été immolé par le feu avec sa mère. Nous n’avons pas pu identifier son corps parmi les corps carbonisés. Pour retrouver sa mère nous avons cherché le collier en or qu’elle avait l’habitude de porter. Quand nous l’avons trouvé sur l’un des corps, nous les avons enterrés dans la même tombe », a raconté le cousin de Shaaban, les yeux pleins de larmes.

« C’est un choc inimaginable. Imaginez-vous ce que c’est que de voir vos cousins brûler vifs ? Où est l’humanité ? Si ces horreurs ne touchent pas ceux qui prétendent être des êtres humains, c’est qu’ils n’ont plus rien d’humain. J’ai été obligé de le regarder brûler vif. À ce moment-là, mon esprit a cessé de fonctionner. Je me disais que c’était un cauchemar. Mais c’était bien réel. Je pleurais de l’intérieur. Mon cœur saignait. Je n’arrive toujours pas à croire qu’il est parti. »

Je demanderai des comptes à tout le monde », a-t-il ajouté, « à ceux qui regardent et ne disent rien… à ceux qui détiennent la solution et qui ne font rien pour arrêter cette folie meurtrière. Je ne pardonnerai jamais ».

« En le perdant, nous avons perdu une partie de nous-mêmes », a déclaré son oncle de 19 ans, Mohammed Al-Dalou, qui a décrit Shaaban comme son âme sœur, qui l’accompagnait dans toutes ses entreprises. « Il a laissé derrière lui une montagne de douleur et de souvenirs ».

Note :

*Le Test of English as a Foreign Language (TOEFL) est un test standardisé crée et géré, comme le TOEIC, par ETS Global. Ce test vise à évaluer les connaissances en langue anglaise des candidats. Il a une visée plus académique que le TOEIC. Il est surtout passé dans le cadre d’échanges universitaires dans des universités anglophones.

16 octobre 2024 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet