L’une des principales raisons pour lesquelles l’immolation d’Aaron Bushnell a un tel impact sur notre société est qu’il s’agit de l’acte de sincérité le plus radical dont nous ayons jamais été témoins.
Dans cette société frauduleuse où tout est factice et stupide, nous ne sommes pas habitués à une telle sincérité.
Nous sommes habitués à la culture dominante insipide, fabriquée à New York et Los Angeles, à des célébrités décérébrées qui ne parlent jamais de rien de sérieux, à un activisme Instagram qui s’auto-glorifie, à des formations politiques artificielles conçues pour canaliser le mécontentement populaire dans le soutien à une politique du statu quo, à des discours libéraux bidons du genre « Je vous entends, je suis avec vous [mais je ne ferai rien] », à une propagande et une diversion sans fin des médias de masse et de leurs équivalents en ligne stimulés par les algorithmes des ploutocrates de la Silicon Valley, et à une dystopie où presque toute la population est somnambule, plongée dans un brouillard psychotique.
À l’ombre de l’empire occidental, nous avons été conditionnés à nous attendre à tout cela. Et puis, sorti de nulle part, un gars de l’armée de l’air arrive et fait quelque chose de vrai. Quelque chose d’aussi authentique et sincère que possible, avec les intentions les plus nobles.
Il s’est filmé en direct en train de s’immoler par le feu et de brûler vif pour attirer l’attention du public sur l’horreur des atrocités commises à Gaza avec le soutien des États-Unis. Sachant parfaitement à quel point ce serait douloureux. Sachant parfaitement qu’il mourrait ou qu’il survivrait avec d’horribles brûlures pires que la mort. Sachant très bien qu’une fois qu’il aurait enflammé la substance aspergée sur son corps, il n’y aurait pas de retour en arrière.
Il n’a pas reculé. Il n’est pas rentré chez lui pour se gaver de snacks, bavarder sur les forums de discussion et chercher un échappatoire abrutissant sur Netflix ou Pornhub. Il a allumé la flamme. Il a même eu du mal à l’allumer au début, mais il l’a fait quand même.
Rien dans notre société ne peut nous préparer à une telle sincérité. Ce genre d’altruisme. Ce genre de pureté d’intention. Cela nous arrête net, comme si la trame de notre monde avait été déchirée. Et, dans un sens, c’est ce qui s’est passé.
Nous ne vivons plus vraiment dans le même monde que nous connaissions avant qu’Aaron Bushnell ne s’immole par le feu le 25 février à 13 heures.
C’était un acte bien trop sincère, commis dans la ville la moins sincère de cette planète. Un acte qui a trop secoué les choses pour que toutes les pièces reprennent complètement leur place.
Moi-même, j’ai changé pour toujours. J’aborde le génocide de Gaza avec un regard neuf, une vigueur renouvelée et une détermination invincible. J’écris maintenant avec un autre type de feu dans les tripes.
Et en regardant autour de moi, je vois que c’est un peu pareil pour d’autres.
Alors que l’opposition à la destruction de Gaza commençait à perdre un peu de ses forces en raison du désespoir et de la difficulté de maintenir la même énergie pendant des mois, nous percevons maintenant un regain impressionnant d’enthousiasme.
Plus important encore, cela fait bouger les choses dans l’ensemble de la société, et pas seulement au sein des foules pro-palestiniennes. Les derniers mots de Bushnell sur la complicité de l’empire étasunien dans le génocide sont partagés sur des canaux grand public comme CNN et ABC, tandis que les défenseurs d’Israël courent partout, cherchant ardemment à convaincre que personne ne se soucie de ce que Bushnell a fait, comme un type qui enverrait à une femme des douzaines de textos affirmant qu’il n’est nullement contrarié que celle-ci ait repoussé ses avances.
Un membre de l’armée étasunienne s’immolant par le feu en criant « Libérez la Palestine », voilà qui est absolument dévastateur pour les stratégies médiatiques d’Israël et des États-Unis, parce que cela secoue les gens comme rien d’autre ne pourrait le faire.
Aux quatre coins de notre dystopie artificielle, les gens ouvrent maintenant les yeux et se disent : « Hé, attendez ! Qu’a fait cet homme ? Pourquoi ? Je pensais que rien d’autre ne comptait que mon confort, mes sentiments et le petit cercle de ceux qui me sont chers. Mon pays est complice de quoi ? Est-il possible que j’aie manqué quelque chose d’important ? »
Par son acte de profonde sincérité, Aaron Bushnell a invité le monde à regarder la vie de façon très différente. Une invitation à percer le voile de la superficialité et du narcissisme pour atteindre une authenticité radicale et une réelle compassion pour nos semblables. Une invitation à une profonde sincérité qui nous soit propre et qui nous donne le pouvoir de secouer le monde à notre manière.
Le 25 février à 13 heures, Aaron Bushnell a allumé un feu multiple. Un feu qui nous pousse à agir. Un feu qui éclaire le chemin. Un feu qui nous inspire. Un feu qui nous montre une autre façon d’être. Un feu qui nous montre qu’un monde meilleur est possible.
Nous n’oublierons pas son message. Nous ne pourrions pas l’oublier, même si nous le voulions.
Auteur : Caitlin Johnstone
24 février 2024 – caitlinjohnstone.com – Traduction : Chris & Dine