Par Yara Hawari
La position du Parti travailliste (Labour) sur la Palestine a toujours été et reste moralement corrompue.
Une grande partie de la position de l’establishment politique britannique sur la Palestine, y compris celle du Labour, est et a toujours été moralement corrompue.
Il y a plus d’un siècle, en 1917, le Royaume-Uni a ouvert la voie au nettoyage ethnique et à l’oppression du peuple palestinien avec la déclaration Balfour, qui promettait le patronage britannique d’une patrie juive en Palestine.
Aujourd’hui, l’establishment politique britannique – tant conservateur que travailliste – s’efforce de garantir la poursuite de cette oppression en soutenant les crimes de guerre du régime israélien à Gaza et en leur accordant l’impunité.
Le soutien inconditionnel de l’establishment au régime israélien – et son mépris pour les souffrances des Palestiniens – ont été pleinement mis en évidence mercredi lors du vote à la Chambre des communes d’un amendement au Discours du Roi, proposé par le Parti national écossais, qui appelait à un cessez-le-feu à Gaza.
L’amendement a finalement été rejeté par 293 députés. Seuls 125 députés, dont 56 travaillistes qui ont défié le knout de leur parti, ont voté pour l’amendement et donc pour un cessez-le-feu qui sauverait d’innombrables vies palestiniennes.
Parmi les députés travaillistes qui ont voté avec leur conscience et contre la position de l’establishment, on compte huit ministres fantômes qui ont dû par la suite quitter leur poste de premier rang.
La ligne officielle du parti travailliste depuis le début de ce dernier bombardement de Gaza a été de soutenir sans équivoque le régime israélien.
Le chef du parti travailliste, Keir Starmer, ancien avocat spécialisé dans les droits de l’homme … est allé jusqu’à déclarer lors d’une interview à la radio que le régime israélien avait le droit de couper l’accès à l’eau, à la nourriture et à l’électricité pour les Palestiniens de Gaza.
Bien sûr, comme Starmer le sait certainement, de telles actions sont en fait considérées comme une punition collective, et donc comme un crime de guerre, en vertu du droit international.
Mais cela n’est pas surprenant de la part de M. Starmer, qui, depuis le début de son mandat à la tête du parti, s’efforce d’extirper la solidarité avec la Palestine des rangs du parti travailliste.
Le précédent leader travailliste, Jeremy Corbyn, avait rompu avec l’establishment et positionné le parti comme un critique ferme des politiques du régime israélien à l’égard des Palestiniens.
La position de principe de Corbyn sur la Palestine était une anomalie dans l’histoire du parti. En effet, la position du parti travailliste sur les droits du peuple palestinien a toujours été, au mieux, dédaigneuse.
En 1948, le silence de la gauche britannique – des communistes au parti travailliste – sur l’expulsion massive des Palestiniens de leur patrie a été retentissant.
L’ancien Premier ministre travailliste britannique Harold Wilson était un défenseur du sionisme et considérait le régime israélien comme une « merveilleuse expérience de politique socialiste ». Pour de nombreux membres du parti, il n’y avait aucune contradiction à fusionner le socialisme (ou le sionisme travailliste) avec le colonialisme de peuplement.
Même en 1967, lorsque le régime israélien a occupé le reste de la Palestine historique, le parti travailliste a maintenu un consensus sur le soutien au projet sioniste. C’est le parti travailliste israélien qui a été le fer de lance de la colonisation de la Cisjordanie, de Gaza et du plateau du Golan en Syrie, en contradiction directe avec la résolution 242 des Nations unies appelant au retrait immédiat des forces israéliennes des territoires nouvellement occupés.
Cela n’a toutefois pas entaché les bonnes relations entre les deux parties. En fait, les années 1960 et 1970 ont été décrites comme les « années d’or » de leur coopération.
Sous la direction du Premier ministre Tony Blair, le parti a encore renforcé ses liens avec le régime israélien.
En 2006, le parti travailliste de Tony Blair a refusé d’appeler à un cessez-le-feu dans la guerre menée par le régime israélien contre le Liban, au cours de laquelle plus de 1400 Libanais ont été tués.
Lorsque Blair a quitté ses fonctions de premier ministre et de dirigeant du parti travailliste en 2007, il a immédiatement assumé le poste de représentant auprès du Quartet, l’organisme international chargé de superviser le soi-disant « processus de paix israélo-palestinien », dont le siège se trouve à Jérusalem-Est.
Tout au long de son mandat au sein du Quartet, l’ancien premier ministre travailliste a été accusé de conclure des accords politiques qui lui permettaient de se remplir les poches et d’entraver la lutte des Palestiniens pour la justice et la libération.
Il a par exemple obtenu du régime israélien des fréquences radio pour la Cisjordanie et la bande de Gaza, ce qui a permis la création du deuxième opérateur palestinien de téléphonie mobile, Wataniya Mobile.
Ce qui est peu connu, c’est que Wataniya appartient à une société de télécommunications cliente de JP Morgan, pour laquelle Blair était conseiller spécial. En contrepartie, l’Autorité palestinienne a été contrainte de renoncer à poursuivre devant les Nations unies les preuves des crimes de guerre commis à Gaza par le régime israélien au cours de l’opération « Plomb durci » de 2008-2009.
L’establishment travailliste a toujours été complice de l’oppression du peuple palestinien, mais sa corruption morale à l’égard de la Palestine n’est pas représentative de la base travailliste contemporaine.
En fait, les syndicalistes, les conseillers municipaux et les groupes d’étudiants affiliés au parti travailliste constituent une part importante du mouvement de solidarité avec la Palestine, qui ne cesse de croître au Royaume-Uni. Et nous avons vu des conseillers municipaux travaillistes démissionner de leur poste en raison de la position du parti sur la Palestine – plus de 30 à ce jour.
Ce dernier assaut sur Gaza a mis en lumière les tensions existantes au sein du parti travailliste – des tensions entre les échelons supérieurs qui offrent un soutien quasi inconditionnel au régime israélien et une base qui considère le soutien à la lutte palestinienne comme la pierre angulaire d’un programme politique authentiquement de gauche et progressiste.
En effet, de nombreux membres de la gauche britannique peuvent constater la corruption morale de l’establishment travailliste sur la question de la Palestine et reconnaissent son interdépendance avec d’autres questions de justice sociale et raciale.
Ils comprennent, par exemple, qu’on ne peut pas s’opposer à la déportation massive des demandeurs d’asile tout en fermant les yeux sur la lutte du peuple palestinien pour retourner vivre librement dans sa patrie.
C’est pourquoi le vote de mercredi était important, en particulier pour le parti travailliste. Il ne s’agissait pas seulement d’une tentative de sauver des vies à Gaza, mais aussi d’une occasion de prendre position, en tant que parti prétendument de gauche, contre la guerre, l’impérialisme occidental et le colonialisme.
Une fois de plus, le parti travailliste n’a pas réussi à prendre cette position et, pour être honnête, je suis sceptique quant à sa capacité à le faire un jour.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
20 novembre 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Boutros