« Tous ceux que j’aime sont au ciel »

6 novembre 2024 - Des Palestiniens tentent de sauver les victimes de la maison de la famille Al-Sana' dans le camp de réfugiés de Nuseirat, au centre de Gaza, après que les forces coloniales israéliennes ont bombardé la zone la nuit précédente. A la date du 10 décembre, l'assaut génocidaire israélien en cours à Gaza a tué près de 50 000 Palestiniens, et des milliers d'autres sont toujours portés disparus - Photo : Yousef al-Zanoun / Activestills

Par Marie Schwab

Amnesty International, à son tour, conclut à un génocide à Gaza. C’est bien. Mais n’est-ce pas 45 000 morts trop tard, voire 200 000 morts trop tard ? [1]

Pourquoi avoir attendu qu’il ne reste pas une seule famille épargnée ? Pourquoi avoir attendu qu’il ne subsiste plus une maison, plus une bibliothèque, plus un musée, un commerce, un village ?

Nul besoin que le génocide ait lieu pour intervenir, nul besoin qu’un rapport de 300 pages l’atteste. L’article II de la Convention sur le Génocide vise à prévenir le génocide, dès lors que l’intention génocidaire est manifeste.

Les Etats avaient l’obligation juridique, il y a quatorze mois, de stopper Israël. Mais au lieu d’agir, d’exercer immédiatement des sanctions, de boycotter massivement l’État génocidaire, l’Occident a décidé de couvrir Israël et de lui fournir les armes qui massacrent parents et enfants par dizaines de milliers.

Pourquoi ne pas avoir pris au mot les intentions génocidaires clairement claironnées par l’occupant il y a quatorze mois ? Pourquoi n’accorder de crédit qu’à ses mensonges ?

Nommer le génocide, c’est une nécessité, un devoir de vérité. Pourquoi euphémiser l’horreur absolue ? Dire « génocide », c’est aussi dire « stop, immédiatement ». La notion même de génocide induit que ça doit cesser, maintenant. Ergoter, rechigner à utiliser ce terme, ce n’est pas seulement indécent, cela revient au fond à minimiser et cautionner le génocide.

Cependant les Palestiniens de Gaza, forts de l’expérience traumatique liée à cinq guerres meurtrières en quinze ans, ont su, dans leur chair, dès le soir du 9 octobre, que cette fois, c’était leur dernière guerre. Leur génocide. Leur extermination.

Aya avait dit à ses enfants, le premier jour de l’assaut israélien : « Nous allons tous mourir. Profitons des derniers instants de notre vie. » Aya a été assassinée le 22 octobre 2023, dans un bombardement qui a tué vingt-et-un membres de sa famille. C’est Malak, 12 ans, la fille d’Aya, qui rapporte ces propos à son père, dévasté, pendant sa semaine d’agonie.

Le génocide n’est possible que par les milliards de dollars et les près de 100.000 tonnes de bombes américaines livrées à Israël. Mais aussi, à valeur égale, par le silence et la complicité de ceux qui laissent faire, à la tête desquels la France et le Royaume Uni. Sans oublier, comme le démontre Craig Mokhiber, le troisième pilier du génocide : les médias occidentaux qui n’évoquent Gaza que pour propager et épouser le narratif israélien. Radio France continue d’évoquer des « opérations » et des « combats ».

J’énonce des évidences, oui. Comment faire autrement ? La situation est d’une simplicité confondante. Nous avons le devoir de marteler les évidences. De crier ce qui se passe, jusqu’à ce que ça cesse. De décrire une journée ordinaire à Gaza : ces corps d’enfants arrivant l’un après l’autre à l’hôpital. Ces enfants mourant de leurs blessures par manque du strict nécessaire pour les sauver. Cette petite fille, seule, titubant à reculons dans la foule en fuite, appelant désespérément son père lors d’une énième journée de terreur et de course folle sous les bombes et les tirs de snipers à Beit Lahiya. Ce chirurgien qui ampute dans la journée dix enfants sans anesthésique ni désinfectant, et qui sait que la moitié d’entre eux ne survivront pas. Cette toute petite fille, prise de convulsions de terreur, les yeux exorbités, traumatisée à vie. Cet homme se déplaçant avec des béquilles parmi les gravats, portant sur son dos un enfant amputé des deux jambes. Ce médecin tenant la main d’un enfant qui meurt sans aucune famille pour l’apaiser er le pleurer. Cet homme qui pleure le bébé qu’il dépose dans sa tombe après l’avoir dégagé des décombres, éphémère survivant de sa famille décimée. Cette femme au regard vide, silencieuse, qui ne retrouve pas le bébé qu’elle a mis au monde il y a une semaine, ni son aîné âgé d’à peine un an, ensevelis sous les gravats.

« Nous sommes des martyrs en sursis. Chacun attend son tour », constate Youssef, l’oncle de Mahmoud, 12 ans, qui a d’abord perdu, dans un premier bombardement, sa mère, ses frères et sœurs, son neveu, puis, dans un deuxième bombardement, son père, ses cousins, ses oncles et tantes.

Le quotidien à Gaza, c’est l’occupant sommant d’évacuer tel bâtiment, puis bombardant non le bâtiment désigné, mais celui où se sont réfugiés les habitants. C’est Israël diffusant par haut-parleurs des sons de cris et d’appels à l’aide, puis bombardant les personnes venues à leur secours. C’est Israël larguant une première bombe sur une maison, une deuxième lorsque les secours arrivent, puis une troisième lorsqu’un nouvel afflux de personnes arrivent sur les lieux. C’est Israël ciblant, dans le dos, des Palestiniens tout juste relâchés de prison. C’est l’occupant ciblant un blessé quittant l’hôpital dans un fauteuil roulant.

Le quotidien à Gaza, c’est Israël bombardant, comme samedi dernier, au moment où nous étions rassemblés ici, l’ONG World Food Kitchen, l’ONG Gaza Soup, l’ONG Save the Children, et quinze personnes attendant de la nourriture à Khan Younis. Ce sont des corps projetés par le souffle de l’explosion, s’écrasant au sol à des dizaines de mètres de là.

Le quotidien à Gaza, c’est cet homme portant le corps d’un enfant sans famille, criant à travers ses larmes : « Cela fait plus d’un an que ça dure, quelle est la faute de ces enfants ? Ils dormaient dans des tentes, sous la pluie, sous les bombes, sous le blocus. Ils n’ont pas eu le temps de vivre, ni de connaître la dignité. »

C’est Amar, 13 ans, seul survivant de sa famille, présentant de multiples traumatismes à la nuque, disant : « Tous ceux que j’aime sont au ciel. J’aurais voulu mourir avec eux. Je n’ai plus rien à faire ici. »

Notes :

[1] The Lancet estimait en juillet le nombre minimal de morts à 186.000. Des médecins spécialistes de l’humanitaire comme Nizam Mamode évoquent 200.000 morts. Ralph Nader avançait le même chiffre dès mars 2024, cf. : r/chomsky, Ralph Nader estimates that more than 200 000 Palestinians have been killed so far, CollisionResistance, 5.3.2024

7 décembre 2024 – Transmis par l’auteure

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