RAFAH, bande de Gaza – Le 3 juillet, neuf travailleurs palestiniens ont été pris au piège après que l’armée égyptienne a détruit un tunnel servant à la contrebande de marchandises commerciales sous la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte. Après plusieurs heures sans contact, les travailleurs ont finalement été retrouvés et secourus.
Ni les autorités égyptiennes, ni les autorités palestiniennes n’ont donné plus de détails sur l’incident ; néanmoins, l’armée égyptienne mène toujours une campagne contre les tunnels à la frontière avec Gaza, qu’elle considère comme des itinéraires de contrebande d’armes et de terroristes à destination et en provenance du Sinaï.
Bien que le ministère de l’Intérieur du Hamas ait établi une zone tampon à la frontière avec l’Égypte en juin 2017 dans le cadre de la coordination en matière de sécurité entre le mouvement et l’Égypte, des contrebandiers continuent d’opérer depuis Gaza. Les tunnels constituent des axes vitaux pour l’approvisionnement en nourriture et en fournitures médicales de la bande de Gaza, assiégée depuis 2006.
« Les tunnels frontaliers sont encore nécessaires pour obtenir certains produits qu’Israël ne laisse pas passer au poste-frontière de Kerem Shalom, le seul poste-frontière commercial fonctionnel », a déclaré Ismail (pseudonyme), qui travaille dans un tunnel commercial à la frontière entre Gaza et l’Égypte, à Al-Monitor.
Le 9 juillet, Israël a décidé d’imposer de nouvelles sanctions au Hamas à Gaza en fermant le poste-frontière de Kerem Shalom et en réduisant la zone de pêche de 9 à 6 milles marins, en réponse aux cerfs-volants enflammés déployés depuis Gaza en direction d’Israël.
Ismail a expliqué la méthode d’exploitation des tunnels : « Après que l’armée égyptienne s’est fortement mobilisée à la frontière, nous avons prolongé le tunnel d’une moyenne de 3 kilomètres pour passer derrière les points de convergence de l’armée égyptienne ».
« Nous faisons passer en contrebande des cigarettes, certains types de fournitures médicales, des motos et leurs pièces détachées ainsi que d’autres pièces détachées pour différents types de machines dont Israël empêche l’entrée via le poste frontalier commercial, a poursuivi Ismail. Par exemple, certains médicaments cosmétiques sont vendus à bas prix en Égypte comparés aux produits israéliens exportés. Nous introduisons ces marchandises en contrebande à la demande de sociétés médicales de Gaza. »
Ismail et ses collègues ont échappé de justesse à la mort lorsque l’armée égyptienne a découvert le tunnel qu’ils utilisaient pour leurs activités de contrebande en juin. « L’armée égyptienne a déversé une grande quantité d’eau pendant dix heures d’affilée. Sans les nouvelles ouvertures du tunnel, nous serions morts sous la pression de l’eau, car nous pouvions à peine garder la tête hors de l’eau », a-t-il raconté. Les travailleurs ont pu drainer l’eau du tunnel en béton, construit en 2006, pour le réutiliser.
« Depuis 2013, l’armée égyptienne a arrêté de nombreux travailleurs palestiniens, dont certains ont comparu devant un tribunal égyptien alors que d’autres sont toujours derrière les barreaux dans l’attente de leur procès », a-t-il indiqué.
Lorsque le président égyptien Mohammed Morsi a été évincé en 2013, le Hamas a perdu le soutien crucial des Frères musulmans, auxquels Morsi est affilié. Le mouvement a également souffert des restrictions économiques imposées par l’Autorité palestinienne depuis avril 2017.
Les contrebandiers sont également confrontés à des problèmes de l’autre côté. « La frontière n’est plus la même. Le gouvernement du Hamas la surveille plus que jamais. Par le passé, de nombreux autres tunnels fonctionnaient, la contrebande était en plein essor et il n’y avait pas de zone tampon pour dévoiler nos mouvements. Cependant, aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur a érigé des tentes tout autour de la frontière. Chaque tente abrite un comité chargé de fouiller les marchandises entrant dans les tunnels, de laisser passer les travailleurs et de collecter des taxes », a expliqué Ismail.
« Afin d’éviter de payer des taxes au Hamas, qui ont grimpé à 100 % pour les paquets de cigarettes, nous devons creuser des tunnels vers l’intérieur de l’enclave et la ville palestinienne de Rafah pour éviter les points d’inspection. Mais d’autres marchands ont étendu les tunnels jusqu’à l’intérieur de la ville pour faire passer plus produits de contrebande. »
Depuis 2013, l’armée égyptienne exerce une violente répression contre les groupes militants dans le Sinaï Nord, dont la branche égyptienne de l’État islamique, que l’armée estime être responsable d’un grand nombre d’attaques sanglantes en Égypte.
Ismail a noté que certains individus originaires de la bande de Gaza étaient passés par les tunnels pour rejoindre le groupe État islamique dans le Sinaï. Dernièrement, pendant le ramadan, 15 personnes ont emprunté le tunnel en direction du Sinaï, a-t-il affirmé. « Certains individus à Gaza qui étaient déjà en contact avec l’État islamique dans le Sinaï ont réussi à passer.
Rejoindre le groupe était devenu le but de leur vie après la perte de leurs espoirs face aux conditions de vie à Gaza », a-t-il expliqué.
En janvier, le ministère gazaoui de l’Intérieur a publié les aveux de deux membres de l’État islamique arrêtés à leur retour à Gaza depuis le Sinaï. Les deux suspects ont révélé les méthodes employées par le groupe pour intercepter les équipements et les marchandises dans les tunnels.
Mohammed (autre pseudonyme), un travailleur employé dans les tunnels et originaire de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, s’est également entretenu avec Al-Monitor : « Notre travail est devenu plus difficile et plus dangereux depuis que les tunnels ont été allongés. En échange, les propriétaires des tunnels et les marchands – dont certains sont affiliés à des partis politiques – ne nous payent que 100 shekels [environ 23,75 euros] par jour. Au moment où les tunnels étaient en plein essor, avant le renversement du président Morsi en 2013, nous recevions en moyenne un peu plus de 100 euros par jour. »
« Les tunnels sont une source importante de taxes gouvernementales à Gaza, notamment à travers les taxes sur les cigarettes et le tabac à chicha, des produits pour lesquels la demande ne cesse d’augmenter puisque seuls certains types entrent depuis Israël et en petite quantité », a indiqué Mazen al-Ajlah, économiste, à Al-Monitor.
« Si le camp israélien [ferme Kerem Shalom] pendant longtemps, cela nous ramènera au début du blocus en 2007. Cela entraînera une pénurie d’offre et un accroissement de la demande de marchandises », a ajouté Ajlah.
Cependant, a-t-il ajouté, le faible nombre de tunnels ne suffit pas à répondre à tous les besoins de Gaza, surtout si les marchandises ne peuvent plus entrer par la porte de Saladin à Rafah, que l’armée égyptienne ouvre par intermittence.
* Hana Salah est journaliste spécialisée dans le domaine financier et basée à Gaza. Elle a au préalable travaillé pour l’agence de presse Anadolu.
Articles de la même auteure.
11 juillet 2018 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Valentin B.