Par Amna Shabana
Mon amie Rim Hamadaqa a survécu de justesse à l’attaque de sa maison à Khan Younis, qui a tué ses parents et l’essentiel des membres de sa famille. Que dire à une amie qui a presque tout perdu ?
Note de la rédaction : L’article suivant fait partie d’une campagne visant à collecter des fonds pour aider Rim Hamadaqa, collaboratrice de Mondoweiss, à quitter Gaza pour bénéficuier d’un traitement médical. Merci de donner ce que vous pouvez.
Le 7 mars. Le soir. Mon téléphone sonne. « Tu peux aller à l’hôpital de Deir al-Balah ? » me demande Asmaa’, une amie très chère qui n’a pas appelé depuis octobre dernier. « Quand as-tu appelé Rim pour la dernière fois ? »
Les battements de mon cœur se sont accélérés lorsqu’elle a mentionné le nom de Rim, mon amie proche, après le mot « hôpital ».
S’excusant de la nouvelle qu’elle s’apprêtait à me faire connaître et me suppliant de rester forte, Asmaa’ m’a informée que Rim était blessée et à l’hôpital et que ses parents et ses deux sœurs avaient été « désignés comme martyrs ».
« Sahurah n’est plus là »
« Sahurah n’est plus là » est la seule phrase que j’ai réussi à comprendre à travers les sanglots de Rim lorsque je l’ai appelée quelques heures après avoir appris la nouvelle.
Sahurah était le surnom de la mère de Rim. Sahar, ou Sahurah, venait d’avoir 50 ans il y a quelques mois. Rim s’occupait d’elle comme si Sahurah était sa fille.
« Tu sais qui est Sahurah », s’est-elle écriée, me rappelant les souvenirs de sa mère qu’elle avait l’habitude de partager avec moi.
La Sahurah qui a célébré l’obtention du diplôme de Rim avec des larmes de joie, n’est plus.
La Sahurah qui, sur la pointe des pieds, donnait des mangues à Rim, toujours au travail, sans en parler à ses autres filles, n’est plus.
La Sahurah qui investissait la chambre de Rim pour s’isoler après de longues journées de travail, n’est plus.
La Sahurah, dont le seul rêve était de vivre pour voir ses filles connaître une vie heureuse, n’est plus.
La seule réponse que Rim a reçue lorsqu’elle a demandé à sa mère quels étaient ses rêves et ses souhaits, c’est « toi ».
« Tous ont été tués »
« Tous ont été tués, sauf moi », pleure Rim.
« Tous », répète Rim d’une voix tremblante.
« Rim est allongée sur le dos, incapable de bouger », m’a expliqué Suhad, la sœur aînée de Rim qui est restée avec elle à l’hôpital, en décrivant la scène.
« Mes sœurs Hiba et Ula ont disparu elles aussi », a raconté Suhad. « Les enfants de ma sœur Hala, Maryam et Anas, ont disparu. »
« Ma grand-mère maternelle, mon oncle maternel et ses filles Shams et Sundus ont disparu », a ajouté Suhad d’une voix sèche mais forte.
« Ahmad est vivant ; Allah l’a gardé pour nous. »
« Nous avons entendu leurs cris, Amna. Cela faisait trois jours qu’ils mourraient de leurs brûlures », explique Suhad d’une voix posée, pour ne pas laisser Rim se faire du mal en pleurant.
« Que dois-je dire ? »
« Que dois-je dire ? », me suis-je murmuré.
Que dois-je dire à une amie qui est seule, qui a le cœur brisé et qui pleure la perte de sa mère et de son père ?
Que dois-je dire à une amie que j’ai appelée et à qui j’ai parlé tous les jours, qui avait [autour d’elle] tous les membres de sa famille et que je taquinait, alors qu’aujourd’hui je l’appelle après avoir appris qu’elle avait « survécu » seule à un massacre ?
Que dois-je dire à une amie qui a attendu l’arrivée du mois de mars, du printemps ou du ramadan, mais qui les a tous accueillis avec le cœur et les os brisés ?
Que dois-je dire à une amie qui aime l’intimité, qui est trop timide pour partager la même chambre que ses sœurs, mais qui se trouve maintenant dans un hôpital bondé qu’on appelle encore à peine un hôpital ?
Que dois-je dire à une amie qui terminait toujours son appel en disant : « Je vais bien tant que ma famille va bien » ?
Tout ce que j’ai pu dire, c’est : « Je viendrai demain si je suis encore en vie ».
« C’était comme irréel »
8 mars. 11h00. Sur le chemin de l’hôpital Shuada’ Al-Aqsa. Cerfs-volants de toutes les couleurs. La mer apparaît par la fenêtre de la voiture. Je m’appuie sur la vitre en pensant à Rim. En regardant la mer, je laisse couler les rivières de mes larmes, pour être forte lorsque je rencontrerai Rim.
Rim a une perfusion dans la main droite, une canule dans le cou, le fémur droit et les os du bassin sont fracturés.
« Comment puis-je comprendre ce qui m’est arrivé ? rien de ce que j’ai appris ne pourra jamais m’aider à comprendre », dit Reem, les yeux pleins de larmes, allongée sur le lit et me tenant la main. Personne ne m’a aidée à imaginer cette scène.
« J’ai retiré les pierres de ma poitrine et de mon abdomen. Mes jambes étaient coincées sous les décombres. Abed et Said, mes cousins, les ont enlevées », raconte Reem.
« Je suis reconnaissante à Ahmad, mon frère, d’être là. Allah l’a gardé pour moi. Il m’a portée sur son dos et a couru. J’avais trop froid. C’était comme irréel. Un cauchemar.”
« Je suis lasse. Je ne peux pas bouger. Je ne peux même pas m’asseoir. C’est le sixième jour. Je ne vois que des cauchemars. Je ne dors pas. Je ne peux pas. »
« Je suis restée allongée sur le sol pendant deux jours. Ahmad a dû demander un lit. Il a dû rester debout la nuit et attendre près d’une personne mourante à côté de moi jusqu’à ce qu’il obtienne le lit. »
« Mon cœur est vide »
« Ils sont tous partis, sauf moi. Papa a emporté Hiba. Maman ne m’a pas prise avec elle. Ils ont même emporté Shams, Sundus, Mahmoud et Hani, mes cousins. Mon cœur est vide. »
« Nous ne leur avons pas encore donné un enterrement digne de ce nom. Peut-être que maman a froid. Ils sont laissés dans la rue. Je veux leur faire un dernier adieu. Même s’ils parvenaient à les amener à l’hôpital, je ne pourrais pas les voir », dit Rim en fixant le plafond, la seule direction vers laquelle elle pouvait regarder.
« Où est ton téléphone ? demande Rim, ajoutant que son téléphone est toujours sous les décombres. Les yeux de Rim ont brillé devant les photos de sa mère souriante sauvegardées sur mon téléphone. Rim a pleuré en serrant la photo de sa mère dans ses bras.
La famille de Reem a finalement pu être enterrée le 13 mars, après le retrait des forces israéliennes de la zone.
Auteur : Amna Shabana
* Amna Shabana est une écrivaine palestinienne originaire de la bande de Gaza. Elle est titulaire d'une licence en langues et littératures anglaises de l'université islamique de Gaza (IUG). Elle a travaillé comme assistante d'enseignement et poursuit sa maîtrise en traduction à l'IUG. Elle est également formatrice indépendante en traduction et en rédaction de contenu, et elle contribue à We Are Not Numbers. Son compte Twitter/X.
20 mars 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine