Israël cherche une nouvelle opportunité de “diplomatie climatique” suite à un nouveau rapport inquiétant publié cette semaine par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, un groupe scientifique réuni par l’ONU.
Cette “diplomatie” consiste pour Israël à écologiser son oppression des Palestiniens et à améliorer sa réputation internationale en promouvant l’application civile de technologies développées dans le contexte de l’occupation et de la colonisation militaires.
Le rapport du GIEC – que le secrétaire général de l’ONU a qualifié de “code rouge pour l’humanité” – indique que les effets dévastateurs du changement climatique causé par l’homme sont inévitables, mais qu’il reste une fenêtre étroite pour éviter les pires résultats possibles.
“Bon nombre des changements observés dans le climat sont sans précédent depuis des milliers, voire des centaines de milliers d’années, et certains des changements déjà enclenchés – comme l’élévation continue du niveau de la mer – sont irréversibles sur des centaines ou des milliers d’années”, selon les auteurs du rapport.
“Toutefois, des réductions fortes et durables des émissions de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre permettraient de limiter le changement climatique. Les avantages pour la qualité de l’air seraient rapides, mais il faudrait 20 à 30 ans pour voir les températures mondiales se stabiliser”, ajoutent les auteurs.
Le GIEC souligne sans équivoque “le rôle de l’influence humaine sur le système climatique”, bien que les États-Unis soient responsables à eux seuls de 25% des émissions historiques de dioxyde de carbone.
En revanche, l’accord populaire de Cochabamba, issu de la conférence organisée au Brésil en 2010 dans le sillage de l’échec des négociations climatiques de Copenhague, pointe du doigt une cause bien plus précise de la catastrophe climatique.
“Les entreprises et les gouvernements des pays dits ‘développés’, en complicité avec une partie de la communauté scientifique, nous ont amenés à discuter du changement climatique comme d’un problème limité à l’augmentation de la température sans s’interroger sur la cause, qui est le système capitaliste”, indique l’accord.
“Le capitalisme a besoin d’une puissante industrie militaire pour ses processus d’accumulation et d’imposition du contrôle des territoires et des ressources naturelles, en supprimant la résistance des peuples”, ajoute l’accord. “Il s’agit d’un système impérialiste de colonisation de la planète”.
Le document de Cochabamba affirme que “l’humanité est confrontée à un grand dilemme : continuer sur la voie du capitalisme, de la déprédation et de la mort, ou choisir la voie de l’harmonie avec la nature et du respect de la vie.”
La technologie prétendument “verte” développée par l’exploitation et la répression des peuples colonisés, comme celle proposée par Israël, est clairement une continuation de la première voie.
“L’expérience et les connaissances israéliennes peuvent aider les pays du monde entier”, a prétendu lundi Alon Ushpiz, directeur du ministère israélien des affaires étrangères.
Ushpiz a cité “les domaines des technologies de l’eau et du dessalement de l’eau de mer, de l’agriculture résistante à la sécheresse et du changement climatique, des énergies renouvelables et du stockage de l’énergie, du développement de substituts de protéines animales, de la reforestation et d’autres domaines.”
Le Times of Israel a rapporté que le ministère des affaires étrangères allait “faire progresser la ‘diplomatie climatique'” en “participant à des événements internationaux sur les questions climatiques et en promouvant les technologies israéliennes qui offrent des solutions.”
Une version aseptisée des technologies répressives
Les recherches menées par l’organisation de surveillance Who Profits montrent comment des technologies “vertes” apparemment inoffensives sont développées dans le contexte de l’occupation par Israël des territoires palestiniens et syriens et exportées à l’étranger.
Cette application civile permet aux entreprises militaires israéliennes de promouvoir “une version aseptisée de leurs technologies répressives” comme outils de lutte contre le changement climatique et la faim dans le monde.
Les entreprises israéliennes d’agritech [agrotechnologie], par exemple, “développent et commercialisent des systèmes d’irrigation intelligents, des solutions de protection des cultures et des engrais spécialisés aux agriculteurs du monde entier, engrangeant des milliards de dollars de ventes annuelles”, indique Who Profits.
Cette industrie contribue à l’agriculture dans les colonies de Cisjordanie et du plateau du Golan, au détriment des communautés palestiniennes et syriennes respectives de ces territoires, qui sont privées par Israël de l’usage de leurs terres et de leur eau.
Empêchés de cultiver leurs terres et donc privés de leur souveraineté économique, de nombreux Palestiniens de Cisjordanie sont contraints de trouver un emploi dans l’agriculture des colonies, “souvent dans des conditions de grande exploitation”, comme le note Who Profits.
Dans le même temps, sur le plateau du Golan – territoire syrien occupé par Israël depuis 1967 – l’agriculture de peuplement renforce la présence d’Israël sur le territoire et nuit à l’économie syrienne locale.
Israël a même militarisé l’agrotechnologie contre Gaza en utilisant des herbicides pour endommager et détruire les cultures palestiniennes dans la zone de proximité, ce qui constitue “une menace potentielle pour le droit à la vie car cela nuit directement à la sécurité alimentaire et à la santé de la population civile de Gaza”, affirme l’organisme de surveillance.
Les entreprises l’agrotechnologie “bénéficient de la commercialisation des connaissances militaires israéliennes” développées dans le contexte de l’occupation, toujours selon Who Profits.
“L’occupation militaire prolongée est le moteur d’une industrie de la défense qui ne cesse de se développer et qui s’avère très rentable, ce qui entraîne une relation fusionnelle entre le secteur privé et l’appareil militaire de l’État”, ajoute l’organisme de surveillance.
Le secteur civil de l’agrotechnologie bénéficie des subventions du gouvernement israélien pour la recherche et le développement en Cisjordanie et sur le plateau du Golan, qui servent de terrain d’essai pour le développement de produits et de technologies.
Destruction de l’agrotechnologie palestinienne
Dans le même temps, Israël détruit des projets d’agrotechnologie palestiniens à Gaza et empêche leur reconstruction.
Une serre hydroponique à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, qui maximise l’utilisation des terres tout en réduisant la consommation d’eau “est considérée comme l’un des projets de technologie agricole les plus réussis” dans le territoire, selon Gisha, un groupe israélien de défense des droits de l’homme.
La serre a été touchée par des bombardements et des tirs d’obus israéliens en mai, détruisant les cultures, les infrastructures et les équipements.
L’avenir de la serre, fondée en 2019 par Abdallah Abu Halima, et de ses 11 travailleurs, est incertain.
La reconstruction de logements était une priorité après l’offensive militaire destructrice d’Israël à Gaza en 2014, les entrepreneurs et les agriculteurs comme Abu Halima ne recevant aucune compensation. Ce sera probablement à nouveau le cas après le déchaînement d’Israël à Gaza plus tôt cette année.
Pendant ce temps, Israël restreint sévèrement les importations vers Gaza dans le cadre de son blocus renforcé imposé au territoire depuis 2007.
En ce qui concerne la serre d’Abu Halima, “les récipients en plastique utilisés pour faire pousser les plantes et les pompes utilisées pour les arroser ne sont pas disponibles à Gaza, pas plus que les engrais dont l’importation est fortement limitée, voire entièrement bloquée par Israël”, indique Gisha.
Crise de l’eau à Gaza
Israël contrôle l’accès à l’eau et son utilisation dans toute la Palestine historique au profit des juifs israéliens et au détriment des Palestiniens et de la Jordanie voisine.
Israël a détruit et endommagé les infrastructures d’eau et d’assainissement lors de ses attaques répétées sur Gaza.
Près de 300 installations d’eau, d’assainissement et de traitement ont été endommagées ou détruites pendant l’offensive israélienne de mai, “y compris des puits, des stations de pompage et des réseaux de distribution”, selon le groupe de surveillance des Nations unies OCHA.
Maher al-Najjar, directeur adjoint d’une compagnie des eaux à Gaza, a déclaré au journal israélien Haaretz qu’en raison des infrastructures endommagées, la consommation domestique d’eau par personne a chuté d’environ 80 litres par jour avant l’escalade de mai à 50 à 60 litres par jour.
“La qualité de l’eau a également été impactée, avec une augmentation significative du niveau de chlorures”, ajoute Haaretz.
Les réparations urgentes ont été retardées parce qu’Israël contrôle entièrement les importations par le biais du Mécanisme de reconstruction de Gaza, qui lui permet d’interdire l’entrée de marchandises qui, selon lui, pourraient avoir une application militaire.
En l’absence de sources d’eau adéquates, l’aquifère de Gaza est pompé à l’excès, ce qui fait que “l’eau de mer pénètre dans la nappe phréatique et provoque l’effondrement du sol”.
Un projet d’extension des installations de dessalement a été abandonné l’année dernière “en raison d’une pénurie de matériaux de construction et parce qu’Israël n’a toujours pas accordé de visa d’entrée aux sept ingénieurs turcs censés superviser le projet”, ajoute Haaretz.
Depuis le mois de mai, Israël a empêché l’importation de quelque 5000 articles nécessaires à la réparation des dégâts et à l’entretien régulier du réseau d’eau et d’égouts de Gaza.
Il existe “un risque accru d’inondation et un risque d’effondrement des bâtiments en hiver” si ces travaux ne sont pas achevés à temps, selon Haaretz qui cite al-Najjar.
Les deux faces de “l’histoire de l’eau” d’Israël
Israël ne souhaite pas attirer l’attention sur la crise de l’eau qu’il a provoquée à Gaza. Il voudra plutôt promouvoir ses technologies pour la gestion l’eau et l’agriculture comme des solutions aux grands défis auxquels l’humanité est confrontée.
Mais l’histoire de l’eau d’Israël a “deux visages”, comme l’a expliqué en 2017 Nomvula Mokonyane, alors ministre sud-africain de l’eau et de l’assainissement.
Israël commercialise son expertise en matière d’eau à l’international mais l’utilise comme une arme de guerre contre les Palestiniens. “La distribution inégale” laisse aux Palestiniens de Cisjordanie 73 litres par personne et par jour, disait Mokonyane, contre 240 à 300 litres pour les Israéliens.
L’Organisation Mondiale de la Santé recommande 100 litres d’eau par personne et par jour.
Le ministre sud-africain a fait aussi observer que des centaines de communautés palestiniennes de Cisjordanie et de la bande de Gaza sous occupation ne sont pas raccordées au réseau de distribution de l’eau.
Mekorot, la compagnie nationale des eaux israélienne, coupe l’approvisionnement en eau des Palestiniens, lesquels sont à leur tour contraints de s’approvisionner auprès de la compagnie.
Un expert en eau travaillant en Palestine a qualifié la situation d’ “hydro-apartheid“.
Al-Haq, un groupe palestinien de défense des droits de l’homme, a révélé que le détournement et l’utilisation des ressources en eau palestiniennes au profit d’Israël peuvent s’apparenter au “crime de pillage”.
Une question de vie ou de mort
Le meurtre récent par Israël d’un ingénieur des eaux dans la ville de Beita, dans le nord de la Cisjordanie, est un exemple poignant de la manière dont le contrôle colonial exercé par Israël sur les ressources naturelles palestiniennes est une question de vie ou de mort.
Le 27 juillet au soir, des soldats israéliens ont abattu Shadi al Shurafa alors qu’il se tenait près des principales vannes d’eau de Beita, une clé à mollette à la main.
Le frère de Shadi a déclaré à Haaretz qu’al-Shurafa était fréquemment appelé à toute heure pour vérifier le système d’eau du village.
L’approvisionnement en eau de Beita s’était arrêté la nuit où il a été tué. “Le système est très mauvais et l’approvisionnement est fréquemment interrompu”, selon Haaretz.
Et tout d’abord, pourquoi les soldats qui ont tué l’ingénieur des eaux palestinien étaient-ils là ? Dans le seul but de protéger les colonies israéliennes voisines, construites en violation du droit international.
La colonisation israélienne, l’occupation et la technologie civile qu’elle exporte à l’étranger sont profondément liées.
L’Accord populaire de Cochabamba dénonce “la manière dont le modèle capitaliste impose des méga-projets d’infrastructure et envahit les territoires avec des projets d’extraction, la privatisation de l’eau et les territoires militarisés, expulsant les peuples indigènes de leurs terres, inhibant la souveraineté alimentaire et aggravant la crise socio-environnementale”.
Ce que l'”expérience israélienne” illustre vraiment, c’est que la décarbonisation doit être couplée à la décolonisation. La technologie de l’apartheid n’est pas la solution pour un présent ou un avenir vivable.
Auteur : Maureen Clare Murphy
13 août 2021 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah