Syrie : les mines abandonnées après des années de guerre civile continuent de tuer

Abdo Ahmad Saleh se recueille sur la tombe de son fils Mohammed, récemment décédé, tué par un engin non explosé, l'un des nombreux engins dissimulés dans le paysage syrien - Photo de l'auteur

Par Omar Hamed Beato, Murtaza Hussain

Des centaines de milliers de Syriens devraient rentrer chez eux au cours des six prochains mois. Les routes qui les ramènent chez eux sont truffées de mines terrestres laissées par des années de guerre.

La guerre civile syrienne, l’un des conflits les plus brutaux du XXIe siècle, s’est achevée en décembre dernier avec la chute du régime Assad. L’extrême violence sectaire continue de sévir dans certaines parties du pays, mais un danger caché risque de continuer à hanter les Syriens pendant des années : le nombre considérable de mines terrestres et de bombes non explosées laissées sur place après les combats. Des centaines de Syriens ont déjà été tués ou blessés par ces engins non explosés, y compris des enfants qui les confondent souvent avec des jouets.

L’héritage meurtrier du conflit syrien offre un aperçu possible de l’avenir de la bande de Gaza, où l’on estime que jusqu’à 10 % des munitions israéliennes tirées sur le territoire n’ont pas explosé.

Alors qu’Israël a repris ses bombardements aériens massifs, de nombreux Palestiniens ont également été tués ou blessés par des munitions non explosées, ce qui a accru le danger lié au déblaiement des décombres et au projet déjà vaste de reconstruction du territoire détruit. Proposée par un reporter en Syrie, la dépêche suivante montre comment les risques environnementaux à long terme de la guerre peuvent continuer à faire des victimes longtemps après que le feu ait cessé – Murtaza Hussain

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Après avoir vécu pendant cinq ans sous une tente près de la frontière turque, Abdo Ahmad Saleh a enfin pu retourner dans la maison de son enfance, dans la campagne d’Alep, lorsqu’une offensive militaire rebelle a repoussé les forces loyales à l’ancien président syrien Bachar el-Assad à la fin de l’année dernière. Comme beaucoup de Syriens déplacés à l’intérieur du pays et de réfugiés ayant fui le régime, Abdo Ahmad Saleh était ravi à l’idée de rentrer chez lui.

Cependant, peu après son retour, le fils d’Abdo, Mohammed Omar Saleh, âgé de huit ans, s’est aventuré dans un champ voisin avec un groupe de cousins. En explorant, les enfants sont tombés sur un objet inconnu qu’ils ont pris pour un jouet. L’engin qu’ils avaient trouvé était en fait une mine terrestre.

« Alors qu’ils jouaient, nous avons entendu une énorme explosion vers neuf heures du matin. Nous sommes sortis en courant et avons trouvé des morceaux de chair partout », a déclaré Omar Saleh Al-Ahmad, l’oncle de Mohammed.

L’engin a explosé, blessant gravement Mohammed ainsi que sept de ses jeunes cousins. Mohammed a subi les blessures les plus graves, des fragments de métal s’étant incrustés dans son bras et sa tête. Malgré les efforts des médecins pour lui sauver la vie, il est décédé trois jours plus tard à l’hôpital.

« Mohammed avait des éclats d’obus dans le cerveau et les médecins voulaient amputer son bras », raconte Abdo, debout à côté de la tombe de son fils après les funérailles. « Nous n’avons que Dieu. Bashar a quitté le pays. J’aimerais qu’il soit pendu ; c’est lui qui est à l’origine de toute cette destruction. Les gens rassemblent les restes de leurs proches dans des sacs en plastique. Il devrait être exécuté. »

Le fils d’Omar Saleh Al-Ahmad, Wardeh, âgé de sept ans, était avec Mohammed lors de l’explosion. Il a été gravement blessé par des éclats d’obus qui ont déchiré ses membres. Les dégâts étaient si importants que certains de ses doigts ont dû être amputés.

Wardeh, avec sa sœur Fatima, se rétablit à la maison après sa sortie de l’hôpital – Photo de l’auteur

« Notre village est truffé de mines », poursuit Omar, debout à côté du lit où Wardeh est allongé, immobile. « Nous souhaitons que l’on nous aide à les enlever, mais jusqu’à présent, aucune équipe n’est venue nettoyer la zone. Nous avons peur de sortir. Tout explose, la terre est pleine de mines ».

Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, les forces combattantes pour Assad ont posé des mines terrestres pour fortifier leurs territoires et contenir l’ancien bastion rebelle de la province d’Idlib, contrôlée depuis des années par Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), le groupe militant qui dirige aujourd’hui le nouveau gouvernement.

Les militants opposés au gouvernement ont également déployé des mines terrestres et tiré des balles qui n’ont pas explosé dans leur conflit avec les forces du régime. Ces opérations ont laissé des traces de mines antipersonnel et de munitions non explosées (UXO) sur les anciennes lignes de front du conflit.

Les explosifs sont largement concentrés près de l’Euphrate, à la périphérie de la capitale, Damas, et dans la campagne d’Alep.

Les Nations unies estiment que près de 260 000 Syriens sont rentrés chez eux depuis la chute d’Assad et que 600 000 autres devraient revenir en Syrie au cours des six prochains mois. Cette vague de retour a entraîné une augmentation des blessures liées aux mines terrestres en Syrie, alors que le pays s’efforce de faire le point sur la dévastation physique et les dangers laissés par quatorze années de guerre.

La Mine Action Review estime qu’un tiers des communautés syriennes sont touchées par une forme ou une autre de contamination explosive, bien que le nombre total de mines et de munitions non explosées disséminées en Syrie reste inconnu.

La Syrie est désormais considérée comme l’un des pays les plus minés au monde, avec l’Ukraine, le Myanmar et le Yémen. Selon l’Observatoire des mines et des armes à sous-munitions, un réseau d’ONG de la société civile, les ONG ont fait au total 1379 victimes civiles depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Rien qu’entre décembre 2024 et février 2025, l’ONU a recensé quarante-deux victimes civiles dues aux mines et aux restes d’explosifs en Ukraine.

En revanche, en Syrie, 640 adultes et enfants ont été tués ou blessés en l’espace de trois mois seulement depuis la chute du régime Assad, selon Halo Trust, une ONG qui démine les paysages en Syrie et dans le monde entier. Cela représente près de quinze fois plus de victimes liées aux mines qu’en Ukraine au cours de la même période.

« Je n’ai jamais rien vu de tel », a déclaré Damian O’Brien, responsable du programme Halo Trust en Syrie. Dans un communiqué de presse datant de décembre dernier, M. O’Brien résume la situation : « Des dizaines de milliers de personnes traversent quotidiennement des zones fortement minées, provoquant inutilement des accidents mortels. Les forces combattantes se sont éloignées des lignes de front, laissant de vastes zones jonchées d’explosifs. Le nettoyage des débris de la guerre est fondamental pour remettre le pays sur pied ».

Pour aggraver le danger, des mines terrestres et des munitions non explosées ont été disséminées sans discernement dans les champs, les villages et les villes. Dans un petit village de la ville d’Alep, les habitants ont déclaré à Drop Site qu’ils avaient trouvé des munitions non explosées à l’intérieur de leurs maisons. Le 16 mars, des munitions dissimulées ont explosé dans un immeuble résidentiel de la ville portuaire de Lattaquié, faisant vingt-cinq morts, dont des femmes et des enfants, et quatorze blessés.

Dans un hôpital clandestin de la province d’Idlib, les médecins qui ont soigné Mohammed et ses proches ont déclaré que le flot continu de cas de traumatismes, qui résultait auparavant des frappes aériennes du régime Assad et de la Russie, a été remplacé par des personnes blessées par des mines et des munitions non explosées. Les enfants sont particulièrement vulnérables.

« En général, nous voyons de grosses blessures », a déclaré Mahmoud Al-Sayyah, un chirurgien de l’hôpital Atareb. « Une fracture de deux centimètres dans mon crâne n’est pas grave, mais deux centimètres chez un enfant, c’est la moitié de l’épaisseur de son os. Un enfant ne peut pas résister aux blessures comme un adulte ».

Après avoir été blessé par une mine, un enfant subit une opération d’urgence à l’hôpital d’Atareb – Photo de l’auteur

Malgré la gravité du problème, le gouvernement central de Damas, dirigé par le président intérimaire Ahmed Al-Shaara, n’a pas annoncé de plan national pour débarrasser la Syrie des mines et autres engins non explosés.

Pour retirer ces explosifs des champs, le gouvernement compte sur l’aide d’organisations telles que Halo Trust et les Casques blancs, une autre ONG financée par des gouvernements étrangers et des organisations internationales.

Mais le manque de financement signifie que ces organisations manquent cruellement de personnel, et leurs efforts sont encore plus compromis par les réductions de l’aide étrangère par l’administration Trump et le gouvernement britannique. Compte tenu de la lenteur des opérations d’enlèvement, il pourrait falloir des décennies pour éliminer correctement les mines et les munitions non explosées dans toute la Syrie.

Le récent gel du financement de l’USAID par le président américain Donald Trump pourrait particulièrement exacerber la situation de ce pays qui souffre d’un sous-financement chronique.

L’agence américaine fournit actuellement environ un quart de toute l’aide internationale à la Syrie.

Lors d’une apparition vidéo à la neuvième conférence annuelle de Bruxelles sur la Syrie organisée par l’UE le 17 mars, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a imploré les États d’« agir de toute urgence pour investir dans l’avenir de la Syrie en élargissant le soutien humanitaire et en reconsidérant toute réduction de financement en ce moment critique ».

Sans une action internationale urgente, les conséquences à long terme de la guerre d’Assad continueront à se faire sentir sur le terrain.

Dans un village de la campagne d’Idlib, Mohammed Abd Al-Kareem Talfah, un chef d’équipe de 34 ans travaillant pour les Casques blancs et couvrant Idlib et la province d’Alep, s’est plaint que son équipe ne dispose ni des outils ni de la main-d’œuvre nécessaires pour faire son travail correctement. Son équipe a trouvé un obus d’artillerie non explosé au milieu de la route et un drone kamikaze, qui pourraient tous deux être fatals aux occupants des voitures qui passent, ainsi qu’aux enfants qui les croisent.

« Actuellement, nous avons besoin d’une autre équipe entièrement équipée. C’est urgent. Nous travaillons au-delà de nos capacités », a déclaré M. Talfah à Drop Site News pendant sa pause. « Nous avons besoin de plus d’équipements logistiques, d’équipements plus modernes, tels que des véhicules SUV pour accéder à ces zones dans les montagnes, et de plus de membres d’équipe travaillant avec nous ».

Talfah affirme que les gens continuent de se précipiter vers leurs anciennes maisons, ignorant souvent les avertissements concernant les dangers posés par les mines et les munitions non explosées.

« C’est un combat », affirme-t-il. « Ils ne nous écoutent pas. Les gens ont un lien sentimental avec leurs maisons après avoir été forcés de fuir pendant plus de quatorze ans. Ils se précipitent pour rentrer chez eux, même s’ils risquent de perdre un membre ou même leur vie ».


20 mars 2025 – Drop Site News – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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