Par Rashid Khalidi
Depuis le 7 octobre, cinq éléments indiquent que nous sommes peut-être en train d’assister à un changement de paradigme dans la guerre centenaire menée contre le peuple palestinien.
Note de l’éditeur : le texte qui suit est basé sur une conférence que Rashid Khalidi a donnée le 16 novembre 2023 à l’université de Columbia.
Il y a six semaines, cet exposé aurait eu un titre différent et un contenu différent aussi. Il y a six semaines, je me serais concentré sur le contexte historique des évènements en m’appuyant sur le cadre défini dans mon livre, « The Hundred Years’ War on Palestine : A History of Settler-Colonialism and Resistance » (La guerre de cent ans contre la Palestine : une histoire de colonisation et de résistance).
Ce livre explique que les événements survenus en Palestine depuis 1917 sont le résultat d’une guerre menée contre la population palestinienne autochtone par diverses grandes puissances alliées au mouvement sioniste – un mouvement qui était à la fois colonialiste et nationaliste. Ces puissances se sont ensuite alliées à l’État-nation israélien qui est né de ce mouvement.
Je considère toujours que ce cadre est le meilleur moyen d’expliquer l’histoire du siècle dernier et au-delà. Il ne s’agit pas d’un conflit séculaire entre Arabes et Juifs, et il n’existe pas depuis des temps immémoriaux. C’est un produit tout à fait récent de l’irruption de l’impérialisme au Moyen-Orient et de la montée des nationalismes modernes des États-nations, arabes et juifs.
En outre, cette guerre n’a pas seulement opposé le sionisme et Israël d’un côté et les Palestiniens de l’autre, ces derniers étant parfois soutenus par des acteurs arabes et autres. Elle a toujours impliqué l’intervention massive des grandes puissances aux côtés du mouvement sioniste et d’Israël : La Grande-Bretagne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et les États-Unis et d’autres pays depuis.
Ces grandes puissances n’ont jamais été neutres, n’ont jamais été des intermédiaires honnêtes, mais ont été et sont toujours des parties actives dans cette guerre aux côtés d’Israël. On ne peut pas considérer les deux camps comme équivalents car il s’agit d’une guerre entre colonisateur et colonisé, entre oppresseur et opprimé, dans laquelle le sionisme et Israël dominent totalement la Palestine.
Toutefois, si je pense que ce cadre a été renforcé au cours des six dernières semaines du fait de la participation musclée des États-Unis et de l’implication relativement limitée de l’Iran et des États arabes, il se peut que nous assistions à un changement de paradigme en raison des nouveaux éléments apparus depuis le 7 octobre.
Ce que je vais présenter est très provisoire. En tant qu’historien, je suis réticent à prédire l’évolution des événements. Mais, à la lumière du déroulement de cette guerre depuis plus d’un siècle, il est clair qu’il s’est passé des choses qui pourraient indiquer que cette guerre entre dans une nouvelle phase. Je voudrais mettre l’accent sur cinq de ces éléments.
- I. Le premier est le nombre de morts israéliens, qui s’élève à plus de 1200, soit le troisième bilan le plus élevé de l’histoire du pays. Plus de 800 civils israéliens ont été tués, ainsi que plus de 350 membres de l’armée et de la police, le tout en l’espace d’un peu plus d’une journée. 64 soldats israéliens ont été tués depuis. Il s’agit probablement du nombre le plus élevé de civils israéliens jamais enregistré [719 civils ont été tués au cours de la deuxième Intifada, qui a duré quatre ans ; la plupart des 6000 Israéliens tués en 1948, le nombre de morts le plus élevé jamais enregistré dans une guerre israélienne, étaient des soldats].
Les pertes de l’armée et de la police israéliennes, ajoutées à celles subies depuis le début de l’invasion terrestre il y a plusieurs semaines, ont déjà largement dépassé les 400 morts. Ce chiffre approchera bientôt le nombre de soldats israéliens tués lors de l’invasion israélienne du Liban en 1982 [plus de 450 morts].
Le bilan palestinien actuel de plus de 11 500 morts, comme celui d’Israël, n’est pas encore définitif et sera augmenté par les taux élevés de décès évitables dus à la maladie, à la mortalité infantile et à d’autres causes, ainsi que par l’ajout probable de la plupart des 2700 personnes portées disparues.
Il s’agit déjà du deuxième bilan le plus lourd pour les Palestiniens depuis 1948, année où environ 20 000 personnes ont été tuées, pour la plupart des civils, et il est probablement plus élevé que le bilan des Palestiniens pendant la guerre israélienne de 1982 contre le Liban, où 20 000 personnes ont été tuées, dont plus de la moitié étaient des Palestiniens et le reste des Libanais [pendant la deuxième Intifada, environ 5000 Palestiniens ont été tués].
Je cite ces statistiques macabres car cela me paraît être un des éléments qui pourrait indiquer un changement de paradigme. Le nombre de victimes israéliennes, en particulier le nombre de civils tués, a créé un choc traumatique qui s’est répercuté en Israël, dans les communautés juives du monde entier et dans tout l’Occident.
Ses effets politiques à long terme sont impossibles à prédire, mais ils ont déjà considérablement influencé les décisions des gouvernements israélien et américain, rendant les deux pays plus agressifs et intransigeants.
Par ailleurs, l’impact politique à long terme d’un nombre aussi élevé de morts palestiniens sur une courte période, non seulement sur les Palestiniens, mais aussi sur le monde arabe, et peut-être plus largement, est également incalculable et pourrait bien affecter la politique intérieure de plusieurs États arabes, ainsi que l’avenir d’Israël dans la région. - II. Ces chiffres doivent être replacés dans le contexte de deux autres éléments. Tout d’abord, l’attaque surprise du Hamas, l’écrasement des défenses israéliennes, y compris la défaite d’une division entière de l’armée israélienne (la division de Gaza), l’échec total des technologies israéliennes de renseignement et de surveillance et le massacre d’un si grand nombre de civils israéliens étaient une première. Jamais, depuis 1948, une guerre aussi féroce n’avait été menée contre Israël sur le sol israélien.
Israël a déjà subi de graves attaques de roquettes et de kamikazes contre sa population civile, mais depuis 1948, toutes les grandes guerres israéliennes – 1956, 1967, la guerre d’usure de 1968-70, 1973, 1982, la deuxième Intifada et toutes les guerres contre Gaza – se sont essentiellement déroulées sur le sol arabe. Rien de tel n’était arrivé à Israël en 75 ans. - III. Une autre caractéristique est que cette guerre révèle l’effondrement temporaire de la doctrine de sécurité d’Israël. Celle-ci est souvent appelée à tort « dissuasion », mais elle est en fait dérivée de la doctrine agressive enseignée pour la première fois aux fondateurs des forces armées israéliennes par des experts britanniques en contre-insurrection tels qu’Orde Wingate. Cette doctrine stipule qu’en attaquant de manière préventive ou en représailles avec une force écrasante, l’ennemi peut être vaincu de manière décisive, intimidé de manière permanente et contraint d’accepter les conditions israéliennes. En ce qui concerne Gaza, cela signifiait pilonner périodiquement les Gazaouis et tuer un grand nombre d’entre eux pour les forcer à accepter le siège et le blocus qui durent depuis 16 ans.
Je parle de l’effondrement temporaire de cette doctrine car, alors que ce qui s’est passé le 7 octobre aurait dû montrer sa faillite totale, l’establishment sécuritaire israélien n’a manifestement rien appris et s’est contenté de redoubler de violence. Les dirigeants israéliens semblent avoir oublié le dicton clausewitzien selon lequel la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.
Il est évident qu’ils n’ont pas d’objectif politique clair dans la conduite de cette guerre, au-delà de venger leur victimes civiles et leur humiliante défaite militaire du 7 octobre, vengeance qui est présentée comme rétablissant la « dissuasion ». Au lieu d’avoir un objectif politique précis pour cette guerre, le gouvernement et l’armée israéliens se sont donnés l’objectif impossible de détruire le Hamas, une entité politico-militaro-idéologique qu’on peut peut-être vaincre militairement, mais pas détruire pour autant.
Que le Hamas soit affaibli ou renforcé au bout du compte, ce que nous ne saurons qu’après la fin de cette guerre, il ne sera pas détruit en tant que force politique et idéologie tant que l’occupation et l’oppression du peuple palestinien se poursuivront. - IV. Un autre élément nouveau qui pourrait aussi indiquer un changement de paradigme est le fait qu’après une large expression initiale de sympathie pour Israël au niveau mondial, la guerre d’Israël contre Gaza a suscité d’intenses réactions négatives. Cela a été le cas dans le monde arabe, dans la plupart des pays musulmans et dans la majeure partie du reste du monde (ou plutôt du monde réel, à l’exclusion des États-Unis et de quelques pays occidentaux).
Une réaction négative tout aussi intense s’est manifestée même dans de larges segments des populations américaine et européenne. Il est impossible de dire si cette réaction aura un effet durable. Elle n’a en tout cas eu pratiquement aucun effet perceptible sur la politique de l’administration Biden, qui consiste à apporter un soutien général à Israël, allant jusqu’à participer activement à sa guerre contre Gaza, et qui pourrait conduire à l’engagement de forces américaines sur le terrain si, Dieu nous en préserve, ce conflit dégénérait en une guerre de plus grande ampleur.
La réaction des pays arabes prouve au moins l’ignorance totale des décideurs politiques et des experts occidentaux et israéliens qui ont affirmé avec désinvolture que « les Arabes ne se soucient pas de la Palestine ». En affirmant cela avec assurance, ils ont confondu les autocrates et les kleptocrates qui gouvernent la plupart des pays arabes avec leurs peuples, qui se soucient manifestement beaucoup de la Palestine et qui ont lancé les plus grandes manifestations jamais vues dans la plupart des capitales arabes depuis une douzaine d’années.
Comme n’importe quel historien sérieux aurait pu le leur dire, les peuples arabes manifestent une profonde préoccupation pour la Palestine depuis plus d’un siècle. Il est impossible de dire si cette forte réaction négative à l’égard d’Israël durera, ni si et quand les régimes antidémocratiques qui gangrènent la région parviendront à réprimer l’expression de ces sentiments. Ce qui est clair, c’est que dans leurs politiques futures à l’égard d’Israël, ils devront être beaucoup plus prudents qu’ils ne l’étaient auparavant à cause du soutien passionné de leurs peuples à la cause palestinienne. - V. Il existe un cinquième et dernier élément qui milite en faveur d’un possible changement de paradigme. La différence de valeur que les élites et les politiciens occidentaux attribuent aux vies des personnes de couleur ou arabes d’une part, et aux vies blanches ou israéliennes d’autre part, ont empoisonné les espaces dominés par ces élites, comme l’arène politique, les entreprises, les médias et les universités telles que Columbia.
Ces élites, et beaucoup d’autres, considèrent que les massacres de civils israéliens sont fondamentalement différents des massacres de plus d’une douzaine de fois plus de civils palestiniens. La souffrance des civils israéliens, et d’eux seuls, a été expressément citée une nouvelle fois par le président Biden, pas plus tard que le 15 novembre, alors qu’il blanchissait les bombardements israéliens sur Gaza et qu’il répétait, avec l’incohérence verbale qui le caractérise, les mêmes arguments que ceux utilisés par les Israéliens.
Cette approche manifestement inégale est une arme à double tranchant : si elle peut servir Israël à court terme, elle témoigne de préjugés et de doubles standards qui révulsent le monde entier et des segments croissants de l’opinion en Occident, en particulier chez les jeunes.
A part peut-être ceux qui sont complètement intoxiqués par la couverture fortement biaisée des grands médias qui reprennent en chœur tout ce qu’Israël dit ou imprime.
Le soutien de 68 % des Américains, dont une grande majorité de démocrates, à un cessez-le-feu à Gaza, une mesure à laquelle s’opposent farouchement le gouvernement israélien et son soutien à la Maison Blanche, est un indicateur important, voire le signe avant-coureur d’un changement de paradigme.
Néanmoins, malgré l’exploitation politique grossière des morts civiles israéliennes et des enlèvements d’otages civils, il est essentiel de reconnaître que ces questions posent un grave problème moral, ainsi que des problèmes juridiques et politiques, aux partisans des droits des Palestiniens. L’élément moral est évident : les femmes, les enfants, les personnes âgées et tous les non-combattants non armés doivent incontestablement être protégés en temps de guerre.
L’élément juridique devrait également être évident. On peut choisir de ne pas appliquer les normes du droit international humanitaire (DIH). Toutefois, si l’on souhaite les appliquer, elles doivent s’appliquer à tous. Israël prétend faussement adhérer au DIH, bien qu’il ait explicitement admis, par le biais de sa « doctrine Dahiya » énoncée en 2007 par un ancien général, Gadi Eizenkot, aujourd’hui membre du cabinet de guerre israélien, qu’il ne le fait pas.
Les dirigeants israéliens ont déclaré ouvertement et à plusieurs reprises qu’il y avait au moins deux éléments clés du droit international humanitaire qu’ils ne respecteraient pas, à savoir la proportionnalité, qui exige que les pertes en vies humaines ou en biens ne soient pas excessives par rapport à l’avantage attendu de la destruction d’un objectif militaire et le ciblage qui exige de faire la distinction entre la population civile et les combattants.
Dans ses attaques quotidiennes contre Gaza, comme à de nombreuses reprises par le passé, Israël a fait preuve d’un mépris total pour ces principes en ôtant la vie à un nombre incalculable de civils pour soi-disant tuer un ou plusieurs militants.
Il est vrai qu’en vertu du droit international, les peuples sous occupation ont le droit de résister, et c’est bien sûr le cas des Palestiniens. Toutefois, si l’on veut exiger l’application du droit international humanitaire à Israël, il faut l’appliquer également aux acteurs palestiniens et admettre que, malgré les violations flagrantes de ces lois par Israël, les violations du Hamas et d’autres doivent être soumises aux mêmes normes.
Le problème politique est qu’alors qu’Israël viole le droit international humanitaire en toute impunité et avec l’approbation générale des États-Unis et de certains gouvernements occidentaux, les violations palestiniennes de la morale et du droit international humanitaire, qui se traduisent par le meurtre et l’enlèvement de civils et qui bafouent ces principes moraux et juridiques, sont exploitées pour discréditer et délégitimer l’ensemble de la cause palestinienne, et pas seulement leurs auteurs.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la réaction politique, médiatique et institutionnelle aux États-Unis et en Europe depuis le 7 octobre : elle est entièrement axée sur ces violations, comme nous l’avons vu à Columbia et sur d’autres campus. C’est la lutte pour les droits des Palestiniens qui est ainsi visée.
L’hostilité à la cause palestinienne de l’espace politique, médiatique et institutionnel des États-Unis et de l’Occident, où vivent beaucoup d’entre, a une influence considérable. Si nous admettons l’idée qu’Israël est un projet colonial (et national) de colonisation, les États-Unis et l’Occident en sont la métropole.
Comme l’ont compris les mouvements de libération irlandais, algérien, vietnamien et sud-africain, il ne suffit pas de résister au colonialisme dans la colonie, le territoire occupé. Il fallait aussi gagner l’opinion publique de la métropole, ce qui impliquait souvent de limiter l’usage de la violence et de recourir à des moyens non violents (aussi difficile que cela puisse être face à la violence massive du colonisateur).
C’est ainsi que les Irlandais ont gagné leur guerre d’indépendance de 1916 à 1921, que les Algériens ont gagné en 1962, et que les Vietnamiens et les Sud-Africains ont également gagné.
Dans les espaces politiques et médiatiques hostiles dans lesquels opèrent les partisans des droits des Palestiniens aux États-Unis et en Europe, il est essentiel de faire preuve d’une clarté absolue sur ces questions, non seulement pour des raisons morales et juridiques, mais aussi pour des raisons politiques.
Bien qu’à ce stade, il soit évidemment impossible de prédire l’issue de cette guerre, elle a au moins entraîné les changements que j’ai décrits. Conduira-t-elle à de profonds changements de paradigmes humanitaires et politiques ? Il y a, à mon sens, trois questions à se poser :
- 1. L’expulsion d’un million et demi de personnes de la partie nord de la bande de Gaza, y compris la ville de Gaza, qui est déjà une sorte de nouvelle Nakba, conduira-t-elle à un nettoyage ethnique permanent de cette partie nord de la bande de Gaza ?
- 2. La communauté internationale, ou les États-Unis (qui agissent souvent comme s’ils constituaient à eux seuls la communauté internationale), se décideront-ils à proposer une nouvelle Résolution politique du conflit, honnêtement fondée sur l’égalité et la justice ?
- 3. Ou, ce qui est plus probable, rétabliront-ils simplement, sous une forme ou une autre, le statu quo oppressif antérieur afin de maintenir les Palestiniens dans une prison assiégée de plus en plus petite, tout en injectant toujours plus de formol dans le cadavre en décomposition de la « solution à deux États », morte depuis longtemps ?
Il est impossible de répondre à ces questions aujourd’hui, même si je pense que les réponses pourraient être respectivement oui à la première, non à la deuxième et oui à la troisième.
On peut toutefois espérer qu’au moins une issue est exclue : celle du nettoyage ethnique d’une partie ou de la totalité de la population de la bande de Gaza et de la Cisjordanie en les chassant de la Palestine historique pour les amener dans le Sinaï égyptien et en Jordanie. Lors de ses premières visites dans la région après le déclenchement de la guerre, le secrétaire d’État Anthony Blinken, agissant apparemment en tant que représentant d’Israël, a exercé des pressions sur les dirigeants de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Arabie saoudite pour qu’ils acceptent cette solution. Tous lui ont opposé une fin de non-recevoir.
Ce faisant, ces gouvernements ont agi sur la base de l’intérêt national de leurs États et dans l’intérêt de la préservation de leurs régimes, mais aussi dans l’intérêt des Palestiniens, qui ont appris, par une expérience amère de 75 ans, qu’Israël n’a jamais permis à ceux qu’il avait expulsé de Palestine d’y retourner.
On trouve la preuve irréfutable des mauvaises intentions de la Maison Blanche de Biden dans la demande de budget de l’Office of Management and Budget du 20 octobre 2023, adressée au Congrès et portant sur des milliards de dollars d’aide militaire à l’Ukraine et à Israël. Cela inclut une demande de financement sous la rubrique « Migration and Refugee Assistance » pour « les besoins potentiels des habitants de Gaza fuyant vers les pays voisins », pour « les déplacements à travers les frontières » et pour « les programmes humanitaires et autres en dehors de Gaza ».
À la myopie de l’administration Biden, qui s’aligne servilement sur un effort de guerre israélien impliquant de multiples crimes de guerre probables sans aucun résultat politique discernable ou réalisable, il faut ajouter sa folie politique intérieure. Cette folie l’a poussée à résolument ignorer l’opposition croissante à son soutien illimité à la guerre d’Israël contre Gaza de la part d’un grand nombre de ses propres fonctionnaires, ainsi que d’éléments clés de la base du parti démocrate.
Celle-ci est largement constituée de jeunes électeurs, d’éléments libéraux et progressistes des communautés juive et chrétienne, d’Arabes, de musulmans et d’éléments importants de la communauté noire et d’autres minorités. Alors que l’assaut d’Israël sur Gaza se poursuit avec le soutien total de l’administration, il est de plus en plus difficile de croire qu’un grand nombre de ces groupes, notamment ceux situés dans des États clés, puisse voter pour Joseph Biden en 2024.
Si le soutien américain à Israël, pour forcer plus d’un million de personnes à quitter le nord de la bande de Gaza, ne s’était pas heurté à l’opposition résolue (jusqu’à présent) de quelques gouvernements arabes, les États-Unis auraient ajouté un nouvel épisode à leur ignominieuse participation au processus de nettoyage ethnique des Palestiniens par Israël, qui dure depuis 75 ans. Nous n’en sommes pas encore là et nous espérons ne jamais y arriver.
Cependant, bien qu’elle ait été empêchée jusqu’à présent de se rendre complice de ce crime spécifique, l’administration Biden a déjà plongé tête la première dans un abîme de dépravation morale en soutenant matériellement Israël dans le massacre de milliers de Palestiniens, en rendant la bande de Gaza inhabitable, et en entérinant le nettoyage ethnique israélien des Gazaouis à l’intérieur de la bande de Gaza.
Auteur : Rashid Khalidi
* Rashid Khalidi est l'auteur de sept ouvrages sur le Moyen-Orient, dont Palestinian Identity, Brokers of Deceit, Resurrecting Empire, The Iron Cage et Sowing Crisis. Ses écrits sur l'histoire et la politique du Moyen-Orient ont été publiés dans le New York Times, le Boston Globe, le Los Angeles Times, le Chicago Tribune et de nombreuses revues. Pour son travail sur le Moyen-Orient, le professeur Khalidi a reçu des bourses et des subventions de la Fondation John D. et Catherine T. MacArthur, de la Fondation Ford, du Woodrow Wilson International Center for Scholars, de l'American Research Center in Egypt et de la Fondation Rockefeller, entre autres. Il est titulaire de la chaire Edward Said d'études arabes modernes à l'université Columbia de New York et rédacteur en chef du Journal of Palestine Studies.
18 novembre 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet