« Tout le monde est innocent à Gaza »

21 janvier 2025 - Rafah - Des Palestiniens cherchent désespérement les noms de leurs proches sur les listes de victimes affichées par le ministère palestinien de santé. Le cessez-le-feu est intervenu après 15 mois d'attaques israéliennes sur Gaza qui ont tué plus de 47 000 Palestiniens, des milliers d'autres étant toujours portés disparus sous les décombres, dans ce qui a été qualifié de génocide à l'encontre les Palestiniens de Gaza - Photo : Doaa Albaz / Activestills

Par Marie Schwab

« Hala, réveille-toi, la guerre est finie. » Mourad a beau caresser le visage de sa petite sœur, l’implorer, Hala ne se réveille pas, et ne se réveillera jamais.

La terre est orpheline de dizaines, de centaines de milliers d’existences à Gaza, et tous les cessez-le-feu du monde ne suffiront pas à les ressusciter.

Rien ne ramènera Hala à Mourad. À 10 ans, elle a survécu à trois guerres et à quinze mois de génocide ; elle a été assassinée hier matin par les bombes de l’occupant.

Rien ne ramènera Abdelaziz à sa maman Nour. Né sous les bombes, Abdelaziz a souffert de la faim dès le jour de sa naissance. Il est mort à 5 mois, de famine et de déshydratation, assassiné par le blocus génocidaire.

Rien ne ramènera Mouna à son fils Sabri, enlaçant son linceul, allongé contre elle sur le pick-up qui l’emporte au cimetière. À 15 ans, Sabri a survécu à quatre guerres, au bombardement de sa maison, au génocide, mais il a perdu sa mère.

Tous les cessez-le-feu du monde ne suffiront pas à combler la béance laissée par leur absence.

« Est-ce une étape vers la paix, ou juste un nouveau chapitre dans une histoire de déni de justice et de souffrance continus ? », interroge Afaf al-Najjar, journaliste à Gaza. « La paix n’est pas l’absence de guerre. Elle implique la justice. »

Retour au statu quo ante, probablement. Au 6 octobre, en pire.

Comment quelques centaines de camions d’aide vont-ils suffire à combler les besoins immenses de plus de 2 millions de personnes ? Souvenons-nous que le Rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation Michael Fakhri souligne qu’avant le 7 octobre, 50% des Palestiniens de Gaza étaient déjà en situation d’insécurité alimentaire.

Souvenons-nous aussi que le blocus n’a pas commencé en 2007 : le processus d’étranglement débute dès 1991, lorsque Israël impose des restrictions sur le flux des biens et des personnes depuis et vers Gaza.

C’est ainsi qu’en dépit de taux d’alphabétisation et de diplômés records, la Bande de Gaza connaissait aussi des taux de chômage et de pauvreté très élevés.

L’ONU évoque un processus de « dé-développement » : le développement est non seulement entravé, mais inversé.

Mary Robinson, juriste internationale et ancienne présidente irlandaise, note en 2008 que « l’ensemble de leur civilisation a été détruite. »

Dès 2006, l’historien israélien Ilan Pappé décrit l’oppression des Palestiniens comme un « génocide par paliers ». Et l’ONU, en 2018, qualifie la Bande de Gaza d’endroit « impropre à la vie ».

Interrogé sur ses souvenirs d’enfance en tant que chrétien, Munther Isaac, pasteur luthérien à Bethléem en Cisjordanie occupée, a beau chercher : tous ses souvenirs sont liés à la violence de l’occupation.

Son identité a été forgée par son histoire d’enfant palestinien né sous loi martiale, non par sa religion.

Depuis quatre générations, la vie des familles palestiniennes est définie par la violence coloniale, entièrement rythmée, de la naissance à la mort, par les assauts de l’occupation.

Chaque famille palestinienne connaît les emprisonnements arbitraires répétés, les coups et la torture qui vont systématiquement de pair.

Chaque famille palestinienne subit au quotidien les humiliations, l’oppression, la dépossession, l’arbitraire, le non-droit vs. la toute-puissance de l’occupant.

Avant le début du génocide, 80% des Palestiniens de la Bande de Gaza étaient des réfugiés, c’est-à-dire des personnes dépossédées de leur maison, leur ferme, leur verger, leurs terres, leur commerce, chassées et concentrées dans ce qui était devenu un « gigantesque camp de concentration », selon les termes du général génocidaire Giora Eiland, en 2004.

Toute révolte et initiative pacifique palestinienne est réprimée dans le sang par l’occupant.

Durant la première Intifada, l’armée d’occupation lance ses chars sur les adolescents jeteurs de pierres. « Brisez-leur les os », telle est la consigne d’Yitzhak Rabin, alors ministre de la défense. Il est pris au mot : 1500 jeunes Palestiniens sont assassinés.

Lors de la Marche du retour, en 2018, l’armée d’occupation assassine 300 jeunes manifestants sans armes, et rend infirmes 10 000 jeunes marcheurs.

Cependant, la résistance palestinienne n’aspire qu’à permettre au peuple de Palestine de vivre dans un Etat avec des droits de citoyen : mourir de mort naturelle, se nourrir à sa faim, voyager, pouvoir rassurer ses enfants sans leur mentir, pêcher, cultiver sa terre, s’endormir sereinement le soir, avoir des projets, des rêves.

« Tout le monde est innocent à Gaza », exprime le poète palestinien Mosab Abu Toha.

La parole de Husam Zomlot : « Notre histoire depuis un siècle est une litanie d’injustices, de négations des droits de notre peuple. C’est une histoire de souffrance, de dépossession, de lutte. Mais aussi d’espoir et de ténacité résiliente. Nous sommes toujours là, sur notre terre. Nous refusons d’être niés, nous refusons d’être vaincus. Nous appartenons à notre terre. La Palestine est notre patrie, notre histoire et notre avenir. »

Qu’est-ce qui mettra un terme à l’oppression des Palestiniens ? C’est simple : la fin de l’impunité, le droit. Rien n’est inévitable. Ni la poursuite du pire, ni son aggravation. Mais – si les nations n’ont pas bougé au plus fort du génocide, qu’est-ce qui pourrait les motiver ensuite ?

Hassan Abo Qamar, écrivain : « Cette année a brûlé mon âme. Mais même les cendres portent des graines. Quelque chose de nouveau a émergé en moi – une détermination à résister à toutes les tentatives d’effacer mes souvenirs, mon identité, mon peuple. Nous avons le devoir envers les martyrs de résister, de rester, de reconstruire et de vivre. Je ne suis plus l’homme que j’étais naguère, qui rêvait de quitter Gaza et de vivre une vie facile loin de chez moi. »

Je voudrais terminer par une pensée pour Ismaïl, qui soigne la plaie profonde d’un enfant en lui chantant des chansons, le faisant chanter et mimer les comptines.

Une pensée pour Youssef, qui prend la main de la petite Soubhiya, qui hurle de douleur, accroche son regard et lui chante doucement, longuement, des sourates de réconfort et d’apaisement.

Puissent Ismaïl, Youssef et tant d’autres redonner aux enfants de Gaza l’envie de vivre.

18 janvier 2025 – Transmis par l’auteure

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