Par Jonathan Cook
Les femmes et les enfants sont pris pour cibles intentionnellement, selon les lanceurs d’alerte israéliens. Les règles de la guerre sont bafouées tant par les simples soldats que par les commandants.
Les bombes n’arrêtent pas de tomber. Le week-end dernier, Israël a lancé une nouvelle attaque aérienne dévastatrice sur Gaza, tuant au moins 90 Palestiniens et en blessant des centaines d’autres, dont des femmes, des enfants et des secouristes.
Une fois de plus, Israël a pris pour cible les réfugiés déplacés par ses précédentes attaques, transformant une zone qu’il avait officiellement déclarée « zone de sécurité » en un champ de bataille.
Et une fois de plus, les puissances occidentales ont haussé les épaules. Elles étaient trop occupées à accuser la Russie de crimes de guerre pour avoir le temps de s’inquiéter des crimes de guerre bien plus graves commis à Gaza par leur allié israélien – avec des armes qu’elles lui ont fournies.
Les atrocités commises dans le camp d’al-Mawasi, où vivaient 80 000 civils, ont été couvertes par l’habituel discours israélien, destiné à rassurer les opinions publiques occidentales sur le fait que leurs dirigeants ne sont pas les hypocrites absolus qu’ils semblent être en soutenant ce que la Cour mondiale a qualifié de « génocide plausible ».
Israël a déclaré avoir tenté de frapper deux dirigeants du Hamas, dont Mohammed Deif, chef de la branche militaire du groupe, bien que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu n’ait pas pu dire si la frappe avait atteint son but.
Personne dans les médias occidentaux n’a paru se demander pourquoi les deux hommes auraient choisi de se mettre en danger en s’installant dans un camp de réfugiés surpeuplé, où ils couraient le risque énorme d’être trahis par un informateur israélien, au lieu de s’abriter dans le vaste réseau de tunnels du Hamas.
Ni pourquoi Israël avait jugé nécessaire de tirer une énorme quantité de bombes et de missiles pour éliminer deux individus. Serait-ce là la nouvelle définition israélienne de l’ « assassinat ciblé » ?
Ni pourquoi ses pilotes et ses opérateurs de drones ont poursuivi les frappes et ciblé les équipes de secours qui venaient s’occuper des premières victimes. Les Israéliens avaient-ils des renseignements indiquant que Deif, au lieu d’aller se cacher, s’était attardé sur place pour extraire les survivants des décombres ?
Ni en quoi tuer et mutiler des centaines de civils pour tenter de tuer deux combattants du Hamas était conforme aux principes les plus élémentaires du droit international ? Les notions de « proportion » et de « distinction » exigent des armées qu’elles évaluent le gain militaire d’une attaque par rapport à la perte prévisible de vies civiles.
Vengeance biblique
Mais Israël méprise les règles de la guerre. Selon des sources au sein de l’armée israélienne, celle-ci considère désormais qu’il est acceptable de tuer plus de 100 civils palestiniens pour assassiner un seul commandant du Hamas – un commandant, notons-le, qui sera tout simplement remplacé dès qu’il sera mort.
Même si les deux chefs du Hamas avaient été assassinés, Israël aurait commis un crime de guerre et il le sait très bien. Mais Israël a appris que plus ses crimes de guerre deviennent routiniers, moins ils sont médiatisés et moins ils suscitent d’indignation.
Ces derniers jours, Israël a frappé plusieurs écoles des Nations Unies qui servaient d’abris, tuant des dizaines de Palestiniens supplémentaires. Mardi, une autre frappe dans la « zone de sécurité » d’al-Mawasi a fait 17 morts.
Selon l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’Unrwa, plus de 70 % de ses écoles – presque toutes servant d’abris aux réfugiés – ont été touchées par les frappes israéliennes.
La semaine dernière, des médecins occidentaux qui s’étaient portés volontaires à Gaza ont déclaré qu’Israël truffait ses armes d’éclats d’obus afin de maximiser les blessures de ceux qui se trouvent à proximité de l’explosion. Les enfants, dont le corps est plus petit, souffrent de blessures beaucoup plus graves.
Les organisations humanitaires ne peuvent pas soigner correctement les blessés, car Israël bloque l’entrée des fournitures médicales à Gaza. Commettre des crimes de guerre, si les opinions publiques occidentales ne l’ont pas encore compris, est le but même de l’« opération militaire » qu’Israël a lancée à Gaza à la suite de l’attaque d’un jour du Hamas le 7 octobre.
C’est pourquoi il y a plus de 38 800 morts connus à la suite de l’assaut israélien de 10 mois – et probablement au moins quatre fois plus de morts non enregistrées, selon des chercheurs de premier plan qui écrivent ce mois-ci dans la revue médicale Lancet.
C’est pourquoi il faudra au moins 15 ans pour déblayer les décombres éparpillés dans Gaza par les bombes israéliennes, selon les Nations unies, et jusqu’à 80 ans – et 50 milliards de dollars – pour reconstruire les maisons des 2,3 millions d’habitants de l’enclave encore en vie à la fin de cette opération.
Le double objectif d’Israël est la vengeance biblique et l’annihilation de Gaza – un déchaînement génocidaire pour chasser la population terrifiée, idéalement vers l’Égypte voisine.
Tirer sur tout le monde
Comme si cela n’était pas déjà assez clair, six soldats israéliens ont récemment pris la parole pour raconter ce dont ils avaient été témoins, alors qu’ils servaient à Gaza – un évènement que les médias occidentaux se sont bien gardés de rapporter.
Leurs témoignages, publiés la semaine dernière par la revue 972, basée en Israël, confirment ce que les Palestiniens disent depuis des mois.
Les commandants les ont autorisés à ouvrir le feu sur les Palestiniens à volonté. Toute personne pénétrant dans un secteur que l’armée israélienne considère comme une « zone interdite » est abattue à vue, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant.
En mars dernier, le journal israélien Haaretz avait prévenu que l’armée israélienne avait créé de telles « zones de mort », où toute personne était exécutée sans avertissement.
Après des mois d’un blocus israélien de l’aide, qui a créé une famine artificielle, l’armée israélienne a transformé la recherche de plus en plus frénétique de nourriture par les habitants de Gaza en un jeu de roulette russe.
Cela explique peut-être en partie pourquoi tant de Palestiniens manquent à l’appel – Save the Children estime que 21 000 enfants sont portés disparus. Les soldats cités dans 972 affirment que les corps des victimes de leur politique de « tirer sur tout le monde » sont poussés par des bulldozers hors de vue des convois d’aide internationale.
Un réserviste, identifié uniquement comme S, a déclaré qu’un bulldozer Caterpillar « débarrasse la zone des cadavres, les enterre sous les décombres ou les repousse sur le bas-côté pour que les convois ne les voient pas – et qu’ils ne puissent pas photographier des corps à un stade avancé de décomposition et diffuser leurs photos ». Le soldat a également noté : « Toute la zone [de Gaza où l’armée opère] était pleine de corps… Il y a une horrible odeur de mort ».
Plusieurs soldats ont signalé que les chats et les chiens errants, privés d’eau et de nourriture depuis des mois, tout comme la population de Gaza, se nourrissent des cadavres.
L’armée israélienne a refusé à plusieurs reprises de publier son règlement de tir aux armes depuis que les tribunaux israéliens lui ont ordonné de le faire dans les années 1980.
Un soldat nommé B a déclaré à 972 que l’armée israélienne jouissait d’une « liberté d’action totale », les soldats étant censés ouvrir le feu sur tout Palestinien s’approchant de leurs positions, au lieu de tirer un coup de semonce en l’air : « Il est permis de tirer sur tout le monde, une jeune fille, une vieille femme ».
Lorsque les civils ont reçu l’ordre d’évacuer une école qui leur servait d’abri dans la ville de Gaza, a ajouté B., certains sont sortis par erreur en direction des soldats, plutôt qu’à gauche. Parmi eux, des enfants. « Tous ceux qui sont allés à droite ont été tués – 15 à 20 personnes. Il y avait une pile de corps ».
Selon B., tout Palestinien de Gaza peut devenir une cible par inadvertance : « Il est interdit de se promener, et toute personne qui se trouve à l’extérieur est suspecte. Si nous voyons quelqu’un à une fenêtre qui nous regarde, c’est un suspect. On tire ».
« Comme dans un jeu vidéo »
S’inspirant de pratiques militaires connues également en Cisjordanie occupée, l’armée israélienne encourage ses soldats à tirer même lorsque personne ne les approche. Ces tirs aveugles et aléatoires sont appelés « démonstration de présence » et ont pour but de terroriser la population civile et de la maintenir en état de panique.
Dans d’autres cas, les soldats ouvrent le feu simplement pour se défouler, s’amuser ou, comme l’a dit un soldat, « vivre l’événement » d’être à Gaza.
Yuval Green, un réserviste de 26 ans originaire de Jérusalem, le seul soldat à avoir accepté d’être nommé, a fait remarquer que « les gens tiraient juste pour ne pas s’ennuyer ».
Un autre soldat, M, a également noté qu’« il n’y a aucune limite sur les tirs, on tire comme des fous » – et pas seulement avec des armes légères. Les troupes utilisent des mitrailleuses, des obus de chars et de mortier avec la même frénésie gratuite.
A, un officier de la direction des opérations de l’armée, a souligné que cet insolent mépris de la vie humaine s’étendait à toute la chaîne de commandement.
Bien que la destruction d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées, d’églises et d’organisations d’aide internationale nécessite l’autorisation d’un officier supérieur, dans la pratique, ces opérations sont presque toujours approuvées, a déclaré A : « Je peux compter sur les doigts d’une main les cas où l’on nous a dit de ne pas tirer. Même pour des choses sensibles comme les écoles, [l’approbation] n’est qu’une formalité… Personne ne versera une larme si nous détruisons une maison alors que ce n’était pas nécessaire, ou si nous tirons sur quelqu’un sur qui nous n’avions pas à tirer ».
Commentant l’ambiance dans la salle des opérations, A a déclaré que la destruction de bâtiments ressemblait souvent à un jeu vidéo. En outre, A. doute que les combattants du Hamas représentent une forte proportion du nombre de morts à Gaza comme le prétend Israël. Toute personne attrapée dans les « zones de mort » d’Israël ou ciblée par un soldat qui s’ennuie est considérée comme un « terroriste ».
Brûler des maisons
Les soldats ont également rapporté que leurs commandants détruisaient des maisons non pas parce qu’elles étaient suspectées de servir de base à des soldats du Hamas, mais simplement pour se venger de toute la population.
Ces témoignages confirment un rapport antérieur de Haaretz selon lequel l’armée mettait en œuvre une politique d’incendie des maisons palestiniennes après le départ des soldats israéliens qui s’en étaient servi comme base. Green a déclaré que le principe était le suivant : « Quand vous partez, vous devez brûler la maison ». Selon B, sa compagnie a « brûlé des centaines de maisons ».
Une politique de destruction gratuite et vengeresse est également mise en œuvre – à une échelle bien plus grande – par les pilotes de chasse et les opérateurs de drones israéliens, ce qui explique pourquoi au moins les deux tiers du parc immobilier de Gaza sont en ruines.
On ne compte plus les mensonges. L’une des raisons déclarées de la présence d’Israël à Gaza est de « ramener les otages », c’est-à-dire les dizaines d’Israéliens qui ont été emmenés dans la bande de Gaza le 7 octobre. Ce message n’est apparemment pas parvenu aux militaires israéliens.
Green a noté que, malgré une opération spectaculaire le mois dernier qui a tué plus de 270 Palestiniens pour sauver quatre otages israéliens, l’armée est en fait profondément indifférente à leur sort.
Il a déclaré avoir entendu des soldats déclarer : « Les otages sont morts, ils n’ont aucune chance, il faut les abandonner ».
En décembre dernier, les troupes israéliennes ont abattu trois captifs qui agitaient des drapeaux blancs. Les tirs à l’aveugle sur des bâtiments constituent la même menace pour la vie des otages que pour celle des combattants palestiniens ou des civils.
Cette indifférence pourrait également expliquer pourquoi les dirigeants politiques et militaires israéliens ont accepté de bombarder aussi massivement les bâtiments et les tunnels de Gaza, au péril de la vie des otages et des civils palestiniens.
Culture de la violence
Les témoignages de ces soldats en 972 ne devraient surprendre personne, à l’exception de ceux qui s’accrochent encore désespérément aux contes de fées sur l’armée israélienne « la plus morale du monde ».
En fait, une enquête menée par CNN le week-end dernier a révélé que des commandants israéliens qui, selon des responsables américains, ont commis des crimes de guerre particulièrement odieux en Cisjordanie occupée au cours de la dernière décennie ont été promus à des postes de haut niveau dans l’armée israélienne. Ils sont notamment chargés de former les troupes au sol à Gaza et de superviser les opérations qui s’y déroulent.
Un informateur du bataillon Netzah Yehuda qui a parlé à CNN a déclaré que les commandants, issus du secteur ultra-orthodoxe extrémiste religieux d’Israël, ont alimenté une culture de la violence à l’égard des Palestiniens, y compris des attaques de type « justicier ».
Comme l’indique l’enquête de CNN, la mort et la destruction gratuites à Gaza sont le fruit de politiques délibérées, ce ne sont pas des accidents.
Cela fait des décennies que l’armée israélienne applique ses politiques inhumaines à l’égard des Palestiniens, non seulement dans la minuscule enclave, mais aussi dans toute la Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est.
Israël étouffe Gaza par un siège depuis 17 ans. Et depuis 1967, il étouffe la Cisjordanie occupée et Jérusalem-Est en multipliant les colonies illégales – dont beaucoup abritent des milices juives violentes – pour chasser la population palestinienne.
Ce qui est nouveau, c’est l’intensité et l’ampleur de la mort et de la destruction qu’Israël a été autorisé à infliger depuis le 7 octobre. Les israéliens ont enlevé leurs gants, avec l’approbation de l’Occident.
Le projet d’Israël, qui consiste à vider la Palestine historique de ses Palestiniens, qui était jusqu’ici un objectif de long terme est devenu un objectif urgent et impérieux.
Des politiciens à l’esprit pervers
Néanmoins, l’histoire bien plus longue d’Israël en matière de violence et de nettoyage ethnique des Palestiniens est sur le point d’être exposée au grand jour, malgré tous les efforts déployés par Israël pour maintenir notre attention fixée sur la menace du « terrorisme » du Hamas.
La Cour internationale de justice de La Haye, souvent appelée « Cour mondiale », examine actuellement deux affaires contre Israël. La plus connue est celle qui a été lancée en janvier, et qui poursuit Israël pour génocide.
Mais vendredi, la Cour mondiale doit statuer sur une affaire plus ancienne, antérieure au 7 octobre. Elle se prononcera sur la question de savoir si Israël a enfreint le droit international en rendant permanente l’occupation de la Palestine.
S’il est plus urgent d’arrêter le génocide à Gaza, un arrêt de la Cour reconnaissant la nature illégale de la domination d’Israël sur les Palestiniens est tout aussi important. Il apporterait un soutien juridique à ce qui devrait être évident : qu’une occupation militaire prétendument temporaire s’est transformée depuis longtemps en un processus permanent de nettoyage ethnique barbare.
Une telle décision permettrait de comprendre ce contre quoi les Palestiniens se battaient réellement, pendant que les capitales et les médias occidentaux mentaient à leurs opinions publiques année après année, décennie après décennie.
Cette semaine, Oxfam a accusé le nouveau gouvernement britannique, dirigé par Keir Starmer, d’être « complice » des crimes de guerre d’Israël en appelant à un cessez-le-feu tout en fournissant activement à Israël les armes nécessaires à la poursuite du massacre. Le gouvernement travailliste tarde également à rétablir le financement de l’Unrwa, qui est la mieux placée pour lutter contre la famine à Gaza.
À la demande de Washington, les travaillistes cherchent à bloquer les efforts du procureur général de la Cour pénale internationale pour émettre des mandats d’arrêt contre Netanyahu et son ministre de la défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre. Et rien n’indique encore que Starmer ait l’intention de reconnaître la Palestine en tant qu’État, ce qui positionnerait le Royaume-Uni contre le programme de nettoyage ethnique d’Israël.
Malheureusement, Starmer est un serpent comme la plupart des politiciens occidentaux : il affiche son indignation face aux attaques « dépravées » de la Russie sur les enfants en Ukraine, tout en gardant le silence sur les bombardements encore plus dépravés qui assassinent les enfants de Gaza et sur la famine qui décime les survivants des massacres.
Il jure que son soutien aux Ukrainiens « ne faiblira pas ». Mais il n’a jamais envisagé de soutenir les Palestiniens de Gaza confrontés à un génocide.
Les Palestiniens de Gaza – et de Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupées – ne sont pas seulement confrontés à une armée israélienne qui viole les lois et fait preuve d’une grande sauvagerie. Ils sont trahis chaque jour un peu plus par un Occident qui donne sa bénédiction à pareille barbarie
Auteur : Jonathan Cook
19 juillet 2024 – Middle-East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet