Par Abdel Bari Atwan
Le pire est peut-être passé, mais le chemin du rétablissement reste long et semé d’embûches.
Cette semaine marque le dixième anniversaire du début des «événements» en Syrie. Certains membres de l’opposition et de ses partisans parlent de “révolution”, d’autres de “complot” visant à détruire leur pays et à le dépecer, à étrangler son armée et à renverser son régime, tout comme en Irak.
Les courriels d’Hillary Clinton rendus publics ont clairement montré que les États-Unis avaient l’intention de manipuler les soulèvements du “printemps arabe” pour se débarrasser des régimes hostiles à Israël, recrutant dans ce but des milliers de combattants et militants de l’islam politique.
Cette mobilisation ne s’est pas limitée aux djihadistes. Des centaines de millions de dollars ont été investis pour inciter de hauts responsables syriens – depuis des généraux de l’armée et des forces de sécurité jusqu’aux ambassadeurs et diplomates – à faire défection. Un ancien premier ministre a touché 50 millions de dollars pour rejoindre les rangs de l’opposition, comme en témoigne l’intermédiaire qui a organisé la transaction ainsi que d’autres du même acabit.
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Des responsables religieux de haut rang, dont des érudits islamiques très réputés et influents dans les mondes arabe et islamique, ont également été partie prenante de la campagne. Ils ont diffusé des sermons passionnés pour le jihad en Syrie et la fermeture des ambassades du même pays, sans rien dire d’équivalent sur l’État israélien et son occupation [de la Palestine].
Qui peut oublier leurs fatwas qualifiant des millions de Syriens d’apostats, méritant la mort, simplement parce qu’ils appartiennent à des religions ou ethnies différentes ?
Il est frappant de constater que la plupart des États arabes visés par la “révolution” – comme l’Irak, la Syrie, l’Égypte, le Yémen et la Tunisie – n’étaient pas sectaires et jouissaient d’un certain pluralisme religieux, avec des populations fortement favorables à la résistance à l’occupation israélienne, et les gouvernements s’opposaient généralement aux interventions destructrices des États-Unis dans la région.
Comme en Irak, des centaines de millions de dollars ont été investis sur une période de plusieurs années dans cette préparation du terrain pour un changement de régime en Syrie, avec en plus l’activation de médias dédiés à ce projet.
L’ancien ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, a été le premier à vendre la mèche lorsqu’il a révélé en juin 2013 que dès 2007, les Britanniques avaient proposé une collaboration pour renverser le régime syrien.
Le Premier ministre israélien de l’époque Ehud Barak a déclaré dès mars 2011 qu’Israël devait travailler avec l’opposition syrienne pour faire tomber le régime, un thème repris à plusieurs reprises par le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman.
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En mai 2011, Burhan Ghalyoun, président du Conseil national syrien, la première coalition d’opposition syrienne installé à Doha, a exposé les objectifs de la “révolution” au Wall Street Journal. Il déclarait alors que la première chose que les “révolutionnaires” feraient une fois au pouvoir, serait de rompre les liens avec l’Iran, le Hezbollah et les groupes de la résistance palestinienne, et d’abandonner les revendications de souveraineté sur le sandjak d’Alexandrette (province de la Syrie historique sous contrôle turc, et où se trouve l’ancienne ville d’Antioche).
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar à l’époque, Cheikh Hamad Bin-Jasem, a rendu un service aux historiens en avouant que son pays avait dépensé des centaines de millions de dollars pour chapeauter des groupes armés en Syrie – chaque cent étant dépensé en coordination avec les États-Unis – et avait offert au président syrien Bashar al-Assad 15 milliards de dollars s’il romprait les liens avec l’Iran.
On se souvient qu’il avait déploré que le Qatar et l’Arabie saoudite se soient “disputés pour la proie” en Syrie et lui aient ainsi permis de s’échapper.
Le pétrole et le gaz ont été et restent un facteur important. La Syrie a refusé de donner accès à un gazoduc qatari vers la Turquie et vers l’Europe dont l’objectif était de concurrencer le gaz russe, et a attribué des contrats d’exploration pétrolière et gazière à des sociétés chinoises et russes plutôt qu’aux sociétés américaines ou occidentales.
Si la Syrie avait été laissée en paix, les revenus pétroliers et gaziers de cette dernière auraient rapidement atteint des dizaines de milliards de dollars par an.
Il faut rappeler que la plupart des États arabes soumis à une intervention militaire occidentale – l’Irak, la Libye et le Yémen – étaient riches en réserves pétrolières et gazières. Trump a lui-même réaffirmé cette priorité lorsqu’il a justifié le maintien d’une présence militaire américaine en Syrie avec l’objectif déclaré du contrôle des puits de pétrole et de gaz du pays et d’empêcher l’État syrien de percevoir leurs recettes.
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L’armée syrienne a tenu bon ces dix dernières années, combattant parfois sur des dizaines de fronts à la fois, préservant l’État et rétablissant son contrôle sur 70% du territoire du pays. Elle est confiante de récupérer le reste du pays avec le soutien de ses alliés.
Il ne s’agit pas de nier les horribles violations des droits de l’homme qui se sont produites. La police et la sécurité syriennes ont commis des atrocités et de terribles excès et abus contre les opposants.
Les dirigeants syriens ont également sous-estimé l’ampleur et la nature de ce qui se tramait contre leur pays, y compris la complicité d’anciens pays amis comme la Turquie.
Il subsiste de nombreux défis qui continuent de menacer l’État : non seulement l’occupation turque du nord-ouest du pays et la prise de contrôle kurde soutenue par les États-Unis dans le nord-est, mais surtout le défi redoutable de la reconstruction politique et matérielle.
Après toute ces destructions, douleurs et souffrances, une nouvelle Syrie fondée sur la réconciliation nationale, la démocratie, l’égalité et la justice sociale doit être construite pour que le pays se rétablisse, recouvre sa force et reprenne la place qui lui revient dans la région.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
17 mars 2021 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine