Par Belen Fernandez
Israël a toujours soutenu les gouvernements les plus répressifs de la région pour étouffer les mouvements et soulèvements indigènes.
Selon un article de presse mexicain publié en mai, l’armée israélienne commencera à former les forces de police dans l’État du Chiapas, dans le sud-est du Mexique, où est basée l’armée de libération nationale zapatiste à prédominance indigène.
Yaron Yugman, représentant du ministère israélien de la Défense au Mexique, au Honduras et en République dominicaine, est cité comme affirmant que “la sécurité d’un pays est fondamentale pour sa croissance” et que les droits de l’homme seraient l’un des axes de l’instruction militaire.
Bien sûr, la “sécurité” et la “croissance” ne sont pas des luxes généralement destinés aux groupes autochtones nationaux. Un article publié en mai dans The Electronic Intifada rappelle les conséquences du soulèvement zapatiste de 1994, qui a coïncidé avec l’inauguration de l’Accord de libre-échange nord-américain :
“Le gouvernement mexicain a dû répondre aux diktats des investisseurs étrangers, comme l’a révélé un mémo célèbre de la Chase-Manhattan Bank : ‘Bien que le Chiapas, à notre avis, ne constitue pas une menace fondamentale pour la stabilité politique mexicaine, il doit être perçu comme tel et le gouvernement devra éliminer les zapatistes pour prouver son contrôle effectif du territoire national et de la politique de sécurité’.”
En ce qui concerne la prétendue “concentration” sur les droits de l’homme, l’expertise d’Israël en matière d’oppression des populations autochtones et d’atteinte à la dignité se trouve être nettement plus commercialisable…
L’ambassade d’Israël au Mexique aurait nié les machinations militaires dans le sud-est, mais même Fox News Latino n’est pas convaincu :
“Le refus de l’ambassade d’Israël de reconnaître que son gouvernement travaille au Chiapas est déroutant, étant donné la longue histoire que le gouvernement israélien a de travailler avec le Mexique. Depuis le début des années 70, le gouvernement mexicain a acheté des avions, des hélicoptères, des bateaux lance-missiles, des armes légères et d’autres armes, soit à l’armée israélienne, soit à des entrepreneurs militaires israéliens.”
Contributions au génocide
Les Mayas indigènes du Mexique ne sont pas le seul groupe à se retrouver dans le viseur de l’arsenal israélien.
Dans un courriel qui m’avait été adressé, l’auteur et historien de renom Greg Grandin a décrit un épisode précédent d’une telle intervention régionale de “bienfaisance” :
“Au Guatemala [dans la guerre civile], Israël, agissant au nom de l’administration Reagan, est intervenu pour fournir du matériel militaire – dont des hélicoptères et des fusils Galil – et une formation qui avait été interrompue pendant la précédente administration Carter. Israël a également fourni [le régime guatémaltèque avec] des ordinateurs, des logiciels et d’autres équipements utilisés pour la surveillance. C’était au plus fort du génocide, qui a finalement fait 200 000 morts, dont de nombreux Mayas.”
Le journaliste d’investigation Jeremy Bigwood, qui en tant que photojournaliste a couvert les guerres civiles latino-américaines dans les années 1980 et 1990, a confirmé que les Israéliens avaient “trempé jusqu’aux oreilles dans le génocide” au Guatemala. Il a déclaré que les Israéliens avaient fourni aux militaires des avions Arava STOL et des véhicules blindés de transport de troupes, et établi une usine de munitions dans la ville de Coban.
Bigwood a ajouté: “Les Israéliens ont utilisé une capture des communications téléphonique – similaire à ce que la NSA fait actuellement – et ont réussi à détruire complètement les réseaux de guérilleros urbains guatémaltèques. Ils ont fourni aussi une assistance dans les campagnes en cartographiant chaque ferme familiale et en marquant les opinions politiques de ses habitants.”
Un rapport de 2012 intitulé Israël’s Worldwide Role in Repression rédigé par International Jewish Anti-Sionist Network note que la vaste expérience d’Israël dans le déplacement forcé des Palestiniens a permis à l’État d’aider à la planification et à la mise en œuvre de politiques de la “terre brûlée” au Guatemala et au Salvador.
Selon le rapport, les opérations guatémaltèques “ont été combinées avec des ‘pôles de développement’ – des villages où sont concentrées des populations déplacées et qui ont permis un plus grand contrôle gouvernemental sur le mouvement populaire et la répression de toute organisation populaire”.
En revenant plus lin dans le temps, un article de 1986 du Middle East Research and Information Project cite un ancien membre du comité des affaires étrangères de la Knesset qui défend l’implication israélienne au Guatemala : “Israël est un État paria. Quand les gens nous demandent quelque chose, nous ne pouvons pas nous permettre de poser des questions sur l’idéologie. Le seul type de régime qu’Israël n’aiderait pas serait celui qui est anti-américain”.
Du laboratoire palestinien à la “piste terroriste” israélienne
Un avantage à être forcé de se conformer “[quand] les gens nous demandent quelque chose”, évidemment, est que des profits considérables accompagnent les ventes d’armes.
En ce qui concerne la présumée position de paria d’Israël, ceci est apparemment contredit par l’article de Bigwood de 2003 pour Al Jazeera, Israel’s Latin American trail of terror [la piste terroriste latino-américaine d’Israël], dans lequel il énumère les pays de la région où Israël a fourni, formé et conseillé des groupes et des régimes d’extrême-droite: l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, la République dominicaine, l’Équateur, le Salvador, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, le Pérou et le Venezuela. Voilà ce qu’il en est du statut de paria…
L’aspect négligeable de l’idéologie est confirmé dans l’article de Bigwood par le soutien d’Israël à la guerre sale de la junte militaire argentine de 1976-1983 – qui a été caractérisée par des disparitions forcées massives et un usage généralisée de la torture – malgré, comme le note Bigwood, l’orientation antisémite de la junte. Un chevauchement idéologique est cependant observé dans le cas de la Colombie, où le président Juan Manuel Santos n’est pas seulement apparu dans une vidéo promotionnelle pour une société de sécurité privée israélienne, mais a également annoncé : “Nous avons même été accusés d’être les Israélites [sic ] d’Amérique latine, ce qui me rend personnellement très fier.”
A part d’attester la maladresse de Santos, cette déclaration est particulièrement pertinente étant donné que Carlos Castano – le fondateur du paramilitarisme colombien moderne – a été formé en Israël et a reconnu avoir copié le concept paramilitaire des Israéliens.
Le passe-temps de prédilection d’Israël – la punition collective – s’est, semble-t-il, révélé particulièrement instructif. Bien que officiellement dissous, les paramilitaires colombiens continuent de terroriser les populations civiles, souvent de concert avec les militaires – eux-mêmes célèbres pour avoir massacré des civils et déguisé les cadavres en guérilleros antigouvernementaux. L’un des principaux objectifs de ce terrorisme à grande échelle est de vider la terre des groupes autochtones, des campesinos et autres personnes dont l’existence entrave la bonne exploitation des ressources.
Au Chiapas, dans le même temps, le mouvement indigène a, avec vigueur, mis en péril le déploiement du néolibéralisme. L’article d’Electronic Intifada explique: “Les Zapatistes ont repris de vastes étendues de terres [du gouvernement] sur lesquelles ils ont depuis construit des coopératives de subsistance, des écoles autonomes, des cliniques collectivisées et d’autres structures communautaires démocratiques.”
John Collins, président du Département des études mondiales à l’Université St Lawrence de New York, décrit la collaboration militaire israélienne avec le gouvernement mexicain du Chiapas comme “une preuve supplémentaire de la façon dont les outils de surveillance et de répression testés sur le terrain chez les Palestiniens sont utilisés à travers le monde”, citant l’appréciation de l’anthropologue israélien Jeff Halper selon laquelle “[l]’économie israélienne est basée sur l’exportation de l’occupation [de la Palestine]”.
Bien qu’Israël puisse affirmer que “la sécurité d’un pays est fondamentale pour sa croissance”, le fait est que c’est l’insécurité mondiale qui est fondamentale pour la croissance d’Israël.
Auteur : Belen Fernandez
* Belen Fernandez est l'auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine. Il est possible de la suivre sur Twitter: @MariaBelen_Fdez
7 juillet 2013 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine