Par Marwan Bishara
Les supporters de Donald Trump considèrent le président américain comme une force brute unique en son genre – un chef sui generis. Ses détracteurs aiment le comparer au président russe Vladimir Poutine ou le présenter comme un larbin de Poutine, et depuis qu’il a ordonné l’assassinat “vengeur” ou “téméraire” du général iranien Qassim Solemani, certains l’ont comparé à un despote moyen-oriental.
Mais une comparaison plus pertinente doit être faite.
Depuis son entrée en fonction en janvier 2017, les positions et déclarations de Trump sur le Moyen-Orient et au-delà ont choqué et consterné une grande partie de l’establishment de la politique étrangère américaine, en particulier sur trois principaux défis auxquels les États-Unis sont confrontés dans la région : la sécurité, la diplomatie et la démocratie et les droits de l’homme.
Trump a non seulement liquidé une grande part de l’héritage de son prédécesseur, tant au niveau national qu’international, mais il a également envoyé aux oubliettes la doctrine et les politiques de Barack Obama, le tout en faveur du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Au cours des trois dernières années, il a quasi-fusionné les stratégies américaines et israéliennes, en particulier à l’égard de l’Iran et de la “guerre contre le terrorisme” à l’échelle mondiale, alors qu’Obama a passé huit ans à vouloir les séparer.
Cela ne veut pas dire qu’Obama n’était pas un fervent partisan d’Israël et un défenseur de sa “sécurité” ou qu’il avait des réticences à appliquer le programme américain d’assassinats par drones. Il était certainement tout cela. Tout simplement, il n’aimait pas Netanyahu et son esprit tordu et trompeur.
Obama a tenté de renoué avec une politique américaine plus indépendante, exempte des contraintes et des considérations étroites d’Israël, après huit ans de guerres et de bévues de l’administration Bush dans la région.
En revanche, Trump a adopté tous les points de vue de Netanyahu dès qu’il est entré à la Maison Blanche.
Il n’était pas indifférent que les deux hommes aient beaucoup plus de choses en commun que ce que l’on distingue au premier coup d’œil.
Étranges similitudes
Les deux hommes ont été trois fois mariés avec des antécédents d’adultère, font face à des accusations d’utilisation abusive de leur fonction officielle à des fins personnelles et ont une relation problématique avec la vérité.
Et malgré cela, Netanyahu et Trump restent très populaires auprès de leur base d’ultra-droite.
Même les fanatiques religieux, à la fois en Israël et aux États-Unis, considèrent ces deux dirigeants laïques sans inhibitions et sans moralité, comme des récipiendaires d’une volonté divine sur terre.
Les deux sont des bateleurs de foire avec de réelles capacités, qui appliquent et maîtrisent des politiques démagogiques, théâtrales et clivantes, qui ont rallié leurs électorat fascisants autour de leurs personnages populistes.
Mais le plus important dans ce contexte, c’est que Trump a poursuivi les mêmes objectifs sécuritaires ultra-nationalistes, certains disent racistes, que Netanyahu a longtemps défendus en Israël et au Moyen-Orient.
C’est particulièrement important aujourd’hui, car les deux commandants en chef exploitent leur politique étrangère pour détourner l’attention de leurs problèmes intérieurs et leurs démêlés avec la loi.
S’aligner sur les positions de Netanyahu
Les connaissances de Trump sur le Moyen-Orient étaient lamentables avant son entrée en fonction. C’était une page vide prête à être remplie, mais uniquement avec les idées qui ont aidé à guider et à propulser sa campagne présidentielle vers la victoire, telles que les atteintes aux droits des immigrants et des minorités, l’interdiction aux musulmans de voyager aux États-Unis et tout ce qui était anti-Obama.
Un certain nombre de despotes du Moyen-Orient comme ceux de l’Égypte et des Émirats arabes unis ont tenté de remplir certains des blancs. Mais personne n’avait la capacité, le style, les antécédents et la diligence de Netanyahu, qui avait également un accès totalement libre au président élu par le biais de ses trois lieutenants ultra-sionistes, Jared Kushner, Jason Greenblatt et David Friedman.
La première de ces idées a été l’éloignement radical d’un quart de siècle de politique américaine envers Israël et la Palestine, à savoir déplacer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, reconnaître une légitimité aux colonies juives illégales dans les terres palestiniennes occupées, abandonner la solution à deux États et avaliser une souveraineté israélienne sur les hauteurs du Golan syrien occupé.
C’était le rêve de Netanyahu qui devenait réalité.
