Par Johnny Mansour
Au cours de la deuxième semaine d’août, quelque 20 000 dunams de terre ont été dévorés par le feu dans les montagnes de Jérusalem.
Il s’agissait d’une catastrophe naturelle de premier ordre. Cependant, personne n’aurait pu s’attendre au spectacle qui s’est déroulé après l’extinction des incendies. Ou plutôt, personne n’avait imaginé que les incendies dévoileraient ce qui suivit.
Une fois les flammes éteintes, le paysage était terrible pour l’œil humain en général, et pour l’œil palestinien en particulier. En effet, les incendies avaient révélé les vestiges d’anciens villages palestiniens et de terrasses agricoles ; des terrasses construites par leurs ancêtres morts depuis longtemps pour leur permettre de cultiver et de planter des oliviers et des vignes sur les pentes des montagnes.
À travers ces montagnes, qui constituent l’environnement naturel du côté ouest de la ville de Jérusalem, passait la route Jaffa-Jérusalem, la route qui reliait le port historique de Jaffa à la ville sainte de Jérusalem. Cette route à travers les montagnes était utilisée par les pèlerins d’Europe et d’Afrique du Nord pour visiter les lieux saints chrétiens.
Ils n’avaient pas d’autre choix que d’emprunter la route Jaffa-Jérusalem, à travers les vallées et les ravins, et au sommet des montagnes. Au fil des siècles, elle aurait été foulée par les pieds de centaines de milliers de pèlerins, de soldats, d’envahisseurs et de touristes.
Les terrasses agricoles – ou planches horizontales – que les agriculteurs palestiniens ont construites ont un avantage : leur durabilité. Les terrasses ont jusqu’à 600 ans, selon les estimations des archéologues. Mais je crois qu’elles sont encore plus anciennes que cela.
Travailler avec la nature
Le dur labeur de l’agriculteur palestinien est manifeste à la surface de la terre. De nombreuses études ont prouvé que les agriculteurs palestiniens ont toujours investi dans la terre, quelle que soit sa forme, y compris les terres montagneuses, qui sont très difficiles à cultiver.
Des photographies prises avant la Nakba (catastrophe) de 1948, lorsque les Palestiniens ont été expulsés par les milices juives, et remontant même à la seconde moitié du 19e siècle, montrent que les oliviers et les vignes étaient les deux plantes les plus communes dans ces régions.
Ces plantes maintiennent l’humidité du sol et constituent un moyen de subsistance pour les populations locales. Les oliviers, en particulier, aident à prévenir l’érosion des sols. Les oliviers et les vignes peuvent également créer une barrière naturelle contre le feu car ce sont des plantes à feuilles qui retiennent l’humidité et ont besoin de peu d’eau. Dans le sud de la France, certaines routes forestières sont bordées de vignobles pour faire office de barrières anti-incendie.
Les agriculteurs palestiniens qui les ont plantés savaient comment travailler avec la nature, comment la traiter avec sensibilité et respect. C’était une relation qui s’était formée au fil des siècles.
Mais qu’a fait l’occupation sioniste ? Après la Nakba et l’expulsion forcée d’une grande partie de la population – y compris le nettoyage ethnique de tous les villages, villes et cités situés sur le tracé de la route Jaffa-Jérusalem – les sionistes ont commencé à planter de vastes zones de ces montagnes avec des pins européens non indigènes et hautement inflammables pour couvrir et effacer ce que les mains des agriculteurs palestiniens avaient créé.
Dans la région montagneuse de Jérusalem, en particulier, tout ce qui est palestinien – avec ses 10.000 ans d’histoire – a été effacé au profit de tout ce qui suggère le sionisme et la judéité du lieu. La mentalité coloniale européenne a entraîné un transfert du “lieu” européen vers la Palestine, afin de rappeler aux colons ce qu’ils ont laissé derrière eux.
Le processus d’occultation visait à nier l’existence des villages palestiniens. Et le processus d’oblitération de leurs caractéristiques visait à éliminer leur existence de l’histoire.
Notez que les habitants des villages qui ont façonné la vie humaine dans les montagnes de Jérusalem, et qui ont été expulsés par l’armée israélienne, vivent dans des camps et des communautés proches de Jérusalem même, notamment les camps de réfugiés de Qalandiya et de Shu’fat.
On trouve ces forêts de pins dans beaucoup d’endroits, où elles dissimulent des villages et des fermes palestiniens qui ont été démolis par Israël en 1948. Les institutions internationales israéliennes et sionistes ont également planté des pins européens sur les terres du village de Maaloul, près de Nazareth, du village de Sohmata près de la frontière entre la Palestine et le Liban, et des villages de Faridiya, Kafr Anan et al-Samoui sur la route Akka-Safad, entre autres.
Ils sont désormais cachés et ne peuvent être vus à l’œil nu.
Une importance capitale
Même les noms des villages n’ont pas été épargnés. Par exemple, le village de Suba est devenu “Tsuba”, tandis que Beit Mahsir est devenu “Beit Meir”, Kasla est devenu “Ksalon”, “Shoresh” au lieu de Saris, etc.
Mais si les Palestiniens n’ont pas encore réussi à solutionner leur confrontation avec l’occupant, la nature, elle, a maintenant parlé de la manière qu’elle juge adéquate. Les incendies ont révélé un aspect flagrant des constituants planifiés et conçus du projet sioniste.
Pour les Palestiniens, la découverte des terrasses sur les montagnes confirme leur récit selon lequel il y avait une vie sur cette terre, que le Palestinien lui-même était le plus actif dans cette vie, et que l’Israélien l’a expulsé pour prendre sa place.
Rien qu’à cet égard, les terrasses ont une signification énorme. Elles affirment que la cause n’est pas terminée, que la terre attend le retour de ses enfants, des gens qui sauront la traiter correctement.
Auteur : Johnny Mansour
* Johnny Mansour est historien et chercheur, et il vit à Haïfa. Il est également chargé de cours d'histoire et de science politique et est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont : "The Military Institution in Israel", "Israeli colonisation", "The Hijaz Railway", and "The Other Israel: A Look from the Inside".
28 août 2021 – Middle East Eye – Traduction : ISM-France – MR