Par Omar Shakir, Maya Wang
Israël, comme la Chine, a militarisé la technologie de surveillance pour supprimer toute dissidence pacifique.
Le contrôle par la technologie d’une population persécutée… Une reconnaissance faciale abusive… De sévères restrictions dans les déplacements… L’assimilation de la dissidence pacifique au “terrorisme”…
Pour de nombreux lecteurs, ce scénario évoque les violations massives des droits de l’homme commises par la Chine à l’encontre de millions de Ouïgours et d’autres peuples turcs musulmans. Pourtant, cette description s’applique également au traitement réservé par Israël à des millions de Palestiniens vivant sous occupation.
L’armée israélienne utilise la reconnaissance faciale pour constituer une base de données massive d’informations personnelles sur les Palestiniens de Cisjordanie occupée, avec leurs photos, leurs antécédents familiaux et leur niveau d’éducation, et leur attribuerait une cote de sécurité.
Lorsque les soldats, équipés d’une application officielle Blue Wolf pour smartphone, scannent le visage d’un Palestinien, l’application affiche du jaune, du rouge ou du vert pour indiquer si la personne doit être détenue ou autorisée à passer.
Pour une personne parmi nous – chercheur sur la Chine pour Human Rights Watch – le système israélien Blue Wolf est sinistrement familier. Un système de surveillance de masse similaire est utilisé par les autorités chinoises au Xinjiang, appelé Integrated Joint Operations Platform (IJOP), qui fait office de “cerveau” derrière divers systèmes sensoriels dans toute la région.
L’IJOP est également un système de big data, qui détecte les “anomalies” définies arbitrairement par les autorités.
Les personnes dont le téléphone se déconnecte soudainement ou celles qui consomment trop d’électricité – un comportement quotidien et légal – sont automatiquement repérées par l’IJOP pour être interrogées par la police et certaines d’entre elles sont ensuite détenues pour “éducation politique” et emprisonnées.
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Ces dernières années, une attention croissante a été accordée à l’utilisation et à l’exportation par la Chine de la surveillance de masse. Mais les entreprises chinoises ne sont pas les seules. Les technologies de surveillance ont proliféré dans le monde entier dans un vide juridique et réglementaire.
Les gouvernements ont utilisé le logiciel espion Pegasus, développé par la société israélienne NSO Group, pour pirater des appareils dans 45 pays, y compris ceux de journalistes, de dissidents et de militants des droits de l’homme.
Pegasus transforme un appareil infecté en un outil de surveillance portable en accédant à la caméra, au microphone et aux messages texte du téléphone.
Au début du mois, Pegasus a été découvert sur les téléphones de six militants palestiniens des droits de l’homme, dont trois travaillaient pour des groupes de la société civile qu’Israël a désignés en octobre de façon mensongère comme des “organisations terroristes”, les mettant ainsi hors la loi.
Au Xinjiang également, les autorités justifient les crimes contre l’humanité qu’elles commettent à l’encontre des résidents minoritaires de la région par une “campagne de répression” contre le terrorisme.
Au Xinjiang comme dans le contexte israélo-palestinien, la surveillance alimente de graves violations des droits en permettant aux autorités d’identifier et de neutraliser rapidement toute dissidence pacifique, et d’exercer un contrôle intrusif sur une large population.
Sans l’aide des technologies de surveillance, les autorités du Xinjiang auraient eu du mal à maintenir le contrôle généralisé qu’elles exercent 24 heures sur 24 sur les 12 millions de Ouïghours, en surveillant jusqu’à leurs pensées, leur façon de s’habiller et leurs fréquentations.
La surveillance aide Israël, un État juif autoproclamé, à maintenir sa domination sur les Palestiniens, une composante de ses crimes contre l’humanité que sont l’apartheid et la persécution.
Dans un article récent sur l’application Blue Wolf et l’impact de la surveillance, le Washington Post a cité les propos d’un Palestinien vivant en Cisjordanie : “Nous ne nous sentons plus à l’aise pour avoir une vie sociale parce que des caméras nous filment en permanence”.
Ce sentiment reflète ce qu’une femme musulmane turque que Human Rights Watch a interrogée pour un rapport de 2018 a dit à propos de l’effet corrosif de la surveillance omniprésente : “Les gens ne se rendaient plus visite les uns aux autres. Si quelqu’un – disons une autre vieille dame – traversait la rue pour venir me parler, je m’enfuyais.”
L’idée que cette réalité dystopique [domination et surveillance complètes par un pouvoir totalitaire, auxquelles il est impossible d’échapper – NdT] s’installe parmi les communautés palestiniennes fait froid dans le dos.
Les lois internationales sur les droits de l’homme exigent que la collecte, l’utilisation et le stockage des données personnelles par les gouvernements répondent aux normes de légalité, de proportionnalité et de nécessité.
Cela signifie qu’il doit exister des cadres juridiques clairs et publics empêchant la collecte, l’analyse, l’utilisation et le stockage de données personnelles par un gouvernement de dépasser ce qui est proportionnel à la poursuite d’un objectif légitime qui ne peut être atteint par des mesures moins intrusives.
Un tel cadre devrait également exiger que la surveillance soit soumise à l’autorisation et au contrôle d’un organisme indépendant.
Les gouvernements devraient adopter leurs propres lois pour garantir que toute surveillance qu’ils effectuent respecte ces normes. Ils devraient faire pression pour un moratoire mondial sur la vente, l’exportation, le transfert et l’utilisation des technologies de surveillance jusqu’à ce que des garanties adéquates en matière de droits de l’homme soient mises en place.
Ils devraient également pénaliser les entreprises qui vendent ces systèmes de surveillance dont il est prouvé qu’ils ont facilité de graves violations des droits de l’homme.
Le gouvernement américain a placé des contrôles à l’exportation sur certaines sociétés de surveillance chinoises, et récemment sur le groupe NSO. Mais ces restrictions – qui coupent l’accès de ces sociétés à la technologie américaine – sont insuffisantes car ces sociétés sont basées en dehors de la juridiction américaine.
Il est peut-être temps pour les gouvernements de passer à la vitesse supérieure et de commencer à envisager l’utilisation de mesures plus strictes, telles que les sanctions prévues par la loi Magnitsky à l’encontre des auteurs de violations des droits de l’homme.
Ces mesures ne mettront pas fin à la persécution de millions de Palestiniens et d’Ouïghours, mais elles pourraient atténuer la répression et, peut-être, créer un élan pour mettre fin aux crimes contre l’humanité auxquels ces deux populations sont confrontées.
* Omar Shakir est directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch. Il enquête sur les violations des droits de l'homme en Israël, en Cisjordanie et à Gaza.Avant d'occuper son poste actuel, il était Bertha Fellow au Center for Constitutional Rights, où il s'est concentré sur les politiques américaines de lutte contre le terrorisme, notamment la représentation juridique des détenus de Guantanamo. Son compte Twitter.Auteur : Omar Shakir
Auteur : Maya Wang
24 novembre 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Une fois n’est pas coutume, mais j’émets de sérieux doutes quant à oser un parallèle entre le système d’occupation du régime israélien et ses innombrables et incessantes violations du Droit international depuis plus de 70 ans avec l’approche de la Chine et la population ouïgour dans son ensemble, quand on sait que ce sont essentiellement (d’après de nombreux témoins sur place) les groupes extrémistes (voire terroristes) qui sont épinglés et mis hors état de nuire (quel Etat ne le fait pas?)…
le “China bashing” occidental finirait donc pas s’immiscer dans les sites les plus sérieux de défense de la cause palestinienne?
La réaction à cet article exprimée ici est légitime, dans la mesure où les dénonciations des politiques répressives à travers le monde sont trop souvent à géométrie variable et correspondent à des opportunités politiques. Les tensions entre les États-Unis et la Chine et le traitement partisan qui en est fait par la presse occidentale, font que l’on constate une sorte de de consensus général quant à la situation des Ouïghours, mais sans pour autant que cette campagne à fort relent anti-chinois aille trop loin car la Chine pèse d’un poids trop important sur la scène mondiale. Tout cela amène beaucoup de confusion… Mais le point de vue des deux responsables de HRW (ainsi que celui de Amnesty International, qui est similaire) doit être respecté car il serait très dommageable de faire un tri sélectif dans le travail de cette organisation en fonction des intérêts que l’on veut défendre.