
31 mars 2025 - Les familles et les collègues de huit travailleurs du Croissant-Rouge palestinien tués par les forces coloniales israéliennes sont en deuil alors que les corps ont finalement été récupérés et transportés à l'hôpital Nasser de Khan Yunis. Les secouristes ont été tués le 23 mars alors qu'ils intervenaient suite au bombardement israélien du quartier d'Al-Hashasheen à Rafah. L'équipe était composée de neuf ambulanciers et de six travailleurs de la défense civile. Un ambulancier, Asaad Al-Nsasra, est toujours porté disparu et son corps aurait été enlevé par les forces coloniales israéliennes - Photo : Doaa AlBaz / Activestills
Par Kavitha Chekuru
L’armée israélienne a mené l’une des attaques les plus meurtrières au monde contre des secouristes du Croissant rouge. Elle a tué 15 secouristes palestiniens et les a enterrés dans une fosse commune.
Le 30 mars, les corps de plus d’une douzaine de secouristes palestiniens ont été retrouvés dans une fosse commune dans la ville de Rafah, dans le sud du pays.
Dans une guerre qui a déjà enregistré les attaques les plus meurtrières de l’histoire contre des journalistes et des travailleurs humanitaires, ce massacre a provoqué une onde de choc dans toute la bande de Gaza.
Les équipes de secours ont découvert les corps de 13 secouristes palestiniens – huit du Croissant-Rouge et cinq de la défense civile palestinienne, chargée de protéger et d’aider les civils – et d’un membre du personnel des Nations unies. Le corps d’un employé de la défense civile avait été découvert trois jours plus tôt, ce qui porte à 15 le nombre total de travailleurs humanitaires tués.
L’un des secouristes du Croissant-Rouge, Asaad Al-Nasasra, est toujours porté disparu.
Au milieu de ce que les Nations unies ont décrit comme une « politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza », la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge ont déclaré qu’il s’agissait de l’attaque la plus meurtrière au monde contre leurs travailleurs, depuis 2017.
De même, la défense civile de Gaza a parlé de « l’un des massacres les plus odieux » dont elle a été témoin.
Un nouveau crime de guerre israélien est enterré dans le sable tandis que le monde regarde ailleurs
« On nous a tiré dessus directement et délibérément », a déclaré Munther Abed, le seul secouriste survivant, lors d’un entretien avec Drop Site News. Il a précisé que leur ambulance était clairement identifiée comme un véhicule médical et que ses phares étaient allumés. La voiture porte clairement l’inscription ‘Société du Croissant-Rouge palestinien 101’. Le numéro de la voiture était clair et l’uniforme de l’équipe était clair, alors pourquoi nous a-t-on directement tiré dessus ? Telle est la question. »
Dans une vidéo prise le 30 mars par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), on voit les corps en train d’être déterrés et placés dans des sacs mortuaires blancs.
« Un par un, ils ont été frappés et assassinés », déclare Jonathan Whittall, un fonctionnaire de l’OCHA, depuis le site. « Leurs corps ont été rassemblés et enterrés dans cette fosse commune ». Il ajoute que la tombe a été localisée grâce à l’éclairage de secours d’une ambulance.
Les médecins ont été tués quelques jours seulement après qu’Israël a rompu le cessez-le-feu à Gaza, le 18 mars, par des attaques aériennes et terrestres incessantes et brutales, qui ont depuis lors tué plus de 1200 Palestiniens. L’assaut israélien sur Rafah le 23 mars a marqué une journée particulièrement chaotique et sanglante pour les civils.
Des témoins directs
Abed explique que tôt dans la matinée du jour du massacre, lui-même et deux de ses collègues, Mustafa Khafaja et Ezz El-Din Shaat, ont été envoyés dans une maison de l’ouest de Rafah qui avait été bombardée. « Nous avons pris notre voiture et nous sommes allés directement sur le site de l’attentat », a déclaré Abed.
« Notre voiture était reconnaissable : la sirène fonctionnait, les feux extérieurs et intérieurs étaient allumés ».
Il était assis à l’arrière de l’ambulance, tandis que Khafaja et Shaat se trouvaient à l’avant, lorsqu’ils ont essuyé des tirs directs et intenses des forces israéliennes. Abed s’est jeté sur le plancher de la camionnette. « Je n’entendais plus aucun son ni aucune parole de mes collègues. La seule chose que j’ai entendue, c’est leur dernier souffle avant qu’ils ne meurent », a-t-il déclaré.
« Soudain, j’ai entendu des gens autour de moi parler hébreu. Puis, ils ont ouvert la porte et les forces spéciales sont entrées. Je les ai reconnus à leurs uniformes », se souvient-il. « Ils m’ont sorti de la voiture et m’ont emmené sur le sable à proximité. Ils m’ont torturé et battu. »
Il a déclaré qu’après cela, il n’a pas pu voir grand-chose parce qu’ils ont continué à lui enfoncer le visage dans le sable, puis l’ont emmené dans un autre endroit, non loin de là. Les forces israéliennes l’ont jeté dans un fossé et l’ont frappé à plusieurs reprises avec leurs fusils.
Après avoir perdu le contact avec eux, le Croissant-Rouge a envoyé trois autres équipes d’ambulanciers pour aider leurs collègues, mais peu après 7h30, ils ont annoncé qu’ils avaient également perdu le contact avec les autres équipes.
Une équipe de la défense civile de Gaza a tenté d’atteindre le site pour aider les autres secouristes, mais elle a également perdu le contact avec eux peu de temps après.
Abed, qui se trouvait toujours à proximité, a déclaré que des véhicules de la défense civile étaient arrivés sur les lieux. « Il y avait des véhicules de la défense civile qui arrivaient, alors il [le soldat] a tiré directement sur eux. Après cela, il m’a déplacé vers un autre endroit, m’a mis derrière un mur, et j’ai vu des plaques d’immatriculation rouges… Je ne pouvais pas voir la scène, mais j’entendais des coups de feu. »
Il a été détenu pendant des heures avec d’autres civils. Le lendemain matin, lundi, il a pu voir le site où lui et ses collègues étaient arrivés la veille. “Les chars, les quadcoptères, les drones et les véhicules ont commencé à arriver. Ils ont encerclé tout le site et creusé un grand trou. Ils ont écrasé et enterré toutes les voitures – celles du Croissant-Rouge et de la défense civile. Ils ont tout enterré et recouvert de sable”.
Sur les images satellites du 23 mars publiées par Al Jazeera on voit les véhicules de secours blancs regroupés sur le bord de la route à l’ouest de Rafah vers 11 heures – avec de nombreux chars israéliens à proximité.
Sur celles de mardi 25 mars, du même endroit, on voit des traces noires des bulldozers sur toute la zone et les véhicules sont moins visibles. Sur les images de mardi, on voit qu’une barrière de terre ou de sable a été érigée sur la route, pour bloquer l’accès au site.
Après avoir été détenu et maltraité pendant des heures, Abed a déclaré qu’il avait finalement été libéré après que les soldats lui eurent dit qu’ils avaient vérifié son identité auprès du Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure israélienne.
Rafah ayant fait l’objet d’un ordre d’évacuation, il dit avoir marché pieds nus jusqu’à Khan Younis.
« Après avoir été torturé, battu et tout le reste, je n’ai eu qu’envie, c’est de quitter l’endroit où je me trouvais ». Il est le seul survivant connu du massacre.
La multiplication des déplacements forcés
Le 23 mars, le Croissant-Rouge a demandé à plusieurs reprises à l’armée israélienne de laisser les équipes de secours se rendre auprès de leurs collègues blessés, mais elles ont essuyé un refus. Cela a marqué le début d’un délai de près d’une semaine jusqu’à ce que l’armée israélienne autorise enfin l’accès au site.
Entre le 18 mars, date à laquelle l’armée israélienne a repris ses bombardements et ses attaques terrestres, et le 23 mars, plus de 140 000 Palestiniens ont été déplacés de force. Mais la situation s’est aggravée pour les habitants de l’ouest de Rafah ce dimanche là, des dizaines de milliers d’entre eux ayant été contraints de fuir du fait de l’intensification des attaques israéliennes et des ordres de déplacement confus donnés par l’armée israélienne.
Les photos et les vidéos des journalistes présents à Rafah ce jour-là décrivent des scènes devenues tristement habituelles de Palestiniens fuyant à pied avec tous les biens qu’ils peuvent transporter sur leur dos ou dans des charrettes.
Nombre d’entre eux ont raconté avoir vu des civils en fuite se faire tirer dessus par les forces israéliennes. « C’était la définition même de l’enfer. Les détails ressemblent aux horreurs du Jour du Jugement », a déclaré à Drop Site le journaliste Mustafa Jabr, qui se trouvait ce jour-là dans la zone de Tal al-Sultan, à l’ouest de Rafah.
« Des coups de feu. Des blessés. Tout le monde court, les vieux, les jeunes, les enfants. Les personnes âgées ont été laissées derrière et les gens couraient parce que marcher est encore plus dangereux. Les tirs d’artillerie étaient à notre gauche et à notre droite. »
Munther Abed a vu les soldats abattre des enfants pendant qu’il était détenu. Il raconte : « Parmi les enfants et les femmes, il y avait une mère avec son jeune fils, un martyr, abattu d’une balle dans la poitrine. Une autre était avec sa petite fille, elle aussi touchée à la poitrine ».
De nombreux habitants de Rafah n’étaient même pas au courant des ordres d’évacuation dimanche. Alaa Hassan, 23 ans, a déclaré à Drop Site qu’il terminait son travail lorsque lui et ses collègues ont réalisé que leur immeuble était encerclé par les forces israéliennes. « Nous avons été surpris par une ceinture de feu devant nous et par un certain nombre d’obus d’artillerie, ainsi que par des missiles provenant d’avions de guerre et des tirs de quadcoptères ».
Il dit que lorsqu’un de ses collègues est arrivé devant la porte, il a été abattu par les troupes au sol. « Nous l’avons tiré dans la maison, nous avons commencé à le soigner immédiatement pour arrêter l’hémorragie ».
Dans une vidéo que Hassan a partagée avec Drop Site, on peut voir un autre collègue porter Mohammed. Il y a du sang sur le sol, on entend des coups de feu et des avions à l’extérieur. Selon Hassan, il s’est révélé impossible d’obtenir une aide médicale, en raison de l’attaque contre les ambulanciers.
« À ce moment-là, j’ai appelé le Croissant-Rouge pour demander de l’aide. Nous avons été surpris d’apprendre que des ambulances se trouvaient près de la caserne et que les forces d’occupation les avaient encerclées. » Ils ont finalement pu s’enfuir et retrouver leurs proches, dit-il, et emmener Mohammed pour qu’il soit soigné à Khan Younis. « Nous sommes partis sans rien, laissant derrière nous tout ce que nous possédions. »
Dans les jours qui ont suivi, les civils ont été pris pour cible à plusieurs reprises par les forces israéliennes. Salma Kaddoumi, une journaliste qui se trouvait à l’ouest de Rafah le mercredi 26 mars, a déclaré à Drop Site que les chars israéliens tiraient sur les tentes des personnes déplacées ce jour-là.
L’équipe de l’ONU qui a participé aux missions de sauvetage des équipes d’urgence a également vu des civils se faire tirer dessus ce même jour alors qu’ils tentaient de fuir dans l’ouest de Rafah.
Dans une vidéo prise de l’intérieur du convoi de l’ONU, on voit le corps d’une femme blessée devant le véhicule de l’ONU, tandis qu’un employé demande par radio s’ils peuvent aller la chercher. Pendant qu’il attend la réponse des employés de l’ONU, on voit sur les images deux civils s’approcher du corps avant de s’enfuir et de tomber par terre. « Ils en ont tué un autre », ne peut s’empêcher de répéter quelqu’un dans l’ambulance.
Le jeudi 27 mars, des équipes de l’OCHA, du Croissant-Rouge et de la défense civile ont pu aller un court moment sur le site et ont trouvé le corps de l’officier de la défense civile qui avait dirigé leur mission de sauvetage, Anwar al-Attar.
Selon la défense civile, son corps a été retrouvé démembré. « Nous avons trouvé nos voitures, nos véhicules et les véhicules du Croissant-Rouge dans la zone », a déclaré le lendemain le porte-parole Mahmoud Basal dans une vidéo. « Ils ont été bombardés et ont essuyé des tirs nourris, ce qui confirme que quelque chose de grave est arrivé à nos équipes ».
Les équipes ont été contraintes de quitter la zone sans pouvoir terminer les recherches.
Finalement, dimanche, une semaine après l’attaque, les équipes ont pu retourner sur le site et récupérer les corps des autres secouristes, à l’exception de celui de l’infirmier du Croissant-Rouge, Asaad Al-Nasasra, qui n’a toujours pas été retrouvé.
Lundi, après avoir vu les véhicules de secours écrasés et enterrés, Abed a déclaré qu’il avait également vu Asaad.
« La dernière fois que j’ai vu Asaad, il était dans la fosse où nous nous trouvions. Les soldats nous entouraient. Il était attaché, on lui avait bandé les yeux et il était en caleçon. C’est la dernière fois que je l’ai vu », a déclaré Abed. « Je ne sais pas ce qu’il est devenu par la suite ».
La vidéo de l’équipe d’OCHA montre les véhicules de secours complètement écrasés et les équipes en train de sortir les corps de la fosse commune.
Dans une déclaration, Basal a indiqué que la fosse avait deux à trois mètres de profondeur et que les ambulanciers avaient tous été exécutés. « L’un d’entre eux a été déshabillé et un autre a été décapité », selon Basal. « Le moins blessé d’entre eux a reçu au moins 20 balles. »
Un analyste médico-légal qui a examiné cinq des corps a déclaré au Guardian : « Toutes les victimes ont reçu plusieurs balles, à l’exception d’une seule, qui n’a pas pu être identifiée car le corps a été mutilé par des animaux tels que des chiens, ce qui fait qu’il ne reste qu’un squelette. »
Inaction internationale
Jeudi, un porte-parole de l’armée israélienne a osé prétendre qu’une enquête serait ouverte sur l’attaque. Cette déclaration fait suite à des déclarations antérieures dans lesquelles l’armée affirmait que « les FDI n’ont pas attaqué une ambulance par hasard » et que des véhicules « avançaient de manière suspecte » et sans feux de secours en direction des troupes au sol le 23 mars.
L’armée israélienne a également prétendu avoir tué des membres du Hamas, dont Mohammad Amin Ibrahim Shubaki, mais le corps de ce dernier ne figure pas parmi ceux qui ont été retrouvés sur le site.
L’armée israélienne n’a pas immédiatement répondu aux questions posées par Drop Site News au sujet de cette attaque.
L’armée israélienne a attaqué à plusieurs reprises des travailleurs médicaux, des hôpitaux et des travailleurs humanitaires tout au long de la guerre, affirmant sans preuve que le Hamas travaille ou opère à partir d’installations médicales ou qu’il fait partie de convois.
Le même jour que l’attaque contre les ambulanciers à Rafah, l’armée israélienne a bombardé l’hôpital Nasser à Khan Younis, tuant un garçon de 16 ans et Ismail Barhoum, membre du bureau politique du Hamas, qui recevait un traitement médical.
« La présence d’activités militaires dans des établissements de santé, si elle est confirmée, peut entraîner la perte du statut protégé de l’établissement lui-même, mais pas du personnel médical ni des patients », a déclaré Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés, à Drop Site.
« Au cours des 18 derniers mois, Israël n’a jamais présenté de preuves dignes de ce nom d’activité militaire ou de présence significative de combattants dans les hôpitaux qu’il a ciblés et souvent détruits. Cela a entraîné la mort de plus de 1000 travailleurs de la santé, tandis qu’un nombre important d’autres personnes ont été détenues et souvent torturées, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. »
La coordination antérieure entre les convois médicaux et humanitaires et l’armée israélienne n’a jamais non plus garanti la sécurité. Le 29 janvier 2024, les troupes israéliennes ont attaqué et tué deux ambulanciers du Croissant-Rouge qui étaient en route pour sauver la petite Hind Rajab, âgée de cinq ans, dans la ville de Gaza.
L’itinéraire de l’ambulance avait été coordonné et approuvé par le COGAT, selon le Croissant-Rouge et le COGAT. Dans un rapport de mai 2024, Human Rights Watch a recensé huit attaques contre des convois d’aide précédemment coordonnés, qui ont tué au moins 31 travailleurs humanitaires et les civils qui les accompagnaient, y compris une attaque en avril 2024 qui a tué sept travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen.
Mais même après plus d’un an de guerre, l’attaque contre le personnel médical le 23 mars a été particulièrement choquante.
Lors d’une conférence de presse organisée à Gaza mercredi, Whittall a déclaré que cette attaque était « très emblématique de la situation actuelle à Gaza. Ce qui se passe ici défie la décence, l’humanité et la loi. C’est une guerre qui outrepasse toutes les limites ».
Ce qu’il a vécu ce jour-là continue de hanter Munther Abed.
« J’aime travailler en tant qu’ambulancier et j’aime aider les gens. Mes collègues sont comme mes frères, ma deuxième famille », a confié Munther Abed à propos de ses collègues assassinés. « Ce n’est pas la première violation et il y en a eu beaucoup auparavant. Où est notre protection en vertu du droit humanitaire international ? Je fais des cauchemars. Toutes les nuits je revois ce que j’ai vu. »
Sharif Abdel Kouddous, Zaki Awadallah et Jawa Al Muzaiel ont contribué à cet article.
Auteur : Kavitha Chekuru
* Kavitha Chekuru est journaliste indépendante et réalisatrice de documentaires.
4 avril 2025 – Substack – Traduction : Chronique de Palestine
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