Survivre à Gaza est un combat de chaque instant

11 mars 2025 - Des Palestiniens se rassemblent autour de Tekiyat al-Saada (cuisine solidaire) à Khan Yunis pour recevoir des repas Iftar pendant le mois sacré du Ramadan. Depuis des jours et des jours, Israël bloque l'approvisionnement de Gaza en nourriture et autres aides humanitaires - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Rasha Abu Jalal

La destruction systématique par Israël à Gaza des moyens essentiels à la vie, a contraint les Palestiniens à une lutte pour la survie.

Wael al-Masri est assis sur les décombres d’un bâtiment démoli et regarde ses fils adolescents se débattre pour extraire une bâche en plastique afin de créer une sorte de maigre abri.

Alors qu’Israël a repris sa campagne de la terre brûlée qui a débuté le 18 mars, cet homme de 52 ans a été contraint de fuir avec sa famille de Beit Hanoun, à la limite nord-est de Gaza, pour se rendre à Gaza City le 21 mars.

« Nous vivions en sécurité dans notre maison, et maintenant nous vivons sur les décombres de maisons détruites. Pas d’électricité, pas d’eau, pas même d’endroit où se laver », a déclaré al-Masri à Drop Site News.

Au cours de la semaine dernière, les rues des quartiers ouest de la ville de Gaza se sont transformées en un labyrinthe de tentes densément peuplées, avec des cordes à linge qui s’entrecroisent entre elles et la cacophonie des voix d’enfants qui emplit l’air.

Selon les Nations Unies, plus de 142 000 personnes ont été déplacées à travers Gaza entre le 18 et le 23 mars.

Beaucoup vivent désormais dans la rue et ont désespérément besoin de nourriture, d’eau potable et d’un abri minimum.

Samar, la femme de Wael, était assise devant leur tente, essayant d’allumer un petit tas de bois pour cuire les restes de riz qu’une famille voisine lui avait donnés.

« Nous dormons par terre, sans matelas ni couvertures. Quand il pleut, la tente est inondée », dit-elle en s’efforçant d’allumer le feu. « Nous n’avons rien pour couvrir les enfants, à part nos vieux vêtements. »

Elle a montré les eaux usées qui se répandent dans les rues et autour des tentes à cause de la destruction systématique des infrastructures civiles par Israël.

« L’odeur nauséabonde nous étouffe », raconte-t-elle. « Nous voulons juste nous sentir humains, boire de l’eau propre, laisser nos enfants dormir le ventre plein. Est-ce trop demander ? »

La famine est une «mort lente et très cruelle»

Selon le ministère de la Santé, l’armée israélienne a tué plus de 830 Palestiniens à Gaza depuis le 18 mars, dont plus de 320 enfants. Le gouvernorat de Gaza, où se trouve la ville de Gaza, a enregistré le plus grand nombre de victimes : plus de 250 morts et près de 500 blessés.

Outre les bombardements aériens et les tirs d’obus, l’armée israélienne a émis de nouveaux ordres de déplacement dans des zones de Gaza, notamment à Beit Hanoun, Beit Lahia, Rafah et Jabaliya, couvrant au total 55 kilomètres carrés, soit 15 % de la bande de Gaza, selon l’ONU.

Mercredi, l’armée israélienne a donné de nouveaux ordres d’expulsion dans plusieurs quartiers de la ville de Gaza, dont Zeitoun al-Gharbi, Tal al-Hawa et Sheikh Ajlin, situés juste au sud des quartiers où la famille al-Masri et des milliers d’autres personnes ont récemment été déplacées.

L’armée israélienne s’est également redéployée le long de la partie est et centrale du « corridor de Netzarim », annonçant que les déplacements entre le nord et le sud de Gaza ne sont autorisés que par la route côtière d’Al Rashid.

« La faim impose sa loi »

Outre les bombardements et les déplacements forcés, une crise humanitaire croissante échappe rapidement à tout contrôle en raison du siège israélien.

Depuis le 2 mars, le gouvernement israélien a interdit l’entrée de l’aide humanitaire et de toute autre marchandise à tous les points de passage vers Gaza, ce qui représente la plus longue fermeture depuis octobre 2023.

Le blocus total a considérablement réduit les fournitures médicales et les médicaments disponibles et coupé l’approvisionnement en carburant pour les générateurs produisant l’électricité.

Cela a entraîné de graves pénuries alimentaires, provoquant une flambée des prix des produits de base.

En raison de ces conditions économiques désastreuses, les marchés locaux ont fortement augmenté les prix des légumes, et la viande et la volaille sont devenues totalement indisponibles.

Le prix des pommes de terre, par exemple, est passé de 4 shekels (1,1 dollar) le kilogramme à 45 shekels (13 dollars), tandis que celui des oignons est passé de 6 shekels (1,7 dollar) à 35 shekels (10 dollars) le kilogramme.

Les habitants ont dû se rabattre sur les plantes sauvages pour survivre. Après la mort de son mari dans une frappe aérienne israélienne à Gaza en juin, Taghreed al-Habeel, 42 ans, est devenue l’unique soutien de sa famille de sept personnes.

« Nous n’avons pas d’autre choix », a-t-elle déclaré à Drop Site. « Avant, nous vivions de conserves, mais il n’y en a plus. Nous ne pouvons pas nous permettre d’acheter des légumes au marché à cause des prix exorbitants. Maintenant, nous cherchons des plantes sauvages comme la mauve et le pourpier juste pour remplir le ventre de nos enfants », dit-elle.

« Mes enfants me demandent quand nous mangerons à nouveau du poulet ou de la viande, et je n’ai pas de réponse. »

Le Programme alimentaire mondial a averti jeudi que des centaines de milliers de personnes à Gaza « risquent de souffrir de faim extrême et de malnutrition alors que les stocks alimentaires humanitaires dans la bande de Gaza s’amenuisent et que les frontières restent fermées à l’aide.

Pendant ce temps, l’expansion de l’activité militaire à Gaza perturbe gravement les opérations d’aide alimentaire et met chaque jour en danger la vie des travailleurs humanitaires.

Le siège étouffant a poussé les gens à chercher d’autres sources d’alimentation totalement inhabituelles. Après que sa maison a été détruite pendant la guerre, Ali Musbah, un jeune homme déplacé dans une tente près de la côte à l’ouest de la ville de Gaza, est récemment tombé sur une tortue de mer rejetée sur le rivage par les vagues.

Le désespoir l’a poussé à l’abattre et à la manger.

« La tortue pesait environ 50 kilos », a déclaré Ali Musbah à Drop Site. « J’ai réussi à en garder environ 5 à 6 kilos de viande. Ma femme l’a cuisinée comme un shawarma, et nous avons partagé la nourriture avec cinq autres familles déplacées affamées. »

Israël ajoute « l’ingénierie de la famine » à sa panoplie d’outils génocidaires

Avant la guerre, Musbah travaillait comme pêcheur. « Nous avions l’habitude d’attraper du poisson, des crevettes et des calmars frais. Maintenant, nous n’en rêvons même plus », dit-il. « Avec l’interdiction de pêcher et la fermeture des frontières, il ne nous reste que des conserves pleines d’agents de conservation qui ont ruiné notre santé. »

« Je sais que la tortue est peut-être une espèce menacée, a-t-il ajouté. Mais la faim est plus cruelle que le sentiment de culpabilité. Je n’ai pas choisi cette voie, on nous y a contraints. »

Le blocus a entraîné la fermeture de boulangeries et de cuisines en raison d’un manque de gaz de cuisson, tandis que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNRWA) a déclaré que ses stocks restants de farine ne dureraient que quelques jours de plus.

« Chaque jour qui passe sans l’arrivée de l’aide signifie que davantage d’enfants se couchent le ventre vide, que les maladies se propagent et que la misère s’aggrave », a déclaré Philippe Lazzarini, le directeur de l’UNRWA, dans un communiqué. « Chaque jour sans nourriture rapproche Gaza d’une crise aiguë de la faim. »

Pendant ce temps, le système de santé décimé de Gaza, qui a été systématiquement pris pour cible par l’armée israélienne, a du mal à faire face à des centaines de victimes, à une forte baisse des stocks médicaux et à un manque d’équipements, de poches de sang et de personnel.

Le ministère de la Santé à Gaza a déclaré que 80 % des patients à Gaza ne peuvent pas trouver les médicaments les plus élémentaires.

Dimanche, les forces israéliennes ont bombardé une unité chirurgicale de l’hôpital Nasser à Khan Younis, le plus grand hôpital en activité de Gaza, tuant deux personnes, dont un garçon de 16 ans.

L’accès à l’eau a également été sévèrement restreint, Israël ayant pris pour cible les puits et les réseaux d’égouts, provoquant une soif généralisée et des épidémies.

Une déclaration commune de l’Autorité palestinienne de l’eau et du Bureau central palestinien des statistiques a indiqué qu’Israël avait détruit plus de 85 % des installations d’eau et d’assainissement de Gaza – totalement ou partiellement – les rendant inutilisables.

Le 9 mars, Israël a également coupé l’approvisionnement en électricité de Gaza, forçant une importante usine de dessalement à réduire sa production d’eau, limitant ainsi considérablement la quantité d’eau potable disponible pour 600 000 personnes à Deir al Balah et Khan Younis.

Le bureau gouvernemental des médias a mis en garde contre l’augmentation des niveaux de faim et de malnutrition résultant du blocus israélien.

« La bande de Gaza est au bord d’une catastrophe humanitaire au milieu du génocide en cours et du silence international », a déclaré le bureau gouvernemental dans un communiqué. « Cette politique aggrave la crise, à un moment où notre peuple palestinien souffre d’une politique systématique de famine. »

27 mars 2025 – Substack – Traduction : Chronique de Palestine

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