Trump s’est également totalement aligné sur le point de vue de Netanyahu à l’égard du monde arabe, en appuyant des despotes et dictateurs amis contre la démocratie et les droits de l’homme. Il a aligné la politique américaine à l’égard du Golfe et des affaires arabes sur les intérêts de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Égypte et a développé une relation privilégiée avec le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman malgré ses politiques à haut risque au niveau national et régional – le tout dans l’espoir d’ouvrir la voie à une normalisation arabe des relations avec l’entité “colonial” israélienne.
Un autre rêve de Netanyahu se réalisait.
Attaquer l’Iran
Nulle part l’influence de Netanyahu sur Trump n’a été plus évidente que sur l’Iran.
L’administration Trump a abandonné l’accord sur le nucléaire iranien contre l’avis et les appels de ses alliés de l’OTAN, la Russie et la Chine.
Il a ensuite poursuivi une politique d’endiguement par le biais de dures sanctions économiques – une option qui n’était pas dans les moyens d’Israël – afin de forcer l’Iran vers un nouvel accord humiliant qui non seulement interdirait toute son activité nucléaire, mais limiterait également sa portée militaire et régionale.
Comme cette pression maximale n’a pas produit les résultats escomptés, et que l’Iran poursuivait ses politiques régionales estimées belliqueuses, Trump a adopté les moyens préconisés par Netanyahu, à commencer par l’assassinat de Soleimani, largement considéré comme une “déclaration de guerre” aux conséquences incommensurables pour la région.
Israël a déjà procédé à des assassinats ciblés et à des frappes préventives contre des cibles iraniennes en Syrie, et en 2013, il a été accusé d’être à l’origine du meurtre d’un autre général des gardiens de la révolution, Hassan Shateri.
Pour être clair, Trump n’a pas ordonné l’assassinat pour venger la mort de Syriens et d’Irakiens; il l’a fait pour dissuader l’Iran de résister aux intérêts et aux alliés américains.
Bien que Netanyahu ait essayé de prendre ses distances avec l’assassinat ciblé du général iranien en Irak, ne vous y trompez pas, il s’agit d’un troisième rêve de Netanyahu devenu réalité, en l’espace de trois ans. Il aurait été le seul leader mondial à avoir eu connaissance à l’avance de l’assassinat prévu.
Crise régionale
Rien n’est plus satisfaisant pour un dirigeant israélien que de voir les États-Unis adopter la stratégie d’Israël et mener les guerres dans la région pour le compte d’Israël. Et rien n’est plus dangereux pour le reste du monde – nous savons tous comment le dernier conflit provoqué par Tel Aviv s’est terminé de façon catastrophique en Irak.
La dernière chose que tout dirigeant israélien souhaite, c’est que les États-Unis se retirent de la région, laissant Israël se débrouiller seul dans un environnement hostile. Il en va de même pour l’Arabie saoudite.
C’est pourquoi il est important de souligner que même si l’administration Trump peut chercher à repositionner ses forces hors des points chauds du Moyen-Orient, y compris en Irak (tout comme Israël à dû se redéployer hors du Liban et de Gaza), les États-Unis maintiendront toujours une formidable implantation de forces dans toute la région.
La question est de savoir si cette stratégie conduira à une future diplomatie américaine – du type de celle qui a servi les intérêts d’Israël pendant le soi-disant “processus de paix” – ou si elle conduira à une nouvelle escalade de la violence et de la guerre ?
Hélas, les annonces et spéculations persistantes au sujet d’attaques imminentes, de contre-attaques, de réponses disproportionnées et de bombardements de sites culturels n’augurent rien de bon pour la diplomatie.
Avec des flottes navales, des bases militaires et quelque 60 000 soldats déployés autour de l’Iran et dans tout le Moyen-Orient, l’administration Trump pourrait poursuivre une stratégie air-terre-mer semblable à celle d’Israël, à base de drones, d’avions de chasse, de missiles guidés, de cyberattaques, d’attaques sur le terrain par des forces spéciales, d’assassinats ciblé qui épuiseront ses ennemis et déstabiliseront la région dans son ensemble.
Ce serait un autre rêve de Netanyahu devenu réalité et un autre cauchemar pour le Moyen-Orient.
Auteur : Marwan Bishara
* Marwan Bishara est analyste politique à Al Jazeera. Il était auparavant professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris. Auteur prolifique sur la politique mondiale, il est largement considéré comme une autorité de premier plan sur le Moyen-Orient et les affaires internationales. Son compte Twitter.
7 janvier 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine