Tout ce que voulait Israël au sud-Liban, c’était détruire !

Les proches d'Ali Shaabi se tiennent devant leurs maisons détruites pendant le cessez-le-feu à Naqoura, au sud du Liban - Photo :: Raghed Waked / Al Jazeera

Par Justin Salhani, Angie Mrad

A Naqoura, les habitants qui reviennent sont très attristés et perplexes face à la férocité d’une destruction apparemment gratuite.

Naqoura, Sud-Liban – Vêtu d’une veste vert olive et d’un jean, le chef de la municipalité, Abbas Awada, se tenait à côté des vestiges de la maison familiale où il vivait avec sa femme et ses deux enfants depuis 15 ans.

Le charismatique quadragénaire à la voix douce Abbas Awada avait l’habitude de recevoir des habitants de la ville dans la maison familiale et d’organiser de grandes réunions de famille avec son épouse.

La maison a survécu à plus d’un an de guerre, dont une invasion de 66 jours, pendant lequel des raids israéliens ont détruit une grande partie des infrastructures du Liban.

C’est après un cessez-le-feu entre Israël et le groupe libanais Hezbollah qui a débuté en novembre que les forces israéliennes ont démoli la maison où les enfants d’Awada avaient grandi.

Les proches d'Ali Shaabi se tiennent devant leurs maisons détruites pendant le cessez-le-feu à Naqoura, au sud du Liban - Photo :: Raghed Waked / Al Jazeera
Abbas Awada n'a toujours pas emmené ses enfants voir leur maison démolie - Photo : Raghed Waked / Al Jazeera
Ali Shaabi est rentré chez lui après le retrait israélien pour trouver son manguier arraché du sol - Photo : Raghed Waked / Al Jazeera
Reem Taher n'est pas retournée à Naqoura depuis que sa maison a été détruite - Photo : Raghed Waked / Al Jazeera

Du début des combats entre le Hezbollah et Israël le 8 octobre 2023 jusqu’à celui d’un cessez-le-feu le 27 novembre 2024, Israël a tué près de 4000 personnes et laissé un déluge de destruction partout au Liban, dans le sud en particulier.

Et, en dépit, du cessez-le-feu, l’armée israélienne a continué d’attaquer le Liban.

Un « cessez-le-feu » qui n’en a que le nom

Selon l’accord de cessez-le-feu, initialement prévu pour durer 60 jours, le Hezbollah était censé se retirer au nord du fleuve Litani, qui traverse le sud du Liban. Israël était également tenu de retirer ses troupes du Liban et les Forces Armées Libanaises (LAF) devaient prendre le contrôle du sud.

Nombreux étaient ceux qui croyaient que le cessez-le-feu amènerait la fin des attaques israéliennes. Mais Israël a continué d’attaquer, justifiant ce qu’il faisait comme tentative de « démanteler et détruire » le Hezbollah, objectif auto-proclamé.

Parmi ses actions, la destruction délibérée de maisons dans des villages du sud comme Naqoura, aux effets dévastateurs sur les personnes qui fuyaient la violence et espéraient retourner chez eux lorsqu’elle prendrait fin.

« Je la vois encore telle qu’elle était, » dit doucement Awada, regardant sa maison.

Il montra l’entrée de la maison et décrivit sa disposition. Là où il dit que se trouvaient la cuisine et la salle à manger, c’était maintenant un amas de béton et d’acier – un bulldozer avait fait tomber les murs de sa maison.

Un téléviseur se trouvait encore parmi les décombres, fixé à un mur visible du salon et criblé d’impacts de balles.

« Tout ce qu’ils voulaient, c’était détruire, » dit-il.

Il n’a pas encore amené ses enfants de 11 et 14 ans voir les ruines.

Legal Agenda, organisation de recherche et de plaidoyer à but non lucratif basée à Beyrouth, a noté qu’à la fin du mois de janvier Israël avait violé plus de 855 le cessez-le-feu.

Ameneh Mehvar, analyste confirmé du Moyen-Orient pour ACLED, organisation qui recueille des données sur les conflits, a déclaré à Al Jazeera qu’elle avait enregistré «plus de 330 incidents de frappes aériennes et de bombardements » depuis le cessez-le-feu.

Un retrait qui n’en était pas un

Naqoura, qui se trouve pile sur la frontière sud du Liban, avait subi de sérieux dégâts pendant la guerre mais n’avait pas été envahi quand le cessez-le-feu a débuté.

A la mi-décembre, des troupes israéliennes sont entrées à Naqoura et il commença à émerger qu’elles y détruisaient des maisons et des bâtiments ainsi que dans d’autres villages au Sud-Liban.

Le retrait israélien devait être achevé pour le 26 janvier. Mais malgré les objections du gouvernement libanais, les Israéliens ont annoncé – avec le soutien des États-Unis – que leur présence serait prolongée jusqu’au 18 février.

Lundi, Israël a annoncé qu’il « laisserait des petits contingents de troupes déployés dans cinq endroits stratégiques » du Liban.

Les Israéliens se sont effectivement retirés de Naqoura début janvier, permettant aux habitants de voir ce qu’il restait de leur village et de leur maison après la violence aveugle qui s’est abattue sur eux.

Ils ont utilisé des bulldozers « pour se venger »

Dans une rue sinueuse derrière la mairie de Naqoura, Ali Shaabi, 75 ans, n’a pas encore fait le deuil de ses arbres fruitiers et des dégâts délibérés qui leur ont été infligés.

Il a enjambé avec agilité les gravats pour rejoindre son jardin, expliquant qu’il n’avait pas cessé d’arroser ses arbres jusqu’à ce qu’il a été forcé d’évacuer.

« Je ne les ai pas quittés, » dit-il une cigarette et son briquet jaune toujours à la main.

Des pamplemousses bien charnus pendent d’un arbre mais un manguier git sur le sol à côté. Il a été arraché par des soldats israéliens pendant le cessez-le-feu, objectif stratégique inconnu.

Debout sur le porche avant de la maison brûlée où il vivait avec sa femme, ses enfants et petits-enfants, il explique qu’elle a été incendiée, et que les étages ne sont plus accessibles car les escaliers ont été détruits.

Shaabi était resté dans la maison quand le reste de la famille avait fui à Tyre pendant la guerre. Des travailleurs de la défense civile l’avaient finalement évacué en septembre dernier lorsque les attaques israéliennes sur le Liban se sont intensifiées, et il est parti rejoindre sa famille.

Sa maison était intacte quand il est parti, explique-t-il, et a été endommagée seulement pendant le cessez-le-feu. Aujourd’hui, le sous-sol et les étages sont carbonisés et toute la structure doit être soutenue pas des mâts.

« Ils ont des bulldozers », dit-il. « Ils sont venus à Naqoura avec des bulldozers, pour se venger. »

La famille a même retrouvé certains de leurs habits déchiquetés par des balles, vraisemblablement accrochés par les soldats israéliens auxquels ils ont servi de cibles.

Naqoura est une ville majoritairement shiite, groupe démographique au sein duquel le Hezbollah jouit traditionnellement d’un fort soutien. D’ailleurs, des drapeaux du Hezbollah étaient fichés dans les décombres de certains des bâtiments détruits de Naqoura.

Quoi qu’il en soit, la destruction des habitations et des infrastructures civiles est interdite par le droit international, et de nombreux Libanais considèrent cela comme étant des sanctions aveugles à l’encontre des communautés shiites du Liban.

« Tout le monde n’est pas du Hezbollah, » précise Shaabi. « Les shiites ne sont pas toujours du Hezbollah. »

« Mon village me manque »

Il était difficile pendant la guerre d’avoir des informations pour savoir si votre maison était toujours debout mais certains villageois, comme Reem Taher, ont trouvé un moyen d’obtenir contre paiement des images satellites régulières de leur quartier pour voir ce qui s’y passait.

Avant la guerre, Reem Taher dirigeait un salon d’esthéticiennes mais a dû fuir à Tyre quand le bombardement a commencé.

Les images qu’elle achetait montraient que sa maison était intacte, y compris le 26 novembre, le jour précédent le cessez-le-feu.

Mais à 11 heures le 27 novembre, elle a reçu un nouvel état des lieux. Après avoir survécu pendant un an de raids aériens israéliens, sa maison était maintenant en ruines.

« Ils ont fait sauter ma maison, rasé mon terrain, et se sont même amusés à abattre les arbres, » a-t-elle dit à Al Jazeera dans la maison qu’elle loue dans le quartier Hosh à Tyre, une zone qui a également subi sa part de destruction. Le bâtiment de l’autre côté de la rue avait été rasé.

« Prendre un café le matin devant la mer me manque. Les réunions et les soirées passées dans le jardin me manquent. L’appel à la prière de mon village, les nuits du ramadan …. la cueillette des clémentines me manquent.

« Tout ce qui a trait à mon village me manque – le coucher de soleil, les pins, et le scintillement de la mer au loin. »

« Ce cessez-le-feu est un mensonge »

Le 13 février, lorsque Al Jazeera s’est rendu à Naqoura, presque toutes les habitations avaient été réduites à des tas de décombres et les infrastructures étaient en ruines.

Les poteaux électriques avaient été arrachés du sol, l’école était criblée d’impacts de balles, et les carcasses de voitures brûlées abandonnées jonchaient le sol.

« Ils ont détruit la mosquée, le cimetière, et les infrastructures – routes, conduits d’eau, d’électricité. Tout ce qui procurait des moyens de subsistance, ils ont détruit, » a déclaré Reem Taher.

Certaines maisons avaient été réquisitionnées par des soldats israéliens, qui les ont laissées jonchées d’emballages alimentaires et de fournitures apportées d’Israël.

Les murs étaient couverts d’écritures en hébreu, principalement des horaires de quart. Mais sur un réfrigérateur, un soldat avait laissé un message : « Nous sommes venus chasser le mal»

Sanad, l’agence de vérification d’Al Jazeera, a comparé des images satellites du 3 décembre 2023 et du 19 janvier 2025.

Les images du 3 décembre montrent de nombreuses structures, dont la maison d’Awada et la mairie avec peu de dommages visibles. Les images du 19 janvier montrent des structures détruites, parmi lesquelles la maison d’Awada.

ACLED a enregistré 14 occurrences où l’armée israélienne a procédé à des explosions contrôlées et à la démolition de maisons par bulldozer à Naqoura entre le 11 décembre 2024 et le 6 janvier 2025. Selon leurs données, chaque incident impliquait plus d’une maison.

Assis sur ce qui restait de son porche, Shaabi fumait cigarette sur cigarette, entouré de sa famille – enfants et petits- enfants.

Pour beaucoup d’habitants de Naqoura, la promesse d’un cessez-le-feu a fait naître l’espoir du retour à la maison. Ils étaient loin de penser que leur maison serait endommagée ou détruite pendant le cessez-le-feu.

Entre deux bouffées, Shaabi dit, « Ce cessez-le-feu est un mensonge. »

18 février 2025 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – MJB

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