Trump et Netanyahu seront-ils assez déments pour lancer une guerre contre l’Iran ?

L'Iran s'est doté de capacités considérables dans le cadre d'une approche stratégique avisée qui lui a permis de conserver son statut de poids lourd régional en dépit des contraintes et série d'embargos - Photo : Archives

Par Mitchell Plitnick

Les récentes et agressives mesures prises par l’administration Trump visent clairement à menacer l’Iran. Bien que cette pression puisse être une tentative d’intimider l’Iran pour qu’il fasse des concessions sur le plan de son programme nucléaire, la menace d’une guerre totale semble croître de jour en jour.

Alors qu’Israël continue de faire monter la tension et la colère dans le monde arabe avec l’escalade de son génocide à Gaza, ses attaques délibérées et sans justification contre le Liban et la Syrie, ainsi que son agression croissante en Cisjordanie, les États-Unis jouent un jeu très dangereux avec l’Iran.

Les États-Unis ont renforcé leur présence au Moyen-Orient, les déploiements atteignant des sommets ces dernières semaines.

De nombreux équipements semblent avoir été transférés vers les bases américaines du Qatar, de Bahreïn, des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite, du Koweït et de la Jordanie.

Plus inquiétant encore, les États-Unis ont également envoyé au moins six bombardiers B-2 sur leur base de l’île de Diego Garcia, dans l’océan Indien.

Le B-2 est l’avion utilisé pour larguer la dernière version des bombes dites « bunker buster », qui sont conçues pour pénétrer profondément dans le sol et menacer les installations nucléaires souterraines de l’Iran d’une manière dont Israël n’est pas capable.

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Trump prépare-t-il une attaque ou se contente-t-il de gesticuler ?

Donald Trump utilise très clairement ces nouveaux déploiements pour menacer l’Iran. Mais a-t-il l’intention de lancer une attaque massive ou tente-t-il d’effrayer l’Iran pour qu’il cède à ses exigences concernant son programme nucléaire ?

Comme d’habitude avec Trump, il se peut qu’il n’y ait pas de grand dessein à l’œuvre ici, et les signaux qu’il envoie sont contrastés.

Les États arabes du Golfe ont réitéré leur rejet absolu de l’utilisation de leur espace aérien pour attaquer l’Iran. Cela reste une sorte de moyen de dissuader Trump.

Pourtant, ce refus est exactement ce qui rend le déploiement des B-2 à Diego Garcia si inquiétant. Cette île se trouve dans l’océan Indien, à environ 4000 kilomètres de l’Iran. Les avions lancés depuis cette base n’ont pas besoin de survoler l’espace aérien arabe pour atteindre l’Iran.

Le vol serait également plus long au-dessus de l’espace aérien iranien, mais le B-2 est doté d’une technologie furtive avancée, ce qui rendra sa détection et son ciblage plus malaisés pour les défenses aériennes iraniennes.

Le déploiement de troupes et de matériel supplémentaires dans les bases aériennes américaines est probablement effectué en prévision de représailles iraniennes en cas d’attaque, et il est peu probable que l’Iran riposte par une attaque contre Diego Garcia, compte tenu de son éloignement des forces iraniennes.

Il est plus probable que l’Iran attaque en représailles des bases américaines dans le Golfe. Dans ce cas, la détermination des pays arabes à interdire les attaques lancées depuis leur territoire risque de s’estomper. Si l’Iran décidait de riposter en attaquant les champs pétroliers des pays arabes du Golfe – une réponse qui serait probablement ressentie plus vivement à Washington qu’une attaque contre ses troupes – il est encore plus probable qu’il n’y aurait aucune retenue sur une réaction américaine.

De plus, même si le refus arabe persistait, les États-Unis seraient très susceptibles de n’en tenir aucun compte.

Compte tenu de tout ce qui précède, il y a tout lieu de croire que l’administration Trump se prépare à la guerre.

Trump essaie-t-il de forcer l’Iran à faire des concessions ?

Il y a également des signes indiquant que Trump pourrait faire tout cela pour que l’Iran cède à ses exigences. Il y a de bonnes raisons pour qu’il veuille éviter une attaque à grande échelle contre l’Iran.

Trump se présente comme le président anti-guerre, ce que nous pouvons facilement considérer comme un non-sens. Mais son soutien vient pour une bonne part de secteurs qui, bien qu’adorant voir les États-Unis bombarder des gens sans défense au Yémen, sont très fortement opposés à l’idée de voir des soldats américains se battre et mourir dans des guerres au Moyen-Orient dans lesquelles ils voient peu d’avantages pour les États-Unis.

Aussi lâche que soit cette attitude (il est normal de tuer des civils étrangers tant qu’aucun Américain ne verse son sang), elle semble faire souci à Trump.

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Lundi, alors que cette mobilisation militaire massive atteignait son paroxysme, Trump a annoncé qu’il se rendrait en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et au Qatar en mai. Le moment choisi pour ce voyage semble étrange s’il a l’intention de littéralement mettre le feu au Golfe en attaquant l’Iran.

En effet, Trump a fixé à l’Iran un délai de deux mois à la mi-mars pour accepter de démanteler ses capacités nucléaires. L’avertissement était vague ; Trump n’a pas précisé quand le compte à rebours des deux mois commencerait, et il n’a pas clarifié ce qu’il recherchait exactement dans un nouvel accord sur le nucléaire.

L’Iran a rejeté les négociations sous la menace d’une attaque et les pourparlers directs avec l’administration Trump en général. Cependant, Téhéran s’est montré ouvert à des pourparlers indirects avec Washington.

Trump envisagerait sérieusement des pourparlers indirects. Ce n’est pas sa méthode préférée, car elle lui donne moins l’occasion d’occuper le devant de la scène. Mais il est probablement conscient du fait qu’il peut prétendre avoir obtenu des concessions de l’Iran par sa « démonstration de force », que cela conduise à des pourparlers directs ou indirects. Un éventuel résultat, même indirect, l’intéressera davantage.

L’Iran n’est pas non plus dupe de cette tactique. Lundi, Ali Larijani, conseiller principal du guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré à la télévision iranienne que la République islamique « reconsidérerait » sa position sur les armes nucléaires si elle était confrontée à une force écrasante.

Cela implique que le guide suprême envisagerait de révoquer sa fatwa contre les armes nucléaires.

Larijani est un dirigeant relativement modéré, quelqu’un qui a toujours fait preuve de pragmatisme et qui a été moins enclin à la rhétorique enflammée qui a tendance à être employée par les partisans de la ligne dure au sein du gouvernement iranien. Il y a donc beaucoup à interpréter dans le fait que c’est lui qui a fait cette déclaration.

Larijani a réitéré que l’Iran n’avait actuellement aucun programme d’armement nucléaire. Il est essentiel de noter que cela reste la conclusion de la communauté du renseignement des États-Unis.

Bien que cela n’ait pas été largement diffusé, la directrice du renseignement national, Tulsi Gabbard, a déclaré lors de son témoignage devant le Congrès le 25 mars : « La communauté du renseignement continue d’estimer que l’Iran ne construit pas d’arme nucléaire et que le guide suprême Khamenei n’a pas autorisé le programme d’armement nucléaire qu’il a suspendu en 2003. »

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L’Iran a cependant enrichi l’uranium jusqu’à 60 %. L’uranium de qualité militaire est enrichi à 90 %, mais il n’est pas nécessaire de l’enrichir à 60 % pour un usage civil.

L’Iran a également cessé de coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ces deux mesures ont été prises en réponse à l’abrogation unilatérale par les États-Unis de l’accord nucléaire de 2015 et à la politique de « pression maximale » qui a suivi, y compris les sanctions paralysantes, qui ont été imposées à l’Iran sous Trump et Joe Biden.

L’avertissement de Larijani selon lequel l’Iran pourrait envisager de se doter d’une arme nucléaire peut être interprété comme une tentative de forcer Trump à adopter une position plus rationnelle si la guerre est évitée par un accord.

Israël comme boutefeu

Les dangers de ce genre de postures mutuelles sont évidents. Un faux pas, un malentendu ou un autre acteur déclenchant un incident qui pourrait déclencher une guerre est beaucoup plus probable dans une atmosphère chargée d’autant d’armes et de fanfaronnades. Et avec autant de bravade dans l’air, même si un conflit commence par accident, il sera difficile de se retirer du bord du gouffre.

Plusieurs acteurs potentiels pourraient être impliqués dans le déclenchement de cette poudrière. Le plus évident est Israël, où Benjamin Netanyahu fait pression depuis quatre décennies pour une guerre de changement de régime contre Téhéran.

D’autres acteurs non étatiques qui considèrent les États-Unis et l’Iran comme des ennemis pourraient également trouver des moyens de déclencher un conflit.

Trump a indiqué jeudi que Netanyahu pourrait venir à Washington dès la semaine prochaine. Que ce soit en personne ou par téléphone, nous pouvons être sûrs que le Premier ministre israélien fera tout ce qu’il peut pour convaincre Trump de frapper durement et rapidement les installations nucléaires iraniennes.

Ironiquement, certaines des voix de l’administration Trump qui ont le plus insisté pour une réponse militaire à l’Iran ont subi un revers surprenant jeudi.

L’ultra-réactionnaire Laura Loomer a obtenu une audience avec Donald Trump, à laquelle a également assisté le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz. Waltz est bien sûr sur un terrain instable avec Trump depuis qu’il a ajouté le rédacteur en chef de The Atlantic, Jeffrey Goldberg, à un groupe de discussion Signal qui discutait en temps réel d’une attaque contre le Yémen, y compris des crimes de guerre flagrants.

Waltz et une grande partie de son équipe du NSC sont de fervents partisans d’attaquer l’Iran. Ils ne partagent pas la prétendue inclinaison de Trump à éviter les guerres étrangères. Loomer, pour une raison quelconque, a décidé qu’elle allait montrer sa loyauté envers Trump en dénonçant et en demandant le licenciement des « néoconservateurs » de son administration.

Le lendemain, trois membres éminents du personnel de Waltz, Brian Walsh, Thomas Boodry et David Feith, fils de Douglas Feith, éminent néoconservateur et ancien sous-secrétaire à la Défense de George W. Bush, ont été licenciés. Tous trois étaient, comme Waltz, partisans d’une action militaire contre l’Iran, une politique que beaucoup d’« America Firsters » n’apprécient pas.

Si le fait de faire taire ces voix réduit la pression sur Trump pour qu’il entre en guerre avec l’Iran, cela n’a pas entraîné d’inversion des préparatifs et des déploiements de guerre. Mais cela renforce l’impression que, du moins pour le moment, Trump pourrait être enclin à vouloir trouver un moyen de forcer l’Iran à céder à ses demandes sans attaque à grande échelle.

Netanyahu fera certainement tout ce qu’il peut pour dissuader Trump de cette voie. Sera-t-il capable de faire changer d’avis Trump ?

Cela dépend vraiment de ce que Trump considère exactement comme une victoire sur l’Iran. Si Trump peut obtenir ce qu’il veut sans guerre, il pourrait bien choisir cette voie, bien qu’il puisse être disposé à aider Israël dans ce qui serait inévitablement une attaque de moindre envergure.

Le problème est que, à part empêcher l’Iran de se doter d’une arme nucléaire qui n’existe pas, nous ne savons pas ce que Trump attend de Téhéran.

Veut-il le démantèlement complet de l’ensemble du secteur nucléaire iranien, y compris les installations civiles ? L’Iran dépend de l’énergie nucléaire pour une part importante de sa consommation énergétique nationale, ce qui aurait donc un impact économique et social énorme. Et forcément, Téhéran ne sera pas d’accord.

Trump insistera-t-il pour que l’Iran mette un terme aux attaques d’Ansar Allah au Yémen ? La question de savoir si l’Iran en est même capable reste ouverte.

Trump exigera-t-il des concessions majeures sur le programme de missiles balistiques de l’Iran ? Il semble peu probable que l’Iran prenne le risque de diminuer ses capacités en matière d’armes conventionnelles face à une hostilité aussi forte et déclarée de la part des États-Unis et d’Israël.

Mais si Trump se contente d’obtenir de l’Iran qu’il limite son programme d’enrichissement de l’uranium et accorde à nouveau un accès total aux inspecteurs de l’AIEA, qu’il ferme certaines de ses installations d’enrichissement les plus avancées et, en bref, qu’il accepte quelque chose qui ressemble à l’ancien accord sur le nucléaire avec quelques détails marginaux ajoutés pour permettre à Trump de prétendre qu’il a obtenu un meilleur accord que Barack Obama, il pourrait ne pas déclencher une guerre générale.

Comme c’est souvent le cas avec Trump, tout peut dépendre de ses lubies du moment, et cela change d’un jour à l’autre.

5 avril 2025 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine

